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Entretien avec Le chat qui tousse par Sabine Chagnaud

 

Pour poursuivre notre enquête sur l’édition de poésie, voici quelques questions posées à Franck Cottet, éditeur de la maison d’édition « Le Chat qui tousse » :

Cette maison d’édition, tu l’as créée seul, peux-tu nous dire comment cela s’est passé ?

A l’époque ou Le Chat qui tousse est né, j’organisais des lectures pour la Maison de la Poésie de Nantes et je recevais beaucoup de courrier de gens qui se faisaient avoir par des maisons d’éditions à compte d’auteurs, et puis le contexte de l’époque était déjà difficile pour se faire publier, je veux dire que le temps d’attente pour voir publier un ensemble de textes était déjà long, que la chance d’être accepté par un éditeur était mince. Alors, poussé par des amis, j’ai franchi le pas et me suis lancé dans l’aventure en créant Le Chat qui tousse.


Quels sont les critères qui te guident dans tes choix d’éditer tel ou tel manuscrit ?

Le texte d’abord et avant tout. Très souvent maintenant, avec le temps, l’habitude, je sais presque tout de suite si les textes que j’ai sous les yeux se transformeront en volume du Chat qui tousse ou pas. Pour confirmer ou infirmer, je transmets quand même les manuscrits à deux autres personnes qui avec moi constituent le comité de lecture. Le visage du Chat qui tousse est double, on y trouve des écritures plutôt lyrique (Olivier Hobé, Emmanuelle Le Cam, Serge Torri, Eric Sénécal …) et des écritures plutôt proche de ce grand fourre tout qu’on appelle « Poésie du quotidien » ( Roger Lahu, Sophie G.Lucas, Jean-Claude Touzeil, Romain Fustier…).
Ensuite, il y a la manière dont l’auteur aborde le problème de l’édition. Il me semble important que les auteurs connaissent un peu le monde de l’édition et réalisent les problèmes ou les difficultés auxquels un éditeur peut-être confronté…Pour reprendre ce que Louis Dubost peut évoquer ailleurs, il me semble indispensable qu’un auteur lise le catalogue de la maison qui l’intéresse, qu’il fasse déjà une présélection, et puis ensuite qu’il prenne conscience qu’une maison d’édition de poésie n’est pas une maison d’édition industrielle (pas de droits d’auteurs, un équilibre financier qui permet juste de faire des livres, une diffusion assurée par soi-même pour le Chat qui tousse) ce qui confère une certaine liberté mais aussi des contraintes…

Quelles ont été tes joies d’éditeur ? Et les difficultés auxquelles tu as dû faire face ?

Mes joies d’éditeurs ? Encore et toujours les manuscrits. Il y a des ensembles que je suis vraiment content d’avoir fait comme Poirier proche de Jean-Claude Touzeil ou Panik de Sophie G.Lucas, ou encore Son histoire et Les Anges tranquilles (coédition avec L’idée Bleue), Un peu d’orage entre les bras d’Eric Sénécal. Ces auteurs, pour ne citer qu’eux, me sont proches, j’apprécie leur démarche d’écriture, leur écriture et puis ce sont devenus des amis avec qui nous pouvons parler écriture, poésie (sauf pour Sophie Masson qui est décédée mais avec qui, pendant trois ans j’ai eu un échange épistolaire avant la publication de Son histoire). Je m’attache beaucoup aux auteurs que je publie, partant du principe que mon travail d’éditeur est aussi de les défendre, de défendre leurs livres et l’on ne peut bien défendre quelque chose que si on le connait bien. Suis comme ça. Je fonctionne beaucoup au coup de cœur, à l’affectif.
Les difficultés ? A l’inverse ce sont tous ces gens qui se prennent pour des auteurs, qui n’ont pas cette attitude d’humilité devant ce qu’ils font et qui remplissent votre boîte mail, vous téléphonent, vous prennent pour Gallimard. Il faut apprendre à dire non, expliquer qu’un auteur est aussi un lecteur !!!
Les difficultés, c’est aussi tout l’aspect diffusion, parce que je n’ai pas de diffuseur (pas les moyens), que je fais tout tout seul et que la gestion du temps, le suivi des commandes par exemple, sont relativement lourds à gérer dans ces conditions, je veux dire que je ne peux pas avoir la réactivité d’une maison plus grosse…


On entend beaucoup dire que la situation de l’édition de poésie s’est détériorée au fil des années, quelles en sont d’après toi les causes ?

C’est une question complexe, qui nécessiterait beaucoup de temps pour répondre…Il faut peut-être partir des lecteurs pour essayer de donner un embryon de réponse. Les lecteurs de poésie sont peu nombreux, depuis longtemps, peu nombreux mais fidèles…c’est pourquoi les grands éditeurs industriels ne publiaient pas ou peu de poésie, Seghers ou Gallimard, avec sa collection blanche ont été les seules pendant longtemps, et encore, la collection blanche de Gallimard ne publie presque que des morts ou des poètes qui n’ont plus rien à dire. Cette collection a l’avantage d’exister pour le monde scolaire qui puise dedans, même encore aujourd’hui, les auteurs à étudier que généralement les élèves n’aiment ou n’aimeront pas. Elle est aussi une mémoire importante des auteurs du catalogue, et, par là, Gallimard a fait un beau travail. Avec le temps les choses ont un peu changé, des maisons d’éditions comme Flammarion, Le Seuil ont mis en place leur collection de poésie, on a vu apparaître des auteurs contemporains jusqu’alors invisibles pour le grand public (Antoine Emaz par exemple…) mais bien souvent, cela tient à la personne qui s’en occupe et qui vient là avec son réseau et qui publie son réseau d’auteurs, quand la personne s’en va, les choses changent…
Pour vivre, la poésie contemporaine a donc un besoin vital des petites maisons d’éditions. Le lectorat y trouve son compte, il est fidèle, mais sa croissance est très faible. Sans doute cette croissance est-elle empêchée par la sollicitation d’internet, par la multiplicité des offres culturelles, par la réputation de difficulté d’accès que traîne avec elle la poésie, je ne sais pas…toujours est-il que les marchés du livre depuis disons deux ans sont beaucoup moins fréquentés, que la part de nouveaux lecteurs ou de lecteurs occasionnels a tendance à disparaître, sans doute parce que pour ces gens, le budget culture est le premier sur lequel on rogne lorsque l’on a pas trop de sous…Je dis ça parce qu’avec Le Chat qui tousse, je ne me contente pas de faire des marchés de la poésie, mais que je me réserve quelques moments dans l’année pour aller chercher un lectorat qui n’est pas acquis sur des marchés traditionnels par exemple ou des marchés de Noël…
En attendant des maisons d’éditions ont arrêté leur activité, des diffuseurs associatifs comme le CIDEL ont cessé leurs activités. Trop compliqué. Trop cher. Trop de contraintes. Trop épuisant pour un résultat médiocre.

Face à cette situation que voudrais-tu voir changer ?

Peut-être en premier lieu que celles et ceux qui se sont donné pour mission de faire connaître et diffuser la poésie contemporaine le fassent vraiment avec un parfait altruisme, sans penser à eux ou au pouvoir qu’ils peuvent glaner ici et là. Je pense à certains auteurs et aux Maisons de la Poésie (en même temps je reconnais le travail qu’elles font) qui trop souvent sont prisonnières des subventions qu’elles obtiennent, de la vitrine qu’elles croient être…Il y aurait vraiment beaucoup de choses à dire…Mais, par exemple, elles ont parfois une bibliothèque de poésie contemporaine qu’elles ne mettent pas en valeur…préférant peut-être le spectaculaire des lectures ou des évènements types marchés à un travail de fond auprès de ceux qui pourraient avoir besoin de ces ressources. On ne trouve que difficilement les livres de poésie contemporaine en librairie, une maison de poésie qui possède un fond pourrait le faire mieux connaitre, le mettre à disposition. Pour conserver des lecteurs, il faut en créer, les fidéliser… Ça ne sert à rien d’avoir des maisons d’éditions qui publient des auteurs si les livres ne se vendent pas…C’est donc, pour moi, le lecteur qu’il faut construire. Je ne mets plus les pieds dans les lectures de poésie parce que trop souvent on y retrouve les mêmes personnes, trop souvent on tourne en rond avec un esprit intello qui n’est pas fait pour aider la poésie … Ce que je veux dire c’est qu’il y a des outils, mais que ceux-ci fonctionnent mal. Je circule beaucoup en France avec Le Chat qui tousse ou/et avec mes propres textes et combien de fois je l’observe. Là où les livres se vendent, c’est là où il existe une véritable politique culturelle tournée vers les gens, qui se déroule sur l’année ou presque, comme en Normandie, à la Maison de la Poésie de Haute Normandie ou au printemps des poètes de Durcet ou encore à Rochefort sur Loire par exemple.


Pour en savoir plus sur les éditions du Chat qui tousse (actualité éditoriale, marchés où il sera présent, catalogue …) : www.lechatquitousse.sup.fr

Sabine Chagnaud et Franck Cottet, mai 2009


 
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