À l’occasion de la parution
d’une très chouette anthologie de François de Cornière
aux éditions Le Castor Astral, ayant pour nom Ces moments-là,
nom révélateur de l’univers du poète, c’est
le moment plus que jamais, avec le printemps qui est là, de s’appesantir
un peu sur l’univers de cet auteur qui a si bien su décrire
les moments de rien qui nous enchantent tellement. Tous ces moments
de rien qui font la grâce si quotidienne du printemps. En attendant
l’été, et ses petits instants de sable fin questionnant
la peau silencieuse avec pudeur mais persévérance sur
les composantes de son parfum de crème solaire, ses petits instants
de rires, fous ou sages, de grasses matinées veillées
sans interruption par le murmure d’eau du vieux frigidaire de
la maison de vacances, si vieux que l’on se demande comment il
peut bien marcher encore, et prendre tellement soin des sorbets maison
à la cassis, à la mûre, au melon (faut-il qu’il
soit gourmand ?!), ses petits instants de grands bains de soleil, de
brins d’herbe collés entre les pages, collés avec
les sourires éveillés par les phrases, ces petits instants
de l’été que l’on aimerait bien étirer
comme du chewing-gum et coller sur la tringle des nuages.
Le printemps est là, les rires, les bruits des roues des poussettes
sur l’asphalte et les éclats de rire, alors il faut laisser
ses doigts chuchoter des caresses sur les pages de cet auteur parlant
de notre quotidien, des pages que l’on tourne avec le bonheur
dans le regard. Des pages que l’on aimerait voir plus nombreuses.
Car une anthologie de François de Cornière, c’est
vraiment peu. Quand on l’a finie, on reste presque sur sa faim.
Sa faim des petits riens. Alors, deux solutions. Soit patatras, il y
a le compte épargne logement que l’on casse, après
un sourire mi-apitoyé mi-effrayé de la banquière
(mais, dans le fond, elle comprend très bien : elle a lu elle
aussi François de Cornière), pour que tous les recueils
tombent, pom, pom, pom, dans le petit sac que l’on emporte avec
soi, partout, sur les chemins de la vie, le petit sac invisible, car
il tient tout entier dans le cœur, soit on fait plaisir à
sa banquière et l’on reste raisonnable. C’est alors
que reste le choix de se procurer… une seconde anthologie. Si
possible avec des poèmes différents de la première,
et c’est le cas de C’était quand, alors, ouf –
on n’est pas passé loin. Oui, il est vraiment temps d’ouvrir
grand les fenêtres pour que les trilles des oiseaux nous parviennent
éclairés de l’intérieur par la force du vert
appartenant au feuillage des arbres quittant leur saison nudiste, ce
vert sur lequel pèse notre regard avec la lourdeur d’une
seule goutte d’eau, de se faire un bon chocolat presque brûlant
recouvert de crème chantilly saupoudrée de sourires tissés
dans le partage d’une chaude conversation, et d’ouvrir une
autre anthologie de cet auteur, celle parue il y a un peu plus de dix
ans, au dé bleu, qui offre un choix de poèmes tout aussi
beaux. Belle façon de compléter sa promenade en poésie.
Une promenade en poésie qui épouse sa promenade de vie.
Les mots de François de Cornière sont
comme des gouttes de pluie sur une vitre de la maison : pleins de fragilité,
de lenteur et de mélancolie. Ils tombent lentement dans notre
conscience pour s’y évaporer peu à peu, au fil de
la lecture, et y déposer une brume de douceur. Sa poésie
nous invite à prendre le temps de vivre, à réaliser
que le bonheur est tout près de nous, dans ces petites choses
qui au fond n’en sont pas, tout simplement parce qu’elles
portent en elles ce qu’il y a de plus précieux : unicité
des êtres aimés, partage de moments forts, liens d’amour,
d’amitié ou de fraternité. Il n’y a jamais
de petites choses, il y a juste de petits signes des grandes choses,
de petits signes de ce qui nous relie tous et fait battre nos cœurs.
Les fait battre au point d’agrandir l’espace de nos vies
autant que celui de nos émotions.
« un disque sur la chaîne / qui pourrait
être Satie // le soleil par les vitres / lève la poussière
// les restes du déjeuner / le café sur la table / et
les gestes engourdis // nos corps bien au chaud / dans la peau de l’hiver
// et cette envie d’écrire / alors que tout va bien »
Ecrire devient alors geste de recueillir entre ses mots
(comme si les mots étaient des bras tendus) l’intensité
des sensations les plus infimes – regards, voix, odeurs, lumières
– mais aussi de les retenir (les mots deviennent alors des bras
qui se ferment comme pour ne pas laisser s’éloigner la
personne aimée, qui se tient sur le départ), tant chaque
instant, en étant vécu, nous échappe déjà.
Ombre de la disparition, que les poèmes tentent d’éloigner,
sans jamais vraiment y parvenir.
« c’est sans doute trop simple / d’avoir
à écrire / le poème qui dirait / qu’on est
profondément heureux / d’être là / dans une
pièce fraîche / porte ouverte sur la montagne / avec le
mistral / qui soulève les lanières de plastique / contre
les mouches / quand on entend dehors / des enfants une femme / rire
et parler ensemble / au soleil de l’été / c’est
sans doute trop dur / d’avoir à dire pourquoi / les mots
sont comme les pierres / contre la faux cachées / qui arrêtent
l’élan / et meurtrissent la lame / qu’on ramenait
à soi / dans les hautes herbes jaunes / où l’on
retrouve un jour / un canif tombé d’une poche / qu’on
reconnaît bien / mais qui ne veut plus s’ouvrir »
Les mots de François de Cornière sont
comme des gouttes de pluie sur une vitre de véranda. Ils tombent
lentement dans notre émotion pour s’y évaporer peu
à peu, laissant une brume de mélancolie. Que reste-t-il
alors pour conjurer l’angoisse de la mort ? Peut-être simplement,
et c’est la leçon si belle que nous délivre François
de Cornière, accepter l’humilité des mots autant
que celle des existences, choisir de vivre tout entier dans le regard,
dans l’attention portée aux êtres et aux choses,
dans ce qu’ils ont de plus ténu.
Peut-être simplement ne pas chercher à faire grand, c’est-à-dire
à mentir. Etre juste soi-même, rester à hauteur
de sa fragilité, acceptant d’être ce qui passe comme
pourrait passer une comptine dans le regard émerveillé
d’un enfant, l’instant d’après ensommeillé,
une main refermée sur la couverture en carton d’un livre
que l’on ne connaîtra jamais.
« Une lettre s’écrit
du bout des doigts. Et sans machine qui tape. Sauf le cœur. »
« Te voir descendre
sans freins / avec ma peur seule / qui retient ton élan. »
« Du bout des doigts
/ saisir l’instant qui tremble / au mikado des mots. »
« Jardin public et balançoires.
/ L’enfance frôlée. / Risque d’être soi.
»
C’est sans doute parce qu’ils restent au
plus près de la vie dans sa simplicité, sa quotidienneté,
de la vie dans ce qu’elle a de plus bref, de plus insaisissable,
dans tous ses détails qui lui donnent toute sa saveur, toute
son unicité aussi, que les poèmes de François de
Cornière nous laissent l’impression à la fois très
douce et très forte d’un voyage au cœur de l’humain.
Lire François de Cornière, c’est vraiment s’embarquer
pour le plus grand des voyages, celui qui nous conduit tout au fond
de nous, là où résonnent les voix du souvenir,
éveillées par l’émotion que l’on éprouve
dans notre quotidien, face à des petits riens, éveillées
par l’amour que nous portons à des êtres. Un voyage
qui vient puiser chaque battement et le donne à restituer dans
la trame du poème. Une trame où il nous est permis, ensuite,
d’inscrire notre visage, comme s’il s’agissait d’un
miroir. Un miroir où se voir vraiment, c’est-à-dire
où voir ce qui est invisible pour les yeux, comme disait si bien
Renard à Petit Prince.
Cécile Glasman et Matthieu Gosztola