TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel

 

Retour aux bonnes feuilles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 


"Neige exterminatrice, poèmes 1967-2003" de Christian BACHELIN (Le Temps qu'il fait, 2004)


Il fait froid, très froid dans les poèmes de Christian Bachelin. Il y a du vent, de la neige, des paysages rudes de campagne l'hiver. Et quand il n'y a pas de neige, il y a l'espoir de la neige, la nostalgie de la neige. Il l'écrit lui-même dans un de ses poèmes : "Je suis né du caillou et du flocon de neige". Et le caillou semble plus souvent dans la chaussure que dans la poche : ce ne sont pas des poèmes confortables.
Lisant Bachelin, on pense à cette phrase de Victor Hugo, "Un poète est un monde enfermé dans un homme". Et quel monde. Bachelin livre au travers de cette anthologie un univers singulier, aux "vers fantasques, baroques, syncopés" souligne Valérie Rouzeau préfacière de l'ouvrage pour l'occasion. Valérie Rouzeau qui a à cœur de faire connaître l'œuvre d'un Bachelin injustement méconnu, "un toqué prodigieux, un sage immodéré, un fou plein de raison" (V.R).
Cette anthologie regroupe cinq ensembles : "Neige exterminatrice" (1967), "Le phénix par la lucarne" (1971), "Médiéval in blues" (1979), "Romance sans issue" (1991) et "Élégie en gris mineur" (inédit).
Sur toutes ces années, on remarquera une certaine régularité dans la forme de sa poésie, d'une facture assez classique, lyrique même. L'audace, l'invention, sont dans ce que disent les poèmes du monde intérieur du poète. Il fait un pas de côté et nous perd dans son univers, et puis il nous raccroche avec des textes plus réalistes où le "je" se révèle proche, tout proche. Mais avec Bachelin, tout se mêle : le réalisme et le rêve, la vérité et l'invention.
"Je désespère du réel / Comme un rêve à raconter"
Sa poésie est marquée par un certain désenchantement, une difficulté à vivre ce monde, et une grande, une profonde solitude, raison pour laquelle, peut-être, il s'extrait de son époque.

"J'écris ce poème avec de la fumée / Avec du sable avec de l'ombre / Mes mains s'enfoncent dans la neige / Sans jamais rencontrer la terre"

"La vie va trop vite pour être vécue"

"C'était la vie courante un nuage après l'autre / Et la fenêtre ouverte au gouffre quotidien"

"Je n'ai plus rien à perdre que ce poème / Que les mots de ce poème / Ce testament à bout de souffle / Sur la dernière page d'un cahier d'écolier"

"Retiens-moi si je penche du côté de la mort / Plus rien ne me sépare du dernier faux pas / Que ce mince parapet d'herbe folle et de brume / Plus rien que la maigreur de tes arbres malades / La ferraille grinçante d'un passage à niveau / Plus rien que ta grisaille amère et fraternelle / Paysage de miséricorde / Paysage de n'importe quoi"

"Je suis n'importe qui / Mêlé à la poussière errante de la foule / Et mes mains sont trop lourdes pour la poésie / Et mon cœur se renverse à la table commune / Trinquant à la santé du monde comme il tourne"

"Aurais-je vécu et de quelle vie hors du temps / Dans cette silencieuse maison étrangère / Qui s'ouvre parfois d'une porte secrète / Dans la plus anonyme des rues quotidiennes / A l'endroit le plus seul du pays intérieur"

Une vie hors du temps qui se manifeste de manière plus prégnante dans "Le phénix par la lucarne" et "Médiéval blues".
Dans ces deux ouvrages, sa poésie semble plus étrange. On s'enfonce dans ses mondes imaginaires marqués par la rudesse des images, la rigueur de la campagne, le froid, toujours le froid. On y croise des loups, des forêts, des saltimbanques, des anges, des philtres, des gargouilles.

"Quel pharaon fantasque je suis dans les songes / Ou gueux de Moyen-Age aux beuveries de tavernes / Direz-vous qui je suis sous le masque de plâtre / Dans les cryptes du ciel dans le secret des âges / Tel m'en allant boitant ma quotidienne absence / Jusqu'en l'indifférence glauque d'exister"

"Forêt à l'horizon intemporel / Forêt comme gravure allemande d'un autre siècle / Où tout à coup fulgure le glaive des anges / Dans le noir des arbres aux approches de la neige / Forêt de hautes gargouilles déchiquetées / Sommeillante forêt de sombre et somptueuse/ Intimité nocturne"

Et puis, cette manière de ramener le réel dans quelques textes glissés dans ce monde fantasque. L'enfance qui revient comme un fantôme avec ses chaînes :

"Prendre l'autobus un soir de banlieue nord / Boire son café noir se souvenir encor / D'une enfance et d'avoir vécu l'inexprimable"

"Seriez-vous morte ou prise d'un autre silence / Mémoire de l'enfance hibernante mémoire / Comme une ombre en allée de moi-même et menant / Son destin parallèle en des châteaux d'absence"

Le poète sait rendre à sa manière les images du quotidien, la rue, les gares, les banlieues, les bistrots.

"Pourquoi pas quelque part du côté d'un remugle / De triste bouillon Kub d'un bistrot du hasard / Instants passés à secouer des tabacs fugaces / Voyages suspendus hagard espoir de neige"

"Horizon de suie et de carottes gelées / Vieux terminus des tortillards dans les grésils / Certains noms de villes écartées : Armentières ou Longwy"

"Un papier de super-lady publicitaire / Sur des murs de banlieue tombe en déliquescence / La modernité s'éclaire à l'immémorial / D'un bout neigeux de ciel par-dessus des citernes"

"Romance sans issue" adopte une forme et un rythme assez différents des ouvrages précédents. L'impression, aussi, par cette forme, soit en répétant le dernier mot du vers précédent dans le vers suivant, ou bien sans lien apparent, que le poète tourne en rond. Il y a comme une sorte d'enfermement, une difficulté à faire sens, sinon à donner vie, sentiments, aux objets.


"Les chemins de fer angoissent les touffes de chiendent
Les touffes de chiendent condensent l'indicible
L'indicible éprouve ce que ressent le ciment
Le ciment ressent l'écartèlement des temps"

"Les regrets paisibles engourdissent l'as de pique
L'as de pique n'y peut rien si la mort est vide
Le vide s'épaissit dans les chambres éteintes
Les chambres abandonnées contemplent l'air confiné"

"Les poêles à frire marchent avec des béquilles
Les béquilles battent le blé dormant
Le blé sème les villages d'avant"

Enfin, les textes inédits de "Elégies en gris mineur" semblent plus proches du monde réel. Le poète parvient à capter les états d'âme avec une grande sensibilité et à ralentir le temps.

"Goûtons un peu la reposante désolation / De ces petites rues indolentes qui traînent / Dans des quartiers un peu sur le côté de la lune / Avec au fond de l'air on ne sait quoi de terne / Faisant songer à de la poudre de shampooing sec / Ou bien à de maussades matinées ménagères"

"Le cambouis indécis n'expliquera jamais / Pourquoi les feuilles sont tristes entre deux coups de vent / Dans l'immobilité grise des après-midi / Quand les pigeons se montrent juste assez poussiéreux / Pour suspendre dans l'air quoi donc d'un peu anxieux"

"Près des gares stagnent les petits troquets / Avec toujours un coin sous un tube au néon / Pour y reprendre un peu ses distances intimes"

Valérie Rouzeau rapporte que "Christian n'écrit presque plus. Il dit qu'il a perdu le sens poétique de la réalité"

Bibliographie :
Outre cette anthologie qui réunit quatre de ses livres,
"Fatrasies en revenant d'aujourd'hui" (La Bartavelle, 1988)
"Complainte cimmérienne, poèmes" (La Différence, 1989)
"Cantilène engloutie, poèmes" (La Bartavelle, 1991)
"Atavismes & nostalgies" (L'Arbre, 1999)
"Butoirs rouillés de la mémoire" (La Bartavelle, 2000)

En prose :
"Soir de la mémoire, suivi d'une étude de Jacques Sommer" (Méréal, 1998)
"Y seul" (Zulma, 2001)

Sophie G. Lucas (décembre 2009)

 
 
Textes et photos - tous droits réservés