Salah Stétié dira de la poésie d’être
« sans aucun doute la ligne de crête de l’esprit
». A cette sorte d’évidence, il me plaît
de penser que nous ne savons lire du quotidien et de ses mots de tous
les jours que son bleu trop monocorde ou trop bruyant, ou son gris trop
grave ou insipide, et cependant n’avons-nous pas, de toute notre
force d’être, tressé au-dessus de nos têtes
d’irrésistibles et d’invisibles liens qui nous unissent
de là où le venin se retire, et où le chemin n’est
pas de marcher vers, mais d’errer en suivant le vol d’un
oiseau.
J’aime, en effet, entendre par
poésie, qu’elle est le chemin vers le vide (selon
encore Stétié).
Par chemin vers le vide, il me plaît de préciser
vers le vide qui nous éclaire, ou qui contribuerait à
une plus large respiration, contrairement au savoir qui n’a que
le pouvoir de nous enfermer, au lieu de seulement nous aguerrir l’esprit.
Et puis surtout, chemin vers la rencontre
du présent. Cette grande puissance de l’instant, à
demeurer notre plus grande latitude, du fait que l’instant n’appartienne
ni au passé ni au futur.
Instant qui n’a pour ressemblance
que l’instant. Le temps de ce qui est là et qui n’est
plus là. Le temps de ce qu’il peut y avoir de plus important.
Le temps de ce qui se refuse à
durer, à se figer, ou à se fermer.
Instant déterminé, et
parfois déterminant.
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Il est pourtant attendu de la poésie
qu’elle nous soit air, échappée, coin de verdure,
mais nous faut-il également visiter ses jours et ses nuits comme
lieux de la perte, du détournement, de la diffraction.
J’aime lire de Maryline Desbiolles
: Plus on tente de s’en sortir et plus on s’essouffle,
plus on manque d’air.
Ou encore chez Antoine Emaz : à
des moments//on voudrait fuir//jusqu’à n’être
plus rien//qu’un vent de sable//un givre…
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A chaque instant s’en sortir d’être
prisonnier de ce qui n’est pourtant pas un enclos, mais plutôt
une terrasse exposée à tous les vents.
S’exiler dans l’essoufflement
des feuilles, à ne pas vraiment comprendre ce qu’il nous
faut y trouver ou y perdre.
Se recueillir près de l’eau
sensible du cœur, comme le jour tout de rondeur et de douceur nous
accueille.
Et puis attendre que la nuit efface
le chemin.
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Où la page n’est pas blanche,
mais vide.
Toujours plus près du silence
qui vit tout à la fois de son feu et de son eau.
Vers ce chemin où je me relègue
et qui fait mon enthousiasme.
Nathalie
Riera
Paru dans « Une étape dans la clairière
» des Carnets d’Eucharis n°6 du 13 mai 2008
http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/archive/2008/05/15/chemin-vers-le-vide.html