Le vide a ses rives
Bruno Normand livre une fois encore,
avec « Du contour » (Ed. Wigwam), un très
beau texte. Un texte plein, ample, bavard. On n'entre pas aussi facilement
dans « Du contour » que dans « D'un léger
retrait » (Ed. L'Horizon Vertical, 1993), un des rares autres
ouvrages de l'auteur.
Il s'agit là d'un texte en prose, qui remplit les pages de ses
signes en minuscules. Des kilomètres de phrases. Des retraits
à la ligne, des espaces malgré tout. Pour que l'on respire
un peu. « Du contour », c'est la géographie
de lieux et d'un homme. Autour de cet homme, ce qui l'entoure. Les contours
: des villes (Vannes, Le Croisic, Saint-Nazaire, Nantes..), des femmes
(Laura, Emmanuelle, Myriam, Carole...). Il enchaîne des gestes,
des actes.
« Je rentre du port, j'ai mangé adossé à
des casiers, j'essaie d'écrire ».
Souvent, un certain détachement de sa part :
« Maintenant, elle chiale / cela m'étonne autant que
le néon de tout à l'heure. »
On est parfois dérouté car on saute d'une scène
à une autre, d'un lieu à un autre, d'une femme à
une autre. Extraits d'un journal? De notes?
On bute sur ces parenthèses au beau milieu d'un texte (...),
des mots, des phrases qui ne se terminent pas :
« Je te demande donc de cesser de (...) »
« les mots si vrais, si faux, si (...) »
« il était temps que je le fas / (...) »
La vie qui continue hors du texte. D'ailleurs, le livre commence ainsi
:
« (...) Le Croisic / Véronique. Je m'excuse fait-elle
ma fille attend dans le bain, je risque d'avoir un coup de fil,
je vais mettre un téléphone dans votre chambre, la clé
est sur le compteur »
et se termine quelque treize pages plus loin, sans point
Et puis, l'auteur a cette manière, déjà remarquable
dans « D'un léger retrait », d'écrire
le monde, son monde, celui qui l'entoure (« Du contour »).
Lui et le reste. De sa place. Il réussit le difficile équilibre
entre le réalisme et une petite pointe de lyrisme (qui fait penser
à ces magnifiques auteurs américains, Thoreau -qu'il cite-
Kerouac, Whitman ou Ginsberg). Il est aussi doué pour décrire
la nature que la pauvreté du quotidien.
« quoi/ l'herbe, les martinets, les marcheurs surpris
l'odeur de la pluie, les fougères, le morceau de pain, le bec
du moineau
la porte bleue/ »
« télé noire Daewoo, meuble en rotin clair,
mouchoir à fines rayures rouges
du désordre, des oreillers, des motifs médiocres. »
« le vieux voisin un peu ivre, les puces de la chienne »
« /flamme du paludier, le tracteur jaune
les mouettes rieuses, la mouette rieuse, les chevaux, l'affolement
des chevaux
le tracteur vert, le café, le break rouge, le croisement, la
route »
Et cette phrase qui en dit un peu plus sur cet auteur
qui se fait trop rare :
« / l'utilité d'écrire, de
laisser une trace, vous semblez me poser la question?
je n'en sais trop rien, le vide a ses rives »
Par Sophie g. Lucas