TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel
La môme Espérance : Emmanuel Hiriart
ed Editinter (2007)

 

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Le recueil s’ouvre sur Un jardin manque au poème . Ce jardin d’Eden qui est celui de l’enfance semble avoir disparu, un paradis perdu et pourtant toujours vivant au cœur du poète, où il puisera les mots du poème à venir :

« L’enfant pris dans son conte
Reste à l’écart des jeux bruyants
Le matin lui sourit,
Les oiseaux couleur du temps.
Il plie des roses de mémoire… »


Belle image que ce poète qui retrouve l’enfant et « plie des roses de mémoire ». Quelques poèmes plus loin, la mère , dans ce jardin de la mémoire, dépliera aussi cette rose ; une rose pliée - dépliée comme lien entre la mère et l’enfant ; une rose avec son parfum mais aussi ses épines. L’enfant devenu poète fera de cette rose, la métaphore de la vie à venir, du temps qui passe, de ses épines « la solitude de l’âge ». Quand le jardinier-poète fait acte de mémoire, le jardin est le temple du temps, il est aussi celui des contes, celui du pays des sorcières et des fées :

« Le jardin mâche les contes/ Les sorcières et les fées/ Pour les raconter aux morts/ Qui dorment sous ses fleurs/ Ronronnent comme des chats… ».

Le jardin est lieu d’évocation, après la mère, le poète y retrouve le grand-père :

« Papi regardait ses mains/ Comme celles d’un mort/ Dans la remise son jardin… »,


mais il est avant tout lieu de vie, le jardin joue, récite des poèmes, dessine,rêve , s’impatiente, se maquille…Il est donc normal qu’il devienne objet de création artistique, pour qu’on ne l’oublie pas, car le poète le sait, ce qui n’est pas phrase risque de disparaître. Comme il n’y a pas de jardin sans jardinier, il n’y a pas de poème sans poète. Le jardin est un visage aimé, qu’on ne peut et qu’on ne doit pas oublier. Si « le jardin n’est pas un art », vivre est-il un art ?après la négation, vient l’affirmation : « Jardiner est un art ».

Parfois, le jardin de l’enfance semble s’éloigner, mais entre les mots du poème, « entre les livres de la rose » passent le souffle, les odeurs d’herbe, de fleurs, et de fruits d’un jardin au bois dormant. Le poète s’y promène dans les allées parsemées de gravier, allées qui gardent leur secret. Comme la fillette entre les mots, cherche la voix de son père, le poète : « …entre les mots (… ) cherche de l’autre côté du visible… ».

De l’autre côté du visible, peut-être celui du pays des pommes,ou celui de la sorcière Morguy, cette figure maléfique qui ouvre la partie II du recueil.

Ici les contes fleurissent, sur une lande sauvage, battue par les vents et la mer souvent déchaînée, un pays de chênes qui nous rappelle celui des landes de Galice ou de Bretagne…

C’est alors que l’Espérance joueuse arrive : « déchiffre aisément les rebus du jardin (…) sorcière pour rire et rêver. À ses côtés j’interroge son énigme craignant tour à tour de la brusquer et de la perdre. Ai-je jamais connu d’autre raison d’écrire ? »

Le poète dit le temps d’avant les églises, en cette terre où le jardin comme l’océan disaient le bien, le mal ; quand déchiffrer le monde , c’était aller à la rencontre des dieux qui se montraient tantôt roses , tantôt ronces.

Arrive à la rencontre du lecteur, par le chemin des étoiles, le bestiaire imaginaire et réel qui nous emporte sur ce chemin d’espérance. Le lecteur tel un pèlerin en marche, après avoir traversé le jardin, jardin-poème, arrive à Compostelle, par « Le chemin des étoiles » qui est celui des guetteurs de mystère , Emmanuel Hiriart évoque alors la figure tutélaire de Hugo qui entre ombre et lumière interrogeait le monde , à l’endroit, à l’envers et sa poésie était parfois prière :

« Vieil Hugo des tempêtes(…)/ Lorsque les jours cèdent à l’inquiétude/Et que s’enfle la houle/ De toi j’attends une prière… ».

Le poète évoque aussi Diogène par le nom symbolique qu’il attribue au chien fidèle qui chemine à ses côtés, Augustin, Max Jacob, Daniel , Paul, Camille Claudel, Horace, Ryokan… Poètes, philosophes, mystiques, tous des guetteurs de sens qui ont dit le sacré et la présence. Comment donc ne pas voir avec eux, grâce à eux, l’ange annonciateur, le guide, celui qui éclaire le chemin, ce sont eux qu’il nous faut suivre , comme nous le dit Emmanuel Hiriart citant Charles Péguy :

« Il dépend de nous que l’espérance ne mente pas dans le monde » ;

il faut pour cela se mettre en marche et s’en aller « comme au temps de l’enfance », pour se laisser guider et avec l’ange : « réveiller le printemps(…) croire/au signe en toi qui m’arrache à l’histoire ». Croire , pour entrevoir cet ange Espérance dans « La lumière ombrée des vitraux » et peut-être atteindre « la vallée des rois », celle qu’a sans doute entrevue Lazare, celui à qui momentanément le ciel a été interdit, et pour qui désormais la terre ne sera plus qu’un décor nu, Lazare comme l’arbre « À moitié mort et déchiré » ; Lazare, frère du poète , Lazare qui s’est tu, mais de son silence naît le chant du poète qui cherche « Une voix dans le concert des feuilles… » .

C’est bien là la fonction première du poète et son immense tâche, comme nous le dit Emmanuel Hiriart : « Le poème a charge d’âme et de Monde ».

Le recueil d’Emmanuel Hiriart nous dit un jardin-monde et le poète nous y promène sur les chemins de « la môme Espérance » là où jamais l’âme ne se perd.

Ghislaine Lejard



 
 
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