De
sas en sas, Armand Dupuy nous entraîne dans un univers qu'il ne
nomme jamais, si ce n’est qu’il l’oppose au dehors.
Dans ce lieu, un nom peut perdre jusqu’à sa substance,
se substituer aux murs et en devenir simple molécule par la même
occasion.
De sas en sas, le malaise s’accroit.
D ’abord l’étonnement puis le corps qui subit les
tensions du contraste dedans dehors. « //de sas en sas et
soudain confus dehors/ les feux clignotent et les voitures/ tout vite
et disparaissent/ ». Puis ce que voit l’œil :
murs, traits, cicatrices. « /les yeux n’ont plus de
gaine / globes sensibles à l’excès se vident ou
s’emplissent /». Ce que l’oreille entend «
//fracas lourd / », « / ronron » pas des sons
d’oiseaux, des sons qui résonnent, sonnent mal. Ces odeurs,
la plupart du temps, pas celle de lessive « remontées
d’égouts moisissures ».
De sas en sas, des contacts humains.
Pourtant les hommes semblent se fondre partiellement ou complètement
dans les murs. Ces relations sociales qui souvent paraissent tourner
court et la difficulté d’y entrer, la crainte de trop s’y
impliquer aussi.
« / vois comme on se débine et le désir s’abrège
/ je voudrais oui me dresser dans / bien dedans / dans cette figure
ouverte // »
« /Le stock de mots récurrents
se serre en boulet qu’on traîne / plus que dire freinent
le corps le ralentissent/ »
De sas en sas, si on découvre
le lieu par petites touches. « // ni terre ni ciel ici le ciment
prend vite au ventre / ». Jamais de jugement. Des émotions,
une violence saisie au vol. Pour celui qui vient de l’extérieur,
une rengaine s’installe. Il y EST, malgré lui.
«/ Il faudra bien deux secondes
et demie pour revenir à quoi / parqué là / peut
être soi// »
« / tant dire mon nom qu’l
prend goût de rouille derrière les dents / qu’il
finit barreau dans ce sale temps // »
« / je chemine de plus en
plus mal même en pensée// »
L’importance de l’espace
accordé aux mots, enserrés de sas en sas, entourés
de barreaux, ce rythme étrange qui s’installe en prison.
Ces / \ marquent la rupture de l’espace et du temps, la modification
du rapport à l’espace-temps qui est vécue à
l’intérieur. Forme efficace qui permet au lecteur de saisir
la sensation vécue par l’auteur. L’écriture
d’Armand Dupuy, un style où on entre aisément. Les
mots malgré l’apparence, la recherche sur la langue demeurent
ce qu’ils sont et disent ce qu’ils ont à dire. Simplement.
« / c’est dur que rien
n’a bougé ni passé ni rien ni // »
Un jour, il s’éloigne du
lieu. Il oublie les sas, les mots se trouvent libérés,
sans barreaux. Mais l’expérience reste. L’homme se
souvient. « les murs ne sont déjà plus qu’une
petite somme sale qu’on balade en soi ». Avec le recul,
ne comprend pas trop comment on peut y vivre.
« L'autre jour encore, en
mesurant une pièce pour du carrelage, je n'ai pu m'empêcher
de me tracer un espace de 9m2, celui d'une cellule, pour imaginer comment
ça pouvait faire à 4 là dedans, 23h / 24. »
(propos d’Armand Dupuy au cours de notre correspondance)
Une expérience qui reste longtemps.
Comme si on n’en sortait pas vraiment. Et pourtant le paysage
« s’avale de droite à gauche ». L’expérience
persiste. Tourner la page ?
Armand Dupuy en 2007 a accepté un remplacement dans le milieu
pénitencier en tant que professeur. Et le premier jour en sortant
de la prison, la manière de revenir au monde, au dehors lui parait
si étrange qu’Armand ressent la nécessité
d’écrire sur ce qu’il vit, « prendre des
notes pour comprendre, puis pour tenir au fil des jours ».
Il confie :
« En lisant, après, Le bruit des trousseaux de Philippe
Claudel qui, lui, si je ne me trompe pas, a passé onze années
comme prof en prison, j'ai trouvé quelque chose de comparable
à mon impression: « Sur le trottoir, la première
fois où je suis sorti de la prison, je n'ai pas pu marcher immédiatement.
Je suis resté là, quelques minutes, immobile. Je me disais
que si je le voulais, je pouvais aller à gauche, ou bien à
droite, ou encore tout droit, et que personne n'y trouverait rien à
redire. Je me disais aussi que si je le voulais, je pouvais aller boire
une bière, ou un Ricard, ou encore un cappuccino dans n'importe
quel bistro, rentrer chez moi et prendre une douche, deux douches, trois
douches, autant de douches qu'il me plairait » (Stock, 2002 /
on le trouve aussi en Folio) »
Par Cécile Guivarch