TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

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Entretien avec Marcella par Cécile Thibesard

 

Première partie :


* Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

C’est un peu dangereux de dire que l’écriture est venue à moi parce que ça fait « illuminée » mais c’est ce qui s’est passé. Quand j’ai su écrire, j’ai rempli des cahiers de poésie de manière obsessionnelle. L’écriture a été le moyen d’expression le plus adéquat, dès le début . En même temps, je lisais énormément. Cela formait un tout, une planète à part d’où je ne revenais qu’à reculons.


• Y-a-t-il des écrivains ou plus généralement des artistes qui influencent et nourrissent votre travail ?

Toutes les rencontres me nourrissent et m’inspirent. L’admiration est l’une des clés de la créativité ; je me délecte de la beauté, de l’audace, de la créativité. A les fréquenter, on se sent plus intelligent. Pour citer quelques noms parmi tant d’autres, je lis toujours avec bonheur Jacques Prévert, Philippe Soupault, René Char, Paul Eluard, Aragon, Baudelaire, Rimbaud, Guillevic, Nathalie Quintane, Sabine Macher, Valérie Rouzeau, Valérie Mréjen … et puis Marguerite Duras, Pascal Quignard, Régis Jauffret ou Boris Vian mais je me régale aussi de l’abécédaire de Gilles Deleuze ou bien des « Propos sur le bonheur » d’Alain.


* Dans un document de présentation vous écrivez : Je suis une brigueuse de « splendeurs ordinaires » et les mots sont l’incarnation de cette quête. Avec les mots, je traduis ces infimes détails capables de matérialiser un quotidien désirable, un quotidien qui frôlerait la fiction mais serait une réalité poétique.

Est-ce que pour vous le poète est celui qui pose un autre regard sur le monde ? Comment définiriez-vous ce regard ?

Peut-être qu’écrire de la poésie, c’est ouvrir des portes sur ce que l’on n’aurait pas perçu sans les mots. Alors forcément, cela signifie que le poète offre un autre rapport au monde. Cette « proposition différente » que fait le poète c’est une respiration.


* Comment naissent vos poèmes ? Y-a-t-il des mots ou des images déclencheurs ?

Pour ma part, j’explore le territoire de l’extraordinaire dans l’ordinaire. C’est le territoire du quotidien parfois splendide, jusque dans sa cruauté. Je n’invente jamais rien, je me sens très loin de la fiction, simplement je ré - écris ce que je vois ou ce que je ressens afin de traduire le réel en poésie. C’est une « réalité poétique ». Mes textes naissent de tous les « riens ».
Dans une interview donnée à un journaliste qui voulait savoir dans quelle catégorie d’écriture elle se plaçait, Sabine Macher a répondu « Je m’écris vivante ». Je me reconnais dans cette phrase.

Et bien sûr, il y des lieux et des états qui m’inspirent plus que d’autres. L’eau est mon élément de prédilection (la piscine est l’annexe de ma maison) et la marche également, surtout si la musique m’accompagne, mais tous les minuscules gestes de la vie domestique sont aussi des déclencheurs d’idées. Le quotidien en mouvement….

* Vos recueils s’articulent toujours autour d’un fil conducteur : par exemple Quand le
carrelage est bleu l’eau est bleue est construit autour de la couleur bleue, chaque partie ayant pour titre une de ses variations ( indigo, lavande, cyan, marine, cobalt, ardoise ), le recueil 1 an, 47 vendredis est construit autour de ce jour particulier. Comment naît cette structure ? Est-ce qu’elle est le point de départ du recueil ou est-ce qu’elle arrive en cours d’écriture ?


Je travaille de manière très structurée. Que cela soit pour un livre, une exposition ou dans le cadre de l’écriture sur des objets commercialisés, le point de départ est toujours un thème autour duquel se déroulera une histoire, ou parfois juste un mot qui servira de fil conducteur.
Le travail le plus complexe est de construire l’architecture qui va abriter les mots. Ensuite, je ne crains plus la page blanche, un peu comme un romancier je suppose, qui une fois ses personnages placés, vit avec eux tous les jours sans plus craindre de les perdre, jusqu’au mot « fin ».

* Ce qui est intéressant dans vos textes je trouve, c’est cette tension entre la légèreté et la gravité, entre la joie de vivre et la mort, par exemple dans cet extrait du recueil 1 an, 47 vendredis :

Vendredi. jour à partager/ pâques est au balcon/ avec sa lumière de printemps ravagé/ ses pots de géranium brisés/ et les animaux en chocolat/ qu’il faut bien décapiter.

Dans ce poème l’atmosphère festive semble menacée par une certaine violence…

Oui, et c’est la deuxième piste que j’explore en écrivant. Celle de la dualité présente dans chaque mouvement de l’existence. Ce qui est beau est laid, ce qui est anodin est vénéneux, ce qui est festif est violent, ce qui est doux râpe aussi le cœur et l’énergie de vivre répond à l’abîme de la mort. C’est une question de moment, de regard, c’est une affaire d’éclairage. Etre un humain dans la vie, c’est être un équilibriste et j’essaye de parler de cette symétrie qui se construit dans l’acceptation de cette dualité permanente.

* Quelque chose m’a marquée dans vos textes, c’est la récurrence de l’évocation du sang…


je saigne et m’ensoleille à courir sur tes chemins ( fragilités 9)

tous ces mots par terre. pas de pelle. et le sang qui coule à l’envers ( fragilités 6)

la poche sera légère/ mais l’amour en sang ( extrait de Quand le carrelage est bleu l’eau est bleue)

mon amour me dit/ tu vois tu perds ton sang froid./ moi je crois que je perds mon sang
( extrait de 1 an, 47 vendredis)


Evoquer le sang c’est évoquer la vie. Le sang est rouge violent, le sang ressemble au combat et parfois le sang ne coule plus. Ecrire le sang c’est écrire ce qui coule et ce qui ne coule pas.


* Est-ce que la féminité est une source d’inspiration importante pour vous ?

Je pense au texte de l’exposition La main dans le sac : (…)dedans par exemple il y a mon porte-monnaie-tout rose brillant plein de centimes lourds de cartes obligées de mots d’amour et de photos dans une pochette plastique ou à cette phrase de l’exposition Maintenant : maintenant si un homme me regarde je me dis que peut-être c’est parce que je suis un petit peu jolie.

Je dirais plutôt que j’écris comme une femme parce que j’en suis une et que de ce fait, les femmes se reconnaissent souvent dans ce que j’écris. Je fais cependant la part des choses entre l’écriture destinée aux expositions ou aux objets commerciaux, (lorsque je travaille pour des marques et des enseignes) et les recueils. Dans les premiers cas, je m’autorise des petits clins d’œil à mon statut de « fille », ce qui n’apparaît pas dans mes textes de poésie « pure » ou bien de manière plus distante. Disons que parfois je revendique le fait d’être une femme et que parfois on devine que j’en suis une !


* J’aime beaucoup aussi dans vos textes l’attention portée au quotidien, aux petites choses simples qui s’enchantent grâce à l’inventivité des images ( cf exposition Les amoureux : je t’aime comme les miettes aiment les interstices) et aussi grâce à l’importance de la sensualité, les odeurs ; les couleurs, les parfums (Cf dans Quand le carrelage est bleu, l’eau est bleue : nous nous couchions/ l’après-midi lourde/(…) tout au long d’elle/ accrochées/ à ce rocher de chair/ douce/ collées à son odeur/ de muguet(…°))

Toujours cette recherche du troublant dans ce qu’il y a de plus ordinaire.


• Dans vos recueils, il me semble que vous utilisez toujours la première personne. Diriez-vous que votre écriture se situe dans le registre de l’intime ?

La poésie est intime. Mais il s’agit d’un intime dans lequel entre celui qui veut.
Dire des choses de soi tout en proposant aux lecteurs de s’y retrouver.
La poésie est une sorte de partage, ne serait-ce que par l’émotion que cela peut dégager. Il arrive de lire un texte sans forcément le comprendre et de s’en trouver « rapproché de soi ».

Deuxième partie :

* Le recueil Quand le carrelage est bleu l’eau est bleue ( éditions Clapas, 1999 ), me semble construit autour de moments de vie, la passion, la vie à deux, la solitude, la maternité, les souvenirs d’enfance, la vieillesse et l’angoisse de la mort. Autant de variations de vie que de variations de la couleur bleue…


J’ai constaté, alors que je nageais dans une piscine carrelée de vert que la couleur du carrelage décidait de la teinte de l’eau. En me faisant cette remarque un peu naïve, il m’est apparu que le regard que l’on porte sur les choses, les personnes et les événements leur donne une teinte particulière et j’ai assemblé certains épisodes légers ou douloureux de ma vie comme si mon regard sur eux était le carrelage d’une piscine.

* La couleur bleue revient d’ailleurs souvent dans vos textes, je pense par exemple à l’évocation récurrente de la piscine dans 1 an, 47 vendredis, ou à cet extrait de Fragilités : nous sommes deux océans/ couleur selon convenance/ pour moi ce sera le bleu.

La couleur est mon évidence. Elle est ma force et mon repère dans le trop plein de grisaille imposée. Le bleu entre autres couleurs, parce que l’eau, parce que la mer.

* Le recueil 1 an, 47vendredis ( éditions Clapas, 1999) a la forme d’un journal intime : un poème par vendredi, pendant un an. Pourquoi avoir choisi ce jour-là en particulier ? Comment est né ce projet ?


J’ai écrit autour de ce jour magnétique, qui, le temps d’une année, est
devenu sabbatique. Ce jour de liberté totale a été une vraie expérience. Je me le suis offert envers et contre tout et l’ai rendu vide d’obligations hormis celle d’écrire avant minuit une seule chose de ce jour. C’est devenu comme un petit roman – vrai d’un an de ma vie. Le livre terminé m’a laissé une douloureuse sensation de séparation.

* Chaque poème commence par le mot vendredi. Un rythme est créé par cette répétition. Est-ce que le rythme du poème est important pour vous ? Est-ce que vous lisez vos poèmes à voix haute en cours d’écriture ou de réécriture ?

La répétition en effet marque le rythme et le rythme est essentiel à la musique du poème. De plus, mon écriture étant souvent sérielle, la répétition d’un mot « d’ ouverture » de la série est vitale au poème. Pour ce recueil c’est « Vendredi » décliné en 47 textes mais sur des tee-shirts distribués par Monoprix, c’est « Je suis une fille » décliné en 6 textes, etc…
Lire le texte à voix haute est la garantie que « ça va ». Le son appuie la validité du mot.
J’accorde également beaucoup de place aux ponctuations, qui, selon le placement, donnent une respiration différente au poème.


*Dans sa critique de votre recueil, Stéphane Méliade écrit : C’est que nous aussi, nous avons nos vendredis. Nous avons vécu les mêmes qu’elle, à se demander si elle ne nous raconte pas tout autant, qu’elle se raconte, elle. C’est important pour vous ce côté universel du poème, cette possibilité pour le lecteur de s’identifier?

Cela rejoint « l’intime ouvert à l’autre » dont je parlais plus haut.
La poésie à mon sens n’est pas un miroir réfléchissant. Ou alors il est réfléchissant au sens de « penser ». C’est une fenêtre de soi que l’on ouvre en grand vers l’extérieur. Ecrire de la poésie c’est s’ouvrir à l’autre, le traverser et se laisser traverser par lui.

• Le recueil Fragilités ( éditions du Carnet du dessert de lune, 2004) évoque un amour entre un je et un tu, dans ses contradictions, ses difficultés :

viens je t’emmène/ sur mon vélo cassé
(…)
tu me donnes un sourire magnifique en larmes
tu poses ton amour à mes pieds dans du papier à fleurs.
je cherche la scie.
(…)
maintenant le désir me terrasse mais aussi la peur de l’abandon.
(…)
je saigne et je m’ensoleille à courir sur tes chemins.

Revient dans les poèmes et parfois même dans le vers lui-même, cette tension entre bonheur et souffrance d’aimer. Est-ce que le recueil parlerait finalement de cette acceptation de la contradiction, d’un abandon ?


L’amour, en dehors des 10 premiers jours, n’est que contradictions, difficultés et abandon. Si cela en était autrement, qu’aurions nous à dire de l’amour, qu’aurions nous à en écrire ?
Rien du tout. Et ça, ça n’est pas envisageable !


D’autres publications sont-elles prévues prochainement ?

Il est prévu que paraisse au printemps un recueil intitulé « Trente cette mère avant » édité par Jean-Louis Massot aux éditions « Les Carnets du Dessert de Lune ».
Trente textes qui disent de manière concrète et décalée les questionnements, les angoisses, les espoirs de cette expérience démesurée qu’est la maternité.

Troisième partie :

* Vous formez avec l’illustratrice et plasticienne Stéphanie Tréma le tandem Une à Unes, comment est né ce duo ?

J’ai rencontré Stéphanie Tréma, plasticienne, par l’intermédiaire de ma sœur dont elle était l’amie. Elle s’est intéressée à mes poèmes et a souhaité les mettre en scène. Son travail m’a tellement plu que j’ai trouvé aussitôt des lieux publics où exposer cette « poésie solide ». Pour notre tandem, Stéphanie a trouvé ce nom très doux et évocateur des « une à unes » et puis en 2001, nous avons rencontré Cécile Dufay et Liliane Richard qui fondaient la galerie Edgar…. Et la belle histoire qui débutait a pris son envol.

• Ensemble vous créez ce que vous appelez de la poésie solide. Est-ce une manière pour vous de proposer aux gens des supports poétiques autres que le livre ?

Absolument. La poésie incarnée est un moyen d’expression poétique très fort qui touche un public différent de celui des lecteurs. L’art plastique en expression libre (sculpture peinture, pastels) transforme chaque vers en œuvre d’art. Une œuvre d’art complète que l’on regarde, que l’on lit ; tout cela ensemble.


*Comment s’organise votre travail ensemble ? Partez-vous d’un thème ? Est-ce le texte ou la création plastique qui vient en premier ?


Tout commence avec la complicité née entre nous il y a plus de 10 ans et qui ne s’est jamais départie en dépit de nos routes différentes et des péripéties de l’existence.
Dans un premier temps de la collaboration, nous échangeons des idées, verbalement ou par écrit, puis, je livre le texte par mail à Stéphanie qui s’en imprègne, le triture, le bricole, le manipule, le dessine… ça n’est pas une traduction de mes mots mais plutôt un travail qui s’ajoute à un travail. Ensuite, nous décidons si nos regards superposés sont justes, si chacune se reconnaît et si c’est vraiment cela que nous voulons montrer.


* Vous exposez vos travaux communs à La galerie d’Edgar. Pourriez-vous nous présenter ce lieu ? Avez-vous une nouvelle exposition en vue ?

Edgar a été fondé en décembre 2001 par Cécile Dufay et Liliane Richard. Leur ambition était de valoriser la jeune scène française via, notamment, des expositions thématiques rendant compte de « l’air du temps » de la création, dans la forme comme dans le fond. Depuis l’ouverture de la galerie, près d’une centaine d’artistes y ont exposé leur travail, souvent pour la première fois. La galerie défend particulièrement le travail « incarné » : peinture et sculpture et s’attache à une sensibilité très « french touch » mêlant fantaisie ironique, énergie plastique et sensibilité poétique.
Nous sommes très fières, Stéphanie et moi, de faire partie de leurs artistes « permanents ».
Quant à une future exposition chez Edgar, des idées sont en cours mais cela reste confidentiel pour le moment !

La fiche d'auteur de Marcella sur Terre à ciel


 
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