Né en 1934
à Jujurieux, dans l’Ain, Charles JULIET a une enfance paysanne
(cf l’Inattendu, cf surtout Lambeaux). Puis il est enfant de troupe
à l’Ecole Militaire d’Aix-en-Provence (cf surtout
le récit de l’Année de l’éveil). Il
effectue ensuite des études e médecine qu’il va
interrompre en 1957 pour se consacrer à l’écriture.
Ce sont des années de douleur et de doute, mais peu à
peu aussi des années de sources et de rencontres (cf surtout
les quatre tomes parus du Journal ). Charles JULIET écrit alors
durant une quinzaine d’années dans une solitude extrême
mais attentive, le regard et l’écoute à l’extrême
pointe. Sans que ses textes soient édités. Le premier
livre, Fragments, ne paraîtra qu’en 1973.
Des passions: le sport (le rugby à XIII, la boxe),
le jazz, l’art contemporain.
Aujourd’hui, Charles JULIET est l’auteur
de nombreux livres (à peu près quarante, sans compter
les livres singuliers, les livres d’artistes avec les peintres).
Le plus récent, Un lourd destin, où il évoque Friedrich
HOLDERLIN, dont il se sent proche comme il se sent proche aussi de Paul
CÉZANNE et d’ Alberto GIACOMETTI ou de Bram VAN VELDE.
Il est l’auteur patient d’une oeuvre polyphonique, cherchant
l’immédiate intensité:
écrits intimes (journal, correspondance)
livres de rencontre avec Bram VAN VELDE bien sûr, mais aussi Samuel
BECKETT, Michel LEIRIS, Jean REVERZY, Pierre SOULAGES, Raoul UBAC...
livres de poèmes
livres de théâtre
récits
nouvelles
critique littéraire
critique d’art
parole radiophonique...
C’est une oeuvre pour une large part autobiographique,
mais dans la confusion, la douleur, comme dans l’apaisement, la
clarté, il y a la présence ouverte de l’autre.
Comme un puits, à la fois espace de chute et espace de lumière.
Auteur secret - durant de nombreuses années d’aucuns
l’ont cru auteur confidentiel, intellectuel, pour initiés
- pour cacher une plus précise réalité -, auteur
secret, en retrait, sans nul doute, mais dans le secret, dans le retrait,
Charles JULIET retrouve ce que le philosophe Jean-Louis CHRÉTIEN
nomme “l’arche de la parole”, l’intensité
des mots où ’espace et le temps de l’écriture
sont espace et temps d’écoute.
Avec le strict nécessaire de l’écriture.
Les livres de Charles JULIET arpente les terres intérieures,
nous pouvons nommer ses livres en parlant de paysages, de perspectives,
de profondeurs, de cheminements, de creusements, où
tu sais que descendre
c’est gagner en hauteur
jouir d’une plus vaste vision
dit l’écrivain dans son tout petit livre
Bribes pour un double
jouir aussi d’une écoute plus attentive,
plus tendue.
Charles JULIET peut reprendre ces mots de Raphaële
GEORGES: Qui peut être plus homme que l’homme lui-même
?... Désir puissant d’être profond, d’être
l’Être... Que les mots ne blessent pas l’expérience...
Les mots ne peuvent détacher l’écrivain
de cette part indéracinable de lui-même, jusqu’à
cette jouissance, cette disponibilité qui s’accorde aux
présences extrêmes de la vie, n’être rien ,
nous dit-il dans un entretien paru dans la revue Jungle.
Il s’agit ici de s’habiter pour accueillir l’homme
déshabité, dépossédé de lui-même
et des mots pour se dire. Charles JULIET fait part de cette exigence
dans plusieurs textes ou entretiens.
Dans les livres de Charles JULIET, dans les terres intérieures,
le regard s’épure, s’avive, sait porter la lumière
du rien et le retrait, le silence, l’écoute ouvre la voix.
À le lire, nous sommes au bord des intensités qui nous
retiennent, et dans la ferveur immédiate d’être.
L’écrivain François CHIRPAZ se pose
une question à propos de Charles JULIET, se demandant s’
il n’est pas devenu un homme bien connu en devenant un écrivain
enfin reconnu . En avançant ensuite immédiatement ces
autres mots: Charles Juliet est resté un homme discret, un écrivain
secret.
Avançons à notre tour quelques lignes.
Pour Charles JULIET, la vie et les livres restent dans un temps d’attente,
entre le retrait et la rencontre, entre l’effacement et le regard
et l’écoute tendus vers l’ autre, coupant court tout
autant au narcissisme qu’à la duplicité et au mensonge.
Seule la main qui efface ( qui s’efface peut-être juste
avant la main du lecteur ?) peut écrire la chose vraie.
La vie , la lecture et l’écriture sont
ici porteuses d’un savoir, mais ce savoir doit être immédiatement
, pour Charles JULIET, un savoir-vivre .
Rappelons-nous la figure du vieux vigneron dans le livre
Dans la lumière des saisons: il parle peu, mais tout ce qu’il
dit est riche de sens, de vie, et j’aime à l’écouter
.
D’une vie ouverte, ouverte au plus près
de soi-même, à la solitude attentive, à la rencontre,
retenons quelques livres: les quatre tomes du journal, les livres sur
l’art dont Rencontres avec Bram Van Velde , Une Vie cachée,
Un grand vivant: Cézanne (Charles Juliet s’y dit aussi
très profondément), Giacometti, les récits L’Année
de l’éveil, L’Inattendu , Lambeaux (ce livre marque
indéniablement une étape), récits où les
traces biographiques sont tendues, penchées vers l’écriture;
naturellement les poèmes dont Ce pays de silence , A voix basse
, Fouilles, Sur les collines, le théâtre Écarte
la nuit, Un lourd destin. N’oublions pas la correspondance: Dans
la lumière des saisons (une autre étape dans le cheminement
de l’écriture ). N’oublions pas les livres d’entretiens
dont “Mes chemins , Échanges, Rencontres avec Charles Juliet.
Ces livres sont tout autant lieux de vie que de mots, conciliant le
temps d’obscurité, tout autant temps d’obstacles
que temps de lumière.
Comme d’un puits, nous pouvons toujours regarder
la lumière: après nous être penchés, tombés,
regarder plus haut.
Dans ses livres, Charles JULIET, souvent, nous incite
à aller au fond de nous -mêmes, à parvenir au plus
près de nous-mêmes, non pour nous contempler, pour passer
notre temps à nous contempler comme on dit,- la contemplation
n’a rien à voir avec la complaisance- , mais habiter l’attente,
l’obstacle, l’obscurité, le regard, l’écoute
pour contempler la part autre, l’inconnu qui nous coupe précisément
de la complaisance.
Comme Paul CÉZANNE, Charles JULIET peint, il
peint la vie pour faire un saut hors de l’anecdotique et du superficiel.
L’ordinaire des jours, semble-t-il nous dire, n’est pas
banal, il est fait, il se fait de petites touches d’essentiel
qu’il nous faut habiter du regard, et dans l’éveil
de toute lecture, de toute écriture, transcrire.
Comme Georges de La TOUR qu’il évoque dans
un texte récent paru dans “Télérama”,
Charles JULIET peint la lumière, les lueurs. Peintre meurtri
par ceux qui sont démunis et parmi les plus démunis, les
démunis du savoir, il traverse la nuit à voix basse. Parlant
discrètement, mais exigeamment des gens de peu, de leur vie ordinaire.
Peintre de leur vie simple et trop souvent inaperçue. La nuit
comme la lumière les simplifient, nous simplifient.
Laissons la parole à Charles JULIET évoquant
Georges de LA TOUR: un homme qui a scruté et aimé l’homme
avec passion et qui a consacré son existence à élaborer
une oeuvre digne de lui .
Ailleurs Charles JULIET précise: Ma grande chance,
ce fut peut-être d’avoir toujours plus ou moins su qu’il
n’y avait pas à refuser la souffrance. Qu’il fallait
lui laisser préparer le terrain où grandirait la joie..
Reparlons une dernière fois d’espace et
de temps, de regard et d’écoute: ainsi, avec Charles JULIET,
nous ne parlons que d’épures, de dépouillements,
de commencements.
Jean Gabriel Cosculluela
19 décembre 1997
& 24 février 2001
Lire la
bibliographie de Jean-Gabriel Cosculluela