Née
en Vendée en 1957, Cathie Barreau a dirigé la Maison Gueffier
à La Roche-sur-Yon, lieu d’écriture et de lecture, durant
14 ans. Elle organise des formations et des évènements autour
de la littérature contemporaine.
Bibliographie :
Les premières choses mais les oiseaux, éditions
Laurence Teper, 2009
Ecoute s’il neige, éditions Laurence Teper, 2009
Résonnent les voix des hommes, publie.net, 2008
Parlez-moi du feu, atelier du Bief, 2007
Forgé verni, livre d’artiste, atelier de Villemorge,
2007
Visite aux vivants, éditions Laurence Teper, 2007 (Prix
Marguerite Audoux)
Journal secret de Natalia Gontcharova, éditions Laurence
Teper, 2006
Trois jardins, éditions Laurence Teper, 2006
Ouvrant ce livre, on hésite : va-t-on lire une succession de proses
poétiques ou bien suivre le déroulement d’un récit
? Les titres des trois chapitres qui composent le livre nous donnent quelques
indications : « Les premières choses que j’ai vues
quand je suis née », « Les premières choses
que j’ai vues quand je suis morte », et « Les
premières choses que je vois quand je renais ».
A la manière des « Notes de chevet » de Sei
Shonagon , Cathie Barreau utilise la forme de l’énumération
de faits ordinaires pour évoquer son enfance. Du moins le croit-on
au départ. Chaque texte s’ouvre sans majuscule, comme s’il
s’agissait d’extraits d’une énumération
plus vaste qui se poursuivrait ailleurs, et se clôt à demi
par l’usage du point virgule. Tous les verbes utilisés dans
ces textes sont au présent, invitant le lecteur à vivre
chacun des moments évoqués aux côtés de la
narratrice.
Cependant, beaucoup de mystères planent sur cette écriture.
D’abord, les souvenirs évoqués dans la première
partie ne peuvent en être réellement puisqu’ils remontent
à la toute petite enfance (« quand je voyage dans les
bras de papa un soir de mon premier automne »). Le point de
vue adopté est en effet celui d’un nourrisson qui perçoit
des bribes du monde extérieur à travers l’ensemble
de son corps, en dépendance absolue avec le milieu dans lequel
il évolue.
Mais revenons au titre, « Les premières choses mais les
oiseaux » : il y a là comme un avertissement. On va
parler du commencement, du début, de ces choses présentes
à l’origine… mais la contradiction est aussitôt
soulignée, quelque chose va être empêché. Peut-être
faudra-t-il se méfier des apparences. En effet il y a une rupture,
nette. Le premier chapitre, beaucoup plus long que les suivants (38 pages,
contre 14 pour le deuxième et 17 pour le troisième) installe
le contexte de l’enfance : un milieu familial sécurisant
et tendre, sans motif d’inquiétude : « chaleur
tendre du bain que ma mère a goûté du coude »,
« la voix sévère de mon père et son index
qui vite arrache les gravillons de ma bouche qui bave un peu et ses yeux
inquiets et tendres » , jusqu’à ce que le corps
de l’enfant se mette à souffrir : « craquement
dans moi, odeur putride, nausée, lait caillé et oreiller
humide, crampe et pleurs, appel, le pas précipité de maman
» . C’est un des tours de force de ce récit de
nous faire suivre la progression du mal du point de vue du nourrisson.
On ressent ainsi vivement l’impuissance et la vulnérabilité
de l’enfant. L’inquiétude des adultes est perçue
à travers des signes extérieurs « ombre inconnue,
voix inconnue, grave et maman qui parle : elle est perdue, gouttes, biberon
d’eau six fois et du sommeil, voix grave de l’homme docte
plus tard encore, souvent elle revient et gouttes, biberon d’eau
six fois » .
Le deuxième chapitre semble une continuité du premier dont
il perpétue la forme, mais cette fois les énumérations
sont plus longues et l’univers qui surgit apparaît plus étrange.
Si le premier chapitre s’ouvrait par « des humains et
des chevaux », le deuxième, dans un parallélisme
frappant, s’ouvre par « des humains et des bestiaux ».
Le changement est d’importance. Les scènes décrites
dans ce deuxième chapitre se déroulent dans un pays lointain,
étranger, l’enfant et sa famille évoluant au sein
d’un peuple nomade auquel ils semblent appartenir : «
des foules d’hommes et de femmes aux cheveux noirs, longs, des bisons
légers » , « les cousins qui vont au bord
d’une rivière, leurs cheveux bien tirés en tresses,
leurs longues tuniques jaunes, orangées qui font des taches de
lumière sur le vert du rivage ». Le mal de ventre qui touche
l’enfant est le seul lien, ténu, qui semble l’identifier
à l’enfant du chapitre précédent. Cependant,
la description de la mère ne laisse pas de doute sur son appartenance
à ce peuple nomade « ma mère penchée sur le
feu à tisonner les métaux avec adresse, et elle, nous regardant,
le visage impassible, la natte noire enroulée autour de sa tête,
la tunique vive ».
Tandis qu’on suit l’avancée de cette lente cohorte,
apparaissent des oiseaux « des corbeaux aux grandes ailes déployées,
volant au-dessus du chemin, des arbres et des rivières, des oiseaux
accompagnant la marche des humains et des bestiaux », «
des volées d’hirondelles plongeant dans l’horizon »,
« des pluviers acrobates », « deux oies venant de l’ouest
dans le ciel ». L’évocation devenue plus visuelle
se charge de mystère. L’enfant, transporté dans un
panier en osier sur le dos d’un animal, observe le monde avec lequel
il établit des communions secrètes :
« une vieille femme habillée d’une jupe rouge (…)
sa bouche qui raconte des mots incompréhensibles qui n’intéressent
personne mais qui sont entendus de tous les chemins quittant la plaine
et allant vers les vallées, et moi répétant ces mots
en phrases mélopées, rythmées soudain à mon
oreille, le vieil homme aux paniers de noisettes me regardant, étonné
que je sache aussi les phrases naturelles que je ne comprends pas et qui
viennent tout bonnement de mon ventre » .
Des visions plus inquiétantes surgissent au détour du chemin
: une fête enfouie dans un ravin profond, la mère qui pleure
sur cette fête qui s’éloigne dans le fond de la terre
« le visage penché sur le ravin, les mains tendues vers
le vide » , une course de chevaux qui menace d’écraser
l’enfant sans que la mère ne s’aperçoive de
rien. Autant d’indices qui empêchent le lecteur de savoir
s’il se trouve face à des scènes vécues ou
rêvées. Et c’est là tout l’art de Cathie
Barreau de savoir nous maintenir dans cette hésitation.
En effet, l’enchaînement des trois chapitres peut laisser
supposer qu’il va s’agir du récit d’une petite
enfance coupée en deux par l’événement de la
maladie : vers une mort annoncée, puis la renaissance. Si le texte
déroute le lecteur en le faisant voyager d’une enfance imaginaire
à une autre, il semble bien dérouler trois étapes
de vie : la toute petite enfance, le déplacement nécessaire,
et ce retour vers les décombres de l’enfance.
Cette fois, toute présence humaine a disparu, la famille n’est
évoquée qu’à travers des objets lui ayant autrefois
appartenu. Le paysage est apocalyptique « odeurs de brûlé
et de terre inondée », « monceaux de voitures calcinées
», « château amputé de ses tours », «
des ruines d’étables, de granges, des puits enfouis dans
la terre ». La seule présence vivante est celle des
oiseaux : tourterelles mourantes que la narratrice ramasse, moineau, bergeronnette,
sansonnets, étourneaux… et à nouveau cette nécessité
de la marche.
Curieusement, le constat n’est pas amer, l’effondrement des
maisons libère de l’espace, éclaircit l’horizon,
et invite au départ « mon regard encore une fois vers
ce qui fut ma maison, puis la direction plein sud qui s’ouvre comme
jamais ». Sorti de sa dépendance familiale (dont l’héritage
est toutefois présent), l’être doit désormais
affronter sa solitude. Les dernières scènes évoquées
se présentent comme autant d’étapes à traverser
en vue de cette nouvelle naissance, celle de l’être devenu
sujet. Le titre de ce dernier chapitre est d’ailleurs le seul qui
soit conjugué au présent « je renais »,
utilisation suffisamment peu courante pour être soulignée
: c’est un thème récurrent dans les livres de Cathie
Barreau que celui de la naissance comme acte lent, qui peut prendre une
vie entière. Il est, ici encore, magnifiquement illustré.
A noter que l'image de couverture est de Patricia Cartereau, peintre,
dont l'univers est celui de l'enfance, des animaux, avec toute l'ambiguïté
du merveilleux et de la mort... Une compagnie qui sied bien au texte.
Sabine Chagnaud, janvier 2010
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