TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
Abécédaire de voyage de Valérie Linder
éditions Esperluète

 

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J’ai posé le dernier livre de Valérie Linder, Abécédaire de voyage ( aux éditions Esperluète ) sur le bar en bois de la cuisine. Je ne peux me résoudre à l’enfermer dans la bibliothèque. J’aime qu’il soit là, à portée d’yeux et de mains. Les miennes, mais aussi celles des enfants, des invités.
Depuis qu’il m’est arrivé de Belgique ( saluons le travail de cette maison d’édition, qui propose des livres de formats et genres variés, laissant une place importante tant aux mots qu’aux réalisations plastiques ), la pièce de puzzle sur la couverture m’intrigue. Si l’on change un détail d’un paysage, d’une certaine façon on le modifie complètement. Les lieux pourraient ainsi varier à l’infini. Question de point de vue, aussi. Ce mot d’abécédaire dans le titre m’évoque l’enfance. Mais une enfance qui nous concernerait tous, quel que soit l’âge, celle du regard. Invitation à le renouveler sans cesse, à lui rendre toujours sa virginité, sa faculté d’émerveillement et d’étonnement.
C’est un livre de petit format, qu’on peut aisément glisser dans son sac. Le papier est quadrillé ou ligné de diverses façons. Parfum d’école, souvenirs de cahiers. Mais chez Valérie Linder, l’école est buissonnière, en suspension entre rêves et réalité, funambule sur le fil de l’imagination. Il y a des fenêtres invisibles qu’on peut ouvrir, tout le temps, pour inventer sa propre route.
Sensualité du rouge des lettres tampons, de l’écriture manuscrite du texte, et puis de la technique du frottage, trace d’un objet choisi pour chaque lettre. Des objets variés comme des timbres, un pinceau large, des lettres magnétiques, une feuille d’arbre, une pince à linge, une cuillère, une enveloppe…La texture de la réalité rendue ici interroge le lecteur sur ce qu’est le voyage. Idée qu’on peut rapporter des traces toutes simples, en étant actif, créatif, en allant à la découverte du lieu arpenté. Le voyage comme une rencontre, entre le paysage et l’être, rencontre singulière et humble, à l’opposé d’un tourisme de masse et consommateur.
Ces objets sortis du quotidien nous disent peut-être aussi que le voyage commence ici et maintenant, qu’on peut appréhender différemment les lieux où nous vivons, en décalant, réinventant notre regard. Le mouvement du crayon, visible sur les pages, donne envie de créer aussi, de collecter des traces infimes de la vie de tous les jours.
En face de chaque objet frotté, en dessous de chaque lettre, une série de mots, plus ou moins longue. Ils sont barrés et en laissent un autre, rouge sang, rouge vie, s’épanouir en bas de page. En face du peigne, organiser, oui, ouir ouie appellent obstacle. En dessous du C qui accompagne le pinceau large, cachette, cahier, carnet, calendrier, carte sont raturés et c’est chemin qui arrive.
Le décalage entre les dessins et les mots invitent à une autre perception de la réalité. Autant de réalités que de regards. Libres associations pour faire naître un autre sens. Il y a là, aussi, quelque chose de profondément ludique et joyeux.
Il me semble que s’y dit quelque chose de la création : mouvement, recherche, invention, allers-retours. Une histoire de chemin. Une histoire de vie quoi.
Un très beau livre plein d’originalité pour accompagner nos voyages petits et grands, ici ou ailleurs, tout près ou très loin.

Cécile Glasman


 
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