Pourquoi ce livre ?
Posé sur la table, les lettres rouges du titre sont une manière
de renouer avec Jabès. Livre des questions.
Ce titre pose déjà une question importante : de qui sommes-nous
les enfants ?
Ensuite, s’ouvre une voie qui se prend à rebours, en partant
de la quatrième de couverture :
« Voici le livre du fils. Il témoigne
par le souvenir, la rêverie, le fantasme du rôle joué
par le corps de la mère – présence charnelle d’abord
ravissante et englobante avant de devenir hostile et répulsive
– dans l’initiation érotique amoureuse et par là
dans la destinée spirituelle de l’homme du texte. »
Je pars de là, de ce qui se voit avant l’ouverture même
du livre. Une écriture autobiographique à la troisième
personne.
Plus bas, toujours sur la quatrième, l’éditeur a
posé quelques jalons : Sartre, Sarraute, Leiris et enfin Rousseau.
Il ne cite pas Edmond Jabès. Ni Gustave Courbet et son tableau,
l’origine du monde. Ni le Charles Juliet de Lambeaux.
Pourtant ce livre regorge de questions avant même d’être
lu, d’être découvert, ouvert.
Et l’interrogation ouverte par C.L Combet se poursuit en lisant
le livre ouvert: le corps de la mère devient le corps du fils,
sexe interrogé avant de devenir enfin corps du texte. La fille
qui le lit se représente le corps de sa mère et voit en
effet le ravissement des premières années dans le souvenir
radieux de la femme et la terreur devant le même corps frappé
par le vieillissement.
Comment faire texte avec ça, fascination et dégoût,
corps de la mère et de l’enfant, et où placer le
père ? Comment faire lecture d’une telle écriture
? Comment sortir du corps de sa mère et que faire ensuite ? Ecrire
le Livre de la fille tout en lisant le Livre du fils serait une possible
manière de répondre à toutes ces questions.
Le livre du fils se présente comme un voyage en deux parties,
une traversée du sexe maternel: voyage dans et hors du corps
de la mère et ensuite approche du corps de l’écriture.
L’écrivain, l’enfant, le fils, est le voyageur, l’homo
viator évoqué dès les premières pages. C’est
même le bébé « renifleur » qui est là
et découvre l’archaïque poésie du désir
dans un texte d’une sensualité étonnante, rendu
à un dehors-dedans où toute frontière entre son
corps et celui de sa mère est abolie. « Ainsi s’enrichissait
l’existence… ». L’enfant grandit et la
mère poursuit auprès de lui sa vie de jeune femme : «
Elle avait, dans ces années-là, tandis que son fils allait
sur ses douze ans, le génie de l’impudeur… ».
Et c’est là qu’apparaît pour la première
fois un mot pour désigner le fils tombé sous le charme
: idiot, lui, l‘« exilé dans ses livres de classe
et ses cahiers. ». Idiot, c’est-à-dire ignorant
de tout ce qui n’est pas la femme.
Au collège religieux où il est interne, le jeune garçon
a la révélation de ce qu’est le désir : «
la mère avait été à l’origine du désir,
(qu’)elle était l’origine du désir, comme
si elle avait créé le sexe avant de créer l’enfant…
» Arrive le moment aussi où le jeune homme croit que
son désir, son corps sont ennemis à proscrire. Il s’agit
de payer la folie, la légèreté de sa mère
en se sacrifiant pour elle et en se préparant à entrer
dans la vie religieuse. Jusqu’à l’éloignement,
l’engagement dans l’écriture et l’amour, et
la mort de la mère ouvre le fils au chant. « De son pinceau
qui ne tremble pas, il écrit pour épitaphe hypothétique
:
Ci-gît ma mère.
Délectable.
Exécrable. »
La deuxième partie du livre est brève : quelques pages
seulement. Et la conclusion tombe : « Il n’y a plus
de lieu pour reculer. Il n’y a plus de temps pour fuir. Il n’y
a plus de raison pour écrire. » . Et si, comme l’écrit
C.L. Combet, « le texte bat la breloque dans le désert
d’Eden », il n’en est moins vrai que ce livre
existe et nous, avec lui, lecteurs, fils et filles, à la poursuite
du sens, orphelins et exilés, mais tout entiers pris dans le
désir et dans l’effort de comprendre le sens du voyage
que nous fait accomplir l’écrivain, depuis le sexe maternel
jusqu’à notre mort prochaine.
Sylvie Durbec