TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
Le silence des pierres, "Mystes"
de Matthieu Baumier
(Le Nouvel Athanor, 2013)

 

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Le silence des pierres est un recueil de toute première importance, vibrant d'un souffle qui épouse le battement de cœur du monde et des hommes, du visible et de l'invisible, un souffle qui n'est pas laissé à sa rudesse et à son approximation, un souffle qui n'est pas confié aux grandes envolées de son mouvement mais un souffle qui est sculpté, très précisément sculpté pour que se révèle, exhaussé par ce lent travail de sculpture, ce qui le constitue en propre, et qui en est l'identité véritable, bien qu'inapparente : le divin.
Encore ne s'agit-il pas avec Matthieu Baumier de faire sourdre le divin de la seule contemplation de la nature ou de la douceur en quoi nous plonge le cours du temps qui nous emporte en emportant avec nous les frêles esquifs de nos rêves.
Non, le divin se cache en toute réalité, même la plus cruelle, même la plus incompréhensible. Et Baumier ne s'interdit de parler de rien, d'aucun degré d'intensité de l'embrasement du monde auquel les hommes sont voués, depuis un siècle, enfilant les grains noirs des guerres sur le fil rouge que la vie porte à son cou.
Car le Poème, ce souffle si intensément sculpté (ce recueil exalte un véritable travail d'orfèvre : cela se ressent à chaque vers), a pour vocation de pouvoir tout prendre en son sein. Même le plus douloureux. Même le plus éloigné de lui.

« Ils sont venus à l'approche
Du soir
Les mains pleines de tortures

Ils sont venus cracher
Sur le clair de terre
La chair exposée des clairières

Dis-moi, Poème
De quelle matière
                          tout cela est-il fait ? »

Le Poème a pour vocation de (pouvoir) tout prendre dans son cœur. Même le plus ineffable. Surtout le plus ineffable. Mais alors comment passer dans le Poème cette part d'indicible qui constitue la nature même des choses (la nature, la mort, le temps qui passe, la cruauté des hommes, l'absurdité de la modernité...) qui nous transpercent en même temps que nous échouons à nous inscrire totalement en elles, demeurant spectateurs de leur cours, de leur envolée, non, croyant en être spectateurs, nuance, car c'est au plus profond de nous, de notre tête, de nos entrailles, qu'elles la conjuguent, cette envolée, à jamais incessante.
C'est là, semble nous dire constamment Baumier, la fonction de l'image poétique, qu'utilise abondamment, et toujours de singulière façon, l'auteur. Et l'image poétique a une autre fonction encore : par elle, nous entrons dans la beauté. Par elle, l'auteur sculpte un souffle en le rendant à sa magnificence première, qui est la magnificence du monde, de l'être, du vivant. L'image poétique permet que soit déployé « le mot ailé du monde », en faisant en sorte que chaque poème soit un « estuaire d'alchimie ». Ce mot est « ailé » car il parvient à dire le monde en le rendant dans sa ténuité, dans son évanescence, dans sa transparence également, puisque « le réel s'impose, // Vient, s'en va / Comme le trait simple d'un crayon. » Par l'image poétique, « [a]ux astres des hiéroglyphes sans visages / Ce sont des voix qui [...] cherchent [le poète] / Et grimpent l'escalier les marches // Noires / Blanches / Rouges // Pour s'immobiliser enfin / Entre Ciel et Terre / Et repousser au loin / L'absente source de l'ignorance ».

Et, par le Poème, il ne s'agit pas seulement de « repousser au loin » cette « source de l'ignorance ». Une autre dimension est extrêmement vive dans le recueil de Baumier. La poésie est vécue de l'intérieur comme un acte de résistance. Et le poète de citer ce vers de Roberto Juarroz en exergue : « La poésie est l'ultime recours ». Dans notre monde semblant gangréné en son cœur par le nihilisme, dans une humanité où la capitalisme a coloré de son empreinte jusqu'au tour que prennent les relations entre les êtres, où les arts exaltent la violence et cherchent à transmuer la provocation en maïeutique, en somme, dans un monde où il semble ne plus y avoir du tout de place pour le Poème, celui-ci est plus que jamais d'actualité, plus que jamais essentiel. Plus que jamais nécessaire. Le recours au poème, que conjugue semaine après semaine le site du même nom, est l'actualité la plus profonde à laquelle les hommes doivent vouer leur soif. Leur soif de vivre et d'agir. Puisque cette actualité relie les êtres, en même temps qu'elle les ouvre à une parole qui revivifie sans cesse le monde et qui est l'essence même de la vie, en tant que manifestation sensible du divin.

« Une pincée de brume

                           s'insinue

à l'écume des vagues crénelées.

La coulée désespérée, saillante

                           s'ébroue

à l'indigence des matins fanés.
À la parole devenue folle.

Que peuvent-ils ?
Que peuvent-ils, maintenant,

Les mots du simple
Les mots du Poème ?

Il est trop tard trop tard.

C'est l'heure, pourtant, l'heure du recours

                            Au Poème. »

Matthieu Gosztola, mars 2013

 
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