Retour aux bonnes feuilles
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Le recueil s’ouvre sur Un jardin manque au poème
. Ce jardin d’Eden qui est celui de l’enfance semble avoir disparu,
un paradis perdu et pourtant toujours vivant au cœur du poète,
où il puisera les mots du poème à venir :
« L’enfant pris dans son conte
Reste à l’écart des jeux bruyants
Le matin lui sourit,
Les oiseaux couleur du temps.
Il plie des roses de mémoire… »
Belle image que ce poète qui retrouve l’enfant et «
plie des roses de mémoire ». Quelques poèmes
plus loin, la mère , dans ce jardin de la mémoire, dépliera
aussi cette rose ; une rose pliée - dépliée comme lien
entre la mère et l’enfant ; une rose avec son parfum mais aussi
ses épines. L’enfant devenu poète fera de cette rose,
la métaphore de la vie à venir, du temps qui passe, de ses
épines « la solitude de l’âge
». Quand le jardinier-poète fait acte de mémoire,
le jardin est le temple du temps, il est aussi celui des contes, celui du
pays des sorcières et des fées :
« Le jardin mâche les contes/ Les sorcières et les fées/
Pour les raconter aux morts/ Qui dorment sous ses fleurs/ Ronronnent comme
des chats… ». Le jardin
est lieu d’évocation, après la mère, le poète
y retrouve le grand-père :
« Papi regardait ses mains/ Comme celles d’un mort/ Dans la
remise son jardin… »,
mais il est avant tout lieu de vie, le jardin joue, récite des
poèmes, dessine,rêve , s’impatiente, se maquille…Il
est donc normal qu’il devienne objet de création artistique,
pour qu’on ne l’oublie pas, car le poète le sait, ce
qui n’est pas phrase risque de disparaître. Comme il n’y
a pas de jardin sans jardinier, il n’y a pas de poème sans
poète. Le jardin est un visage aimé, qu’on ne peut
et qu’on ne doit pas oublier. Si «
le jardin n’est pas un art », vivre est-il un
art ?après la négation, vient l’affirmation : «
Jardiner est un art ».
Parfois, le jardin de l’enfance semble s’éloigner,
mais entre les mots du poème, «
entre les livres de la rose » passent le souffle, les
odeurs d’herbe, de fleurs, et de fruits d’un jardin au bois
dormant. Le poète s’y promène dans les allées
parsemées de gravier, allées qui gardent leur secret. Comme
la fillette entre les mots, cherche la voix de son père, le poète
: « …entre les mots (… ) cherche
de l’autre côté du visible… ».
De l’autre côté du visible, peut-être celui du
pays des pommes,ou celui de la sorcière Morguy, cette figure maléfique
qui ouvre la partie II du recueil.
Ici les contes fleurissent, sur une lande sauvage, battue par les vents
et la mer souvent déchaînée, un pays de chênes
qui nous rappelle celui des landes de Galice ou de Bretagne…
C’est alors que l’Espérance joueuse arrive : «
déchiffre aisément les rebus du jardin (…) sorcière
pour rire et rêver. À ses côtés j’interroge
son énigme craignant tour à tour de la brusquer et de la
perdre. Ai-je jamais connu d’autre raison d’écrire
? »
Le poète dit le temps d’avant les églises, en cette
terre où le jardin comme l’océan disaient le bien,
le mal ; quand déchiffrer le monde , c’était aller
à la rencontre des dieux qui se montraient tantôt roses ,
tantôt ronces.
Arrive à la rencontre du lecteur, par le chemin des étoiles,
le bestiaire imaginaire et réel qui nous emporte sur ce chemin
d’espérance. Le lecteur tel un pèlerin en marche,
après avoir traversé le jardin, jardin-poème, arrive
à Compostelle, par « Le chemin
des étoiles » qui est celui des guetteurs de
mystère , Emmanuel Hiriart évoque alors la figure tutélaire
de Hugo qui entre ombre et lumière interrogeait le monde , à
l’endroit, à l’envers et sa poésie était
parfois prière :
« Vieil Hugo
des tempêtes(…)/ Lorsque les jours cèdent à
l’inquiétude/Et que s’enfle la houle/ De toi j’attends
une prière… ».
Le poète évoque aussi Diogène par le nom symbolique
qu’il attribue au chien fidèle qui chemine à ses côtés,
Augustin, Max Jacob, Daniel , Paul, Camille Claudel, Horace, Ryokan…
Poètes, philosophes, mystiques, tous des guetteurs de sens qui
ont dit le sacré et la présence. Comment donc ne pas voir
avec eux, grâce à eux, l’ange annonciateur, le guide,
celui qui éclaire le chemin, ce sont eux qu’il nous faut
suivre , comme nous le dit Emmanuel Hiriart citant Charles Péguy
:
« Il dépend de nous que l’espérance
ne mente pas dans le monde » ;
il faut pour cela se mettre en marche et s’en aller «
comme au temps de l’enfance », pour se laisser
guider et avec l’ange : « réveiller
le printemps(…) croire/au signe en toi qui m’arrache à
l’histoire ». Croire , pour entrevoir cet ange
Espérance dans « La lumière
ombrée des vitraux » et peut-être atteindre
« la vallée des rois »,
celle qu’a sans doute entrevue Lazare, celui à qui momentanément
le ciel a été interdit, et pour qui désormais la
terre ne sera plus qu’un décor nu, Lazare comme l’arbre
« À moitié mort et déchiré
» ; Lazare, frère du poète , Lazare qui
s’est tu, mais de son silence naît le chant du poète
qui cherche « Une voix dans le concert
des feuilles… » .
C’est bien là la fonction première du poète
et son immense tâche, comme nous le dit Emmanuel Hiriart : «
Le poème a charge d’âme et de Monde ».
Le recueil d’Emmanuel Hiriart nous dit un jardin-monde et le poète
nous y promène sur les chemins de «
la môme Espérance » là où
jamais l’âme ne se perd.
Ghislaine Lejard
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