TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
Le livre du fils ~ Claude-Louis Combet (éd Corti)

 

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Pourquoi ce livre ?

Posé sur la table, les lettres rouges du titre sont une manière de renouer avec Jabès. Livre des questions.
Ce titre pose déjà une question importante : de qui sommes-nous les enfants ?
Ensuite, s’ouvre une voie qui se prend à rebours, en partant de la quatrième de couverture :

« Voici le livre du fils. Il témoigne par le souvenir, la rêverie, le fantasme du rôle joué par le corps de la mère – présence charnelle d’abord ravissante et englobante avant de devenir hostile et répulsive – dans l’initiation érotique amoureuse et par là dans la destinée spirituelle de l’homme du texte. »

Je pars de là, de ce qui se voit avant l’ouverture même du livre. Une écriture autobiographique à la troisième personne.
Plus bas, toujours sur la quatrième, l’éditeur a posé quelques jalons : Sartre, Sarraute, Leiris et enfin Rousseau.
Il ne cite pas Edmond Jabès. Ni Gustave Courbet et son tableau, l’origine du monde. Ni le Charles Juliet de Lambeaux.
Pourtant ce livre regorge de questions avant même d’être lu, d’être découvert, ouvert.

Et l’interrogation ouverte par C.L Combet se poursuit en lisant le livre ouvert: le corps de la mère devient le corps du fils, sexe interrogé avant de devenir enfin corps du texte. La fille qui le lit se représente le corps de sa mère et voit en effet le ravissement des premières années dans le souvenir radieux de la femme et la terreur devant le même corps frappé par le vieillissement.

Comment faire texte avec ça, fascination et dégoût, corps de la mère et de l’enfant, et où placer le père ? Comment faire lecture d’une telle écriture ? Comment sortir du corps de sa mère et que faire ensuite ? Ecrire le Livre de la fille tout en lisant le Livre du fils serait une possible manière de répondre à toutes ces questions.

Le livre du fils se présente comme un voyage en deux parties, une traversée du sexe maternel: voyage dans et hors du corps de la mère et ensuite approche du corps de l’écriture. L’écrivain, l’enfant, le fils, est le voyageur, l’homo viator évoqué dès les premières pages. C’est même le bébé « renifleur » qui est là et découvre l’archaïque poésie du désir dans un texte d’une sensualité étonnante, rendu à un dehors-dedans où toute frontière entre son corps et celui de sa mère est abolie. « Ainsi s’enrichissait l’existence… ». L’enfant grandit et la mère poursuit auprès de lui sa vie de jeune femme : « Elle avait, dans ces années-là, tandis que son fils allait sur ses douze ans, le génie de l’impudeur… ». Et c’est là qu’apparaît pour la première fois un mot pour désigner le fils tombé sous le charme : idiot, lui, l‘« exilé dans ses livres de classe et ses cahiers. ». Idiot, c’est-à-dire ignorant de tout ce qui n’est pas la femme.

Au collège religieux où il est interne, le jeune garçon a la révélation de ce qu’est le désir : « la mère avait été à l’origine du désir, (qu’)elle était l’origine du désir, comme si elle avait créé le sexe avant de créer l’enfant… » Arrive le moment aussi où le jeune homme croit que son désir, son corps sont ennemis à proscrire. Il s’agit de payer la folie, la légèreté de sa mère en se sacrifiant pour elle et en se préparant à entrer dans la vie religieuse. Jusqu’à l’éloignement, l’engagement dans l’écriture et l’amour, et la mort de la mère ouvre le fils au chant. « De son pinceau qui ne tremble pas, il écrit pour épitaphe hypothétique :

Ci-gît ma mère.
Délectable.
Exécrable. »


La deuxième partie du livre est brève : quelques pages seulement. Et la conclusion tombe : « Il n’y a plus de lieu pour reculer. Il n’y a plus de temps pour fuir. Il n’y a plus de raison pour écrire. » . Et si, comme l’écrit C.L. Combet, « le texte bat la breloque dans le désert d’Eden », il n’en est moins vrai que ce livre existe et nous, avec lui, lecteurs, fils et filles, à la poursuite du sens, orphelins et exilés, mais tout entiers pris dans le désir et dans l’effort de comprendre le sens du voyage que nous fait accomplir l’écrivain, depuis le sexe maternel jusqu’à notre mort prochaine.

 

Sylvie Durbec


 
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