Comment parler du dernier recueil d’Alain
Freixe Dans les ramas, paru aux éditions de l'Amourier,
sans commencer par ce que ce titre évoque. Ramas : ramasser,
recueillir, assemblage d’objets divers, sans valeur, feuilles,
branchages,…
Mais la dédicace que m’a faite Alain Freixe : «
Que lire Dans les ramas, soit comme allumer quelques grands feux »
confirme bien ce qui se dit, ce qui s’écrit ensuite : «
confectionner des fagots », « allumer, l’hiver venu,
tous les feux ».
« Ce serait comme un grand vol de feuilles
mortes » (page 11)
Cet éclaircissement fait, Dans les ramas, se lit d’un souffle.
Un texte comme un « flot de pensées
qui ne s’arrête jamais ». Ce que je retiens
de la signification de Ramas : une somme de souvenirs éparpillés
qu’on assemble pour réveiller notre mémoire. Souvenirs
aussi bien sensoriels, liés à la terre, au ciel, mais
aussi nos angoisses, nos joies, la vie qui passe. Même si des
passages sont plus « écorchés » que d’autres,
il y a toujours une sensation de sureté, d’abri.
Cette impression de sureté tient au fait qu’Alain Freixe
nous ménage en alternant entre textes en prose et vers comme
pour nous donner le temps de souffler avant de reprendre une lecture
de plus en plus dense au fil du recueil. Les passages en prose provoquent
une certaine tension dans le corps, le souffle court. J’ai envie
de comparer Alain Freixe à un compositeur de musique, alternant
grands fracas et silences.
La poésie d’Alain Freixe,
une poésie de l’image ? Je pense que oui, elle est très
visuelle, avec un champ sémantique proche du monde qui nous entoure,
de la nature. Cela nous parle ainsi de manière sensible et raffinée
du fond en nous. C’est cela qui met «
à nouveau le branle. La mise en route. » (page
17) Dans les éléments de la nature, Alain Freixe s’interroge,
s’ancre, trouve ou perd ses repères.
«Il
me faut des images. Et ce vent qu’elles descellent dans les murs
de l’air. Ce vent qui les tient. Et les porte. »
(page 37)
« On
lance ses yeux. La neige tombe, tourne et remonte. Parfois du tourbillon
naît un oiseau. Entre deux branches. Deux verts. Dans le blanc.
Sa flèche creuse l’air dans les arbres disparus. Le ciel
se reforme. Se ferme vite. On n’ira pas plus loin » (page
39)
Poésie de l’image mais
aussi poésie sensorielle. On sent le souffle du vent passer sur
le corps. On sent la caresse de la main, les lèvres, la poitrine.
Et même l’ombre. Celle-ci qui nous renvoie le propre de
notre conscience, ou l’inconscience, les doutes, ce qui «
défroisse l’âme ».
Poésie pleine de l’homme.
On y voit notre vie défiler avec tout ce qu’elle comporte
de souvenirs, peurs et joies. Le soir s’il s’y engouffre
ne reste jamais longtemps, il y a toujours les rayons du soleil, le
souffle du vent et de l’eau «
seulement pour rafraîchir » (page 19) avant
de repartir vers une sorte de manque d’air, de salive, vers quelque
chose qui nous angoisse.
« L’attendre.
La voir s’installer en bordure de lèvres quand c’est
la poitrine qui traduit l’air et que le silence plonge jusqu’aux
nerfs. Ce peu d’air que la chaleur consent au pays. A ses ruines.
Et c’est sac et ressac dans la bouche. Salive de plus en plus
rare. Comme un rai de lumière dans un froid de clairière
surprise. » (page 29)
Poésie qui s’interroge
sur l’acte d’écrire. Réflexion sur l’écriture,
la manière dont viennent les premiers mots.
« écrire
comme on se confie
au vent dehors
pour personne » (page 41)
« j’attends
que passent les mots qui dans la bouche tordent la gorge sur soi. Desserrent
la trachée. La lavent. Et roulent jusqu’aux dents. S’amassent
sous la langue » (page 40)
Poésie que je continue de découvrir,
à lire et relire pour y voir se détacher de nouvelles
feuilles, de nouveaux bouts de bois, comme pour que les grands feux
jamais ne s’éteignent.
Par Cécile Guivarch