• Quand et comment as-tu commencé
à écrire ? Quel a été le déclic ?
J’écris depuis que je sais lire à peu près.
A l’école, j’écrivais des contes ou des poèmes
et je les illustrais, ça faisait de mini livrets. J’ai
toujours eu besoin d’imaginaire et de création. Et je lisais
énormément de livres quand j’étais enfant.
Un jour l’inspecteur des écoles est venu nous rendre visite
et la maîtresse m’a présentée en disant «
Cécile, plus tard elle sera écrivain ». Je n’ai
jamais oublié ces mots… Mes rédactions étaient
toujours lues devant la classe. Après il y a eu une période
de vide, j’ai recommencé à écrire vers l’âge
de 24 ans une fois dans la vie active. Au début des nouvelles
plutôt mais c’était assez étourdi, puis j’ai
lu et découvert la poésie et me suis sentie plus à
l’aise dans ce genre.
• As-tu des rituels d’écriture
( prise de notes, lectures qui t’accompagnent…) ?
Oui bien sûr, je prends beaucoup de notes, je lis énormément,
et je prends des notes quand je lis, je souligne aussi des fois des
passages dans les livres. Des fois même je me livre à un
genre d’écriture automatique. Mais mon meilleur rituel,
c’est de me laisser complètement absorber par l’écriture
qui vient, je me laisse envahir, suis dans un état presque second
quand j’écris ou quand je prends des notes. Et il faut
écrire vite sinon je perds les mots. C’est une sorte d’urgence
et c’est souvent lié à un choc émotionnel,
je ne peux écrire sans émotion ni même sans avoir
un objet fixe.
• Comment est né le site de poésie
contemporaine Terre à ciel ? Quelle vision de la poésie
avais-tu envie de partager à travers lui ?
J’avais envie de donner à lire des extraits, de faire connaître
la poésie contemporaine et en particulier différents auteurs.
Je voulais vraiment partager mes lectures, donner envie aux internautes
de découvrir la poésie contemporaine, d’être
aussi un site passerelle vers l’immensité de la toile.
J’ai passé tellement d’heures parfois à la
recherche d’infos, de site en site sur des auteurs que je voulais
faciliter cela pour d’autres. L’autre vision, c’est
de dire que la poésie c’est la diversité, c’est
toutes les voix qui la composent.
• Tu as publié ton premier recueil,
Terre à ciels, en 2006, aux éditions des Carnets
du Dessert de Lune, un ensemble de poèmes autour du rapport à
la nature ( le ciel, le fleuve, les arbres, l’herbe, la mer…).
C’est une source d’inspiration importante pour toi la nature
?
Oui, la nature elle est là partout. On a qu’à regarder
en l’air ou à ses pieds, elle est là. On n’y
peut rien, elle est là. Et nous sommes la nature nous aussi.
Mais qu’un élément. Des fois je me sens si petite
à côté d’un arbre ou d’un ciel. Et de
juste voir un arbre de tel ou tel façon, ça fait déborder
en moi une émotion que je ne peux contrôler. Et des fois
j’aimerais me fondre dedans.
• Il me semble dans ce recueil que la
narratrice oscille entre émerveillement ( ça bouleverse
un matin pareil) et sentiment de rester au bord ( tu vis à
distance, tu existes au bord/sur le côté/en deça/jamais
parmi)…Comme une prise de conscience de sa condition dans
l’infiniment grand ( entre eux/ nous ne sommes qu’un
grain de sable/ et ce n’est peut-être pas plus mal)…
Voilà, tu as bien ressenti la chose, c’est ce que j’ai
commencé à expliquer au-dessus. Je m’émerveille,
tente de m’y fondre mais dans le fond n’y parviens jamais
complètement. Je reste moi et ne peux pénétrer
ces mystères et même ça me procure une certaine
tristesse….
• Pourquoi cette alternance entre le je
et le tu ? Est-ce que la nature agirait comme un miroir ?
Le ciel
je crois m’en approcher
si je m’éloigne(….)
Et dans cet autre poème par exemple
:
Le mouvement dans les branches
est fait de silences
seules les feuilles se font entendre
toi
tu cherches l’ombre
Je ne sais pas s’il s’agit toujours de la
nature quand j’ai écrit Terre à ciels. Il y a en
effet le miroir du soi dans la nature, des fois j’avais vraiment
l’impression d’y être, d’y chercher quelque
chose qui puisse me rappeler à moi-même, à soi.
Et le moi, c’est aussi un toi. Nous ne savons pas toujours qui
nous sommes, la tête se parle beaucoup. Des fois je suis, mais
des fois c’est un toi qui est là en moi et ce toi des fois
il me faut le faire sortir de sa cabane. Je ne sais pas si c’est
très compréhensible ce que je dis. Pour illustrer, quelques
passages de Quelque chose comme ça de la même substance
de Manuel Antonio Pina
« quelque chose hors de moi
est cachée dedans moi
comme un cœur extérieur »
« entends-tu mes pas dans l’escalier ?
lorsque je frapperai à ta porte
nous ne me reconnaîtrons pas. »
« et pourtant quelqu’un parle alors que je fuis,
Et moi, je parle de ce qui, en moi, s’enfuit. »
« c’est quelque chose en toi
qui cherche quelque chose en toi
dans le labyrinthe de mes pensées. »
«Si tu me regardes c’est moi qui me contemple »
« Je suis peut-être celui qui me manque »
• En 2007 parait Planche en bois,
aux éditions Contre-allées. Le texte que tu as mis en
épigraphe, me semble souligner une difficulté à
retenir le souvenir ( il reste/à la mémoire de ceux/
qui partent/à ce qui nous retient chaque jour/une illusion d’enfance/on
s’y projette dans l’angoisse/on demeure séparé).
Est-ce que ce recueil, en même temps qu’il explore les souvenirs
d’enfance, constate aussi l’impossibilité à
vraiment les retrouver ?
Ce n’est pas exactement cela. Nous sommes faits de souvenirs,
nous ne pouvons pas nous en détacher de ces souvenirs. Chaque
jour dans ma tête j’ai des souvenirs. Il y a bien une impossibilité,
mais pas celle de retrouver les souvenirs plutôt celle de revenir
dans l’enfance et de retrouver tous ces gens qu’on a connus.
Celle de retenir le temps qui passe.
• Cette fois-ci, les poèmes sont
des petits blocs de prose, est-ce que cette forme s’est imposée
d’emblée ?
Oui, cette forme s’est imposée et je n’ai
pas cherché à la contrarier.
• Des phrases courtes, parfois juste des
expressions ou des mots, comme pour épouser le rythme du souvenir,
sa façon de revenir par bribes ?
Tout à fait. Quand on commence à se souvenir
je ne sais pas pourquoi ça revient toujours par petits bouts,
des épisodes, en vrac bien souvent.
• Beaucoup de sensualité dans ce
recueil ( Odeur grand-père, grand-mère, L’eau de
la fontaine a du goût, La fascination des couleurs). Est-ce que
ces poèmes sont une manière de renouer avec les sensations
de l’enfance ? Essayer de les retrouver et de les traduire en
mots ?
Les sensations d’enfance sont omniprésentes
et ce sont généralement des sensations liées aux
sens. Des odeurs qu’on n’oublie pas, le goût de certains
plats, de l’eau, les premières couleurs mais aussi le toucher,
les voix. J’ai fait des listes de mes sensations d’enfance
avant d’en arriver là.
• Dans le recueil, plane la menace de
la vieillesse, de la mort, à travers les grands-parents . Le
souvenir échappe d’autant plus que les personnes qui sont
liées à cette enfance, perdent elle-même la mémoire
: L’auto vendue, ta mémoire s’est vidée,
grand-mère. Œil vide. Terre.
Ma grand-mère a toujours travaillé dans
les champs, ne s’est jamais protégé la peau. Ma
grand-mère avait la peau toute ridée. Ma grand-mère
avait la maladie d’Alzheimer. Ma grand-mère a perdu la
mémoire, au début seuls ses souvenirs d’enfance
étaient là puis plus rien, regard dans la vide. Sénilité.
Un jour on l’a enterrée. Ca avait commencé petit
à petit. Les premiers déraillements, premiers écarts
de conduite, voiture à vendre, des km en vélo, les manches
qui brûlent au-dessus du gaz, maison de retraite puis plus rien
que du vide. Mais c’est sa mémoire à elle qui s’est
vidée, la nôtre est restée intacte, on ressent même
cette douleur beaucoup trop forte, de se souvenir justement de cette
morte lente.
• Tu évoques bien la manière
dont la maladie gomme la mémoire, dont elle mélange le
cours du temps : Grand-mère morte de ta naissance. C’est
très fort je trouve ce passage. On a l’impression qu’il
n’y a plus de repère temporel, c’est angoissant.
La maladie est bien présente. Avec Alzheimer
les gens retournent en enfance. Tout est lié à l’enfance.
Ma grand-mère confondait mon père avec son frère
et lui rappelait des souvenirs d’enfance. Et j’ai eu comme
l’impression que petit à petit elle retournait vers les
origines. Une fois elle a fugué et on l’a retrouvée
sur le bord d’une ligne de chemin de fer en position fœtale.
Ceci met bien en image cette idée de retour à la naissance.
• Dans ce recueil, tu utilises deux temps,
imparfait et présent, est-ce pour signifier cette distance avec
le souvenir ? D’un côté l’immersion dans l’enfance
de l’autre le fait de rester en-dehors aussi, de mesurer le temps
passé, l’éloignement ?
Il doit y avoir un peu de ça. Le présent me permet surtout
une certaine oralité, de faire revivre un peu les gens, les souvenirs,
les rendre plus proches y être encore un peu au moins le temps
de la prose. Mais malheureusement le temps passe. On n’y peut
rien.
• En 2009 est sorti Coups portés sur Publie.net.
J’ai été frappée par la façon dont
ta langue avait évolué dans ce recueil. Une grande place
est accordée à l’oralité ( sa môman
; bagnole ; et puis toc pauvre mec ; me fais pas chier…) et le
rythme évoque bien aussi la violence dont parlent les poèmes
:
la Pauline son dancing maquée bouffée
par
l’alcool les miteux comment se fait les murs
ce mystère de quoi l’a-t-on mise ici pas tant
folle peut être pas grand-chose juste bouffée
maquée vidée de toute sa tête la camisole(…)
Quand j’ai écris Coups portés, je
me suis surprise de tout ce qui sortait de ma langue. J’ai été
surprise également de faire surgir toute cette violence, toutes
ces choses, ces non dits… Cela devait bouillonner depuis longtemps
dans mon for intérieur. Cela a été permis par le
rythme, la forme que je me suis imposée. Des blocs de mots, sans
ponctuation. Si j’avais choisi une forme versifiée avec
retour à la ligne, etc. je ne pense pas que tout cela en serait
sorti. Je n’y croyais pas pourtant au fait que la forme pouvait
autant influencer des écrits. Je ne croyais pas non plus que
de se donner une contrainte pour écrire allait me donner un autre
élan. Merci à Ian Monk qui m’a suggéré
d’employer cette méthode.
• Ces poèmes évoquent un
passé, des aïeux me semble-t-il. Leur vie difficile à
la campagne ( levée à quatre heures du matin vite le beurre
pain de six livres et zou file à la traite ), marquée
par la guerre ( débarquaient les allemands embarquaient le civet
de lapin ; deux trois tickets de rationnement), et on dirait qu’il
y ait un écart irréductible entre les aïeux et l’enfant
( cet’petiote), à cause de ce passé non partagé
: n’y connaît pas la vie dure le pain sans beurre les allemands
pique-assiettes les champs y entend rien(…°)
J’ai essayé de rendre compte de ces différences
entre les générations. Quand j’allais chez mes grand
parents, ils semblaient tellement décalés, ils semblaient
vivre dans un autre monde, une autre époque, ils avaient des
manies que je ne comprenais pas comme faire des réserves par
exemple, une manie qui venait de la guerre. Petite j’ai toujours
été touchée par tout cela, je demandais toujours
à ce que l’on me raconte les années de guerre. Et
j’ai également été choquée par le
faite que ma grand-mère disait tout le temps que j’étais
pourrie gâtée. Difficile d’imaginer ça quand
on est un enfant.
• Tu évoquais précédemment
ta grand-mère, il me semble qu’il y a un poème sur
elle dans ce recueil, qui reprend cet épisode dont tu nous as
parlé : fait pipi par tout ne sait plus trop où coin
seau ou terreau (…) la fugue fuite vers où aller le chemin
de fer (…) surgit fatiguée un bout du monde se faire fœtus
et attendre.
Oui, tout à fait, il s’agit bien de ma
grand-mère. Ses dernières années dans une maison
de retraite. Sa fugue de cette même maison de retraite. Puis son
retour vers l’enfance. Pour s’éteindre les yeux dans
le vide, légume. Bien entendu, tout cela m’a fait un choc.
• J’ai ressenti une urgence dans
ce recueil, urgence de mettre des mots sur une réalité,
sur des souvenirs, en même temps que douleur à en accoucher
…
Bien sûr. Il m’a fallu l’écrire
dans l’urgence, pour rien oublier. Et saisir sur le moment ce
qui revenait à moi. Après, oui douleur. Car ça
remue forcément à l’intérieur de la chair.
Ma sœur m’a offert un livre sur la psychogénéalogie,
je crois que là, j’ai mis les pieds en plein dedans.
• 2009 c’est aussi l’année
de la sortie de Te visite le monde, aux Carnets du Dessert
de Lune, un recueil qui dit l’éveil au monde du bébé
et l’émerveillement de la mère. Les poèmes
sont des tercets, est-ce qu’il y a une raison au choix de cette
forme ?
La forme s’est imposée à moi, c’est
inexplicable parfois comment de la forme tout peut naitre ou ne pas
naitre. Mais là, je devais saisir des instants et pour saisir
des instants je n’ai rien trouvé de mieux que de faire
dans la concision.
• Je trouve que le tercet sert particulièrement
bien le thème, tu saisis l’essentiel des moments dans cette
forme courte, et au niveau du rythme cela crée parfois, grâce
aux sonorités, comme de petites comptines :
tes salades elle les avale ta mère
du bout du nez tu tires la ficelle
le chat s’en va bien fait pour toi
J’ai beaucoup travaillé sur le son et le
rythme pour ce projet. Et c’est vrai que les comptines avec les
enfants on en chante beaucoup dans mon foyer. Ca a surement donné
un petit coup de pouce à ces textes.
• Ce que je trouve très intéressant
dans ce recueil, c’est que tu dis « ta mère »
et non pas « je ». C’est un peu comme si tu te regardais
devenir mère …
Tout à fait. Il n’y a rien de plus beau que de devenir
mère. Et c’est une découverte chaque jour.. On ne
devient pas mère en une seule journée. Et c’est
l’enfant qui nous fait mère.
• J’aime beaucoup la façon dont tu conjugues
des noms comme s’ils étaient des verbes : tu naissances,
tu détresses... Je trouve ça très beau, parce que
c’est comme si l’enfant, en changeant la perception qu’on
a du monde, changeait aussi le langage, le renouvelait…
C’est sûr qu’avec des enfants la conception du monde
change totalement. Et surtout j’aime faire bouger la langue, la
bousculer, la réinventer. Et en poésie c’est permis
! Pour autant, j’aime aussi que cette langue bousculée
reste agréable à entendre. Et puis la langue, les enfants
inventent la leur aussi.
• Tu m’as parlé récemment d’une
rencontre avec des collégiens organisée par la maison
de la poésie de Nantes, c’est intéressant comme
initiative. Tu veux bien nous en parler un peu ? Est-ce que les questions
et réflexions de ces jeunes t’ont apporté un regard
nouveau sur ton écriture ?
Eh bien oui, je suis intervenue à plusieurs reprises
dans des classes de 6eme et 5eme. Echanges très riches. J’ai
été surprise de l’intérêt que ces jeunes
portent à la poésie, à l’écriture.
Et ils ont une juste perception des choses. Beaucoup de questions sur
le travail d’écriture, l’influence de la poésie
sur le quotidien, sur les motivations à écrire…
Et en même temps, ils sont surpris de l’écriture
contemporaine. Pour beaucoup de personne qui dit poésie dit rimes,
alexandrins. Ils sont surpris aussi des libertés d’écriture
que l’on peut prendre…
Ils ont aussi lu mes textes, leurs textes. Des échanges très
riches. De vrais échanges.
Un regard nouveau sur mon écriture, je ne crois pas. Par contre,
si ces rencontres ont pu donner envie à des jeunes de lire ou
d’écrire de la poésie, eh bien cela reste quelque
chose qui me tient à cœur.
• Pour finir, est-ce que tu pourrais nous
parler du nouvel ensemble de textes sur lequel tu travailles actuellement?
Je travaille actuellement sur un sujet qui me tient
particulièrement à cœur. J’ai été
élevée dans un hospice car mes parents y avaient un logement
de fonction. J’ai donc été élevée
parmi des vieux, des moins vieux, des personnes aux traits autistiques.
Ils m’ont toujours fascinée. Et en même temps, on
lisait sur leur visage une certaine détresse. J’essaye
donc de me libérer de tout ça… et puis mes parents,
mon frère, ma sœur l’ont vécu aussi. D’une
manière différente. Ces écrits fait partie aussi
de l’histoire familiale.