1)
Voici une poésie limpide et énigmatique.
Limpide : faite que de mots simples, courants ; écrite en vers
brefs, sans aucune gymnastique prosodique :
cela s’en va / comme
un nuage.
Facile (ce mot est un compliment)
Enigmatique : par l’utilisation de pronoms indéfinis :
on, nous ; mais surtout : cela, elle (de grande
déferlante / elle devient étier / puis s’abandonne
/ s’évapore).
Indéfinis ? Sont-ils réels ou métaphoriques ? De
poème en poème, est-ce la même chose qu’ils
nomment ? :
pourquoi / ne pas / aller / à sa rencontre
// elle ouvre / les yeux / les mains // nous voit-elle / elle essaie
pourtant.
Aucun « Je » en tout cas.
2 ) Voici une poésie de l’ordinaire et ontologique.
De l’ordinaire (traitons la chose par l’exemple) :
il y a le jour / qui fume // le temps / garé
en double file // les yeux circulent / rien à voir.
On voit tous la scène dont la puissance
de suggestion est décuplée par le remplacement du mot
« bagnole »…
Ontologique (un exemple aussi) :
comme / au bord / de l’eau // un goût
de vase / en bouche // on voit son reflet / balloté / sur la
surface ridée / par le vent // On est / seul / avec sa voix /
intérieure // penché / sur l’étang.
Cette quête ontologique reste («
reste » c’est un des mots que Michel Bourçon utilise
le plus) vaine. Elle n’aboutit qu’à du presque rien
:
si proche / du cri //du dégout / du
vide // cela rampe / en dedans.
Elle ne nous change pas : on reste.
3) Voici une poésie à mi-voix (pas très «
performante », lente, pas fachionne pour un rond, pas faite pour
les micros, les estrades, qui ne dit rien du fracas du monde, sauf de
manière allusive), attentive à la moindre palpitation
de l’indifférent (c’est mal dit, mais c’est
pourtant ça : ce qui ne fait pas événement).
Une poésie qui fleurte. Si je dis ça, est-ce qu’il
va le prendre mal, Michel Bourçon ? Pourtant, fleurter. L’apparence
légère que cela a cache mal la gravité que cela
est. Ouahou ! Bientôt je vais écrire comme Jankélévitch
!
Christian Degoutte