TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
Stéphanie Chaillou « Un léger défaut d’articulation » (récit)
(éditions ] isabelle sauvage, 2009)

 

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Certes, le texte n’est pas tout récent. Mais une première lecture publique de ce texte, par l’auteur elle-même, a eu lieu lors de Midi-Minuit Poésie à Nantes, en octobre 2012. Choc. Ce texte tournait déjà, mais avec une comédienne. Là, lors de cette lecture, mêlées, les voix de la poète, de la comédienne et d’une guitare électrique. Et quand même, surgit le texte. Quand même parce qu’il n’a pas besoin d’être porté par autre chose que lui-même, et la voix de son auteur.
Le texte fait force, tient debout. Sa lecture, seule, le confirme.
Le titre Un léger défaut d’articulation peut s’entendre de deux manières : le dire, la difficulté de dire et / ou comment, soi, on articule sa vie dans le monde. D’ailleurs, Stéphanie Chaillou a pris le parti d’écrire des phrases en caractère gras, quand il s’agit du je, et en caractère simple, quand elle énumère le monde.

« je m’achète des livres presque toutes les semaines des truelles, des paysages marécageux dans le train, je préfère voir les paysages s’éloigner plutôt qu’apparaître des autobus, des verres en cristal, des interrogatoires je possède un sac à dos troué »

C’est peut-être de cette articulation là dont il est question : le monde et soi.
Le texte (une centaine de pages), dénommé récit sous le titre de la couverture, se présente sous forme de paragraphes en prose. Chaque page est pleine, remplie de mots, d’énumérations. Pas de points. Pas de majuscules. D’une traite. Pas vraiment de début, pas vraiment de fin. Un morceau de vie.

« une nuit, j’ai pensé faire une thèse sur Musil, j’étais dans une CX et je revenais du ski des icebergs, des livres de théologie, de l’encre quand j’étais professeur, je n’aimais pas mes élèves des campus universitaires, des mères porteuses, des soldes de tout compte je préfère les matins aux après-midi de la poussière d’étoile, du tri sélectif »

Le texte est déroulé comme une longue liste. Et plutôt que ces listes de ce qu’on l’on veut faire dans sa vie, la poète se livre à une liste de soi. Un autoportrait sous forme de banalités. Il est question d’identité sexuelle, d’identité sociale, de famille, de liens, d’amours, de voyages, de goûts, de dégoûts. Et le monde tout autour.

« j’ai une machine à laver le linge il y a des routes communales, des trottinettes, des croyances je possède la même chaîne hi-fi depuis douze ans des embruns, des missiles, des familles je ne sais pas si je suis de mon époque »

La force du texte tient dans sa forme. Dans l’humour parfois qui surgit d’une phrase l’autre sans rapport aucun.
Stéphanie Chaillou est entre Sabine Macher pour l’expression de l’extrême quotidienneté, de sa banalité et Jean-Michel Espitallier pour la forme, la scansion. Elle livre un texte entêtant, qui nous renvoie aussi à nous-mêmes.

« je me dis qu’il faudrait peut-être pouvoir tout oublier des hauts-le-corps, des rejetons, du kir royal, je pense à l’inachevé »


Sophie G. Lucas

 

 
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