TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
Helga M. Novak : c'est là qu'elle est

 

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Entrer dans la poésie d'Helga M. Novak relève d'un combat. Ca claque et ça cogne. L'auteur elle-même se qualifie « d'expressionniste ». Sa poésie est rugueuse, violente, directe. « J'écris pour me débarrasser de l'écriture, c'est l'explosion en moi. Je tiens à une certaine vigueur de la langue ». A ce jour, en France, il n'existe qu'un petit recueil traduit de la poète allemande. Une véritable frustration pour qui (comme moi) connaît très mal la langue de Goethe. « C'est là que je suis » traduit par Jean-François Nominé a été publié aux éditions Buchet-Chastel, collection poésie, en 2007. Ce sont là des extraits du recueil « Wo ich jetz bin » paru en 2005. Une petite merveille.

Helga M. (pour Maria) Novak se dit dans ses poèmes, comme elle dit son époque. Une existence chaotique, faite de ruptures, d'errance, d'engagement déçu. Née allemande en 1935, elle a été abandonnée puis adoptée.

« aucune mère ne me nourrit jamais
(..)
je n'existais pas pour elle
je fus donc libre à l'âge de trois jours
(..)
à cinquante ans je souris autrement
aucun amour ne me passe sous la main
ayant perdu pays et contrée depuis longtemps
sans père depuis toujours
il s'est fait sauter la tête au bon moment
d'un seul coup je suis on ne peut plus libre »

Il y eut donc l'abandon, l'adoption par une famille qu'elle fuit à l'âge de quinze ans après une enfance passée sous le régime nazi puis pendant la guerre. Elle connut un espoir d'émancipation avec l'Allemagne communiste et s'engagera en ce sens.

« Je suis est-allemande et je traîne
derrière moi un boulet d'espoir »

« on nous a bien roulés
dans nos propres drapeaux »


Espoirs déçus. Elle voyage. Elle obtient la nationalité islandaise en 1961 en épousant un Islandais qu'elle quitte presque tout aussitôt. C'est dans ce pays qu'elle publie son premier ouvrage : « Ostdeutsch ». Elle travaille dans une pêcherie et dans une filature. Elle retourne en RDA en 1965 où elle suit des études littéraires (elle a aussi fait des études de journalisme et de philosophie) et écrit des textes critiques envers le régime qui la destitue de sa nationalité est-allemande.

« Ma patrie tu pues
la grande foire aux bestiaux
je me pince le nez
et tourne à gauche »

A partir de 1966, c'est une vie d'errance qu'elle connaît : Allemagne de l'Ouest, Yougoslavie, Portugal, Pologne. Aux ruptures familiales s'ajoute ainsi la rupture d'avec son pays. Sa poésie sera marquée par l'exil et l'abandon (« je fuis mon pays et mon saule / puis j'y reviens / je suis fidèle aux arbres comme un chien »). Mais aussi par son engagement auprès des « damnés de la terre ». Elle dénonce l'autorité, le pouvoir, la violence faite aux plus humbles. Ses voyages sont liés à ses engagements politiques, en fonction des événements. Au Portugal pour vivre la révolution des oeillets, en Yougoslavie pour découvrir l'autre socialisme. Elle parcourt même la Croatie à pied. Elle sera ouvrière à la chaîne, soudeuse, assistante dans un laboratoire, libraire... Et elle écrit. Avec force. Avec puissance.

« bouffe
vends
riposte

riposte
riposte
riposte »

De son style, elle dit l'avoir trouvé lors d'un séjour psychiatrique en Suisse : ses poèmes sont comme des « juxtapositions d'émotions, de réactions, d'explosions, d'implosions, en fragments côte à côte, comme des images de films » dit-elle.
Elle livre des textes au plus près du monde, au plus près d'elle. Si elle se frotte à ce point au réel, on trouve ici ou là, malgré tout, un peu de mélancolie.
Aujourd'hui, Helga M. Novak vit dans un village reculé en Pologne. Elle a toutefois accepté de venir en Bourgogne cette année pour des lectures. A ce jour, elle a publié une dizaine de livres de poésie, dont deux volumes autour de son enfance et de son adolescence (en 1979 et 1982) et une anthologie en 1999. Elle a reçu de nombreux prix. Mais chez nous, nous devrons nous contenter de ce seul volume « C'est là que je suis » dont sont tirés ci-dessous quelques extraits.

« c'est la nuit
une grosse mouche qui trace en bourdonnant
des cercles au plafond bat le tambour
du bois dur frappe et frappe à la porte
? du transistor tombe le mot
défaite »


« je voudrais tant qu'on m' épargne
mes expériences mon vécu
mes aïeux échecs extases

pour une fois ne pas être importune méfiante
timide méchante envieuse bonne associale

pour une fois ne pas être »


« aujourd'hui troisième mardi d'octobre enneigé
je renais au monde
je ne suivrai plus un mec »

« dans certains cas
la dynamite est le plus court chemin vers la lumière »

« campagne terre nature
tout au féminin
c'est là que je veux aller
où c'est sinistre
c'est là que je veux aller
où il n'y a rien
nature et virginité
et en toute tranquillité
je construirai une maison »

« ici je reste en retrait
ici j'ai oublié
ce que disent les nouvelles et le journal
et je me réchauffe aux constellations
(..)
ici j'observe sans crainte
les temps préglaciaires et personne
ne m'enlève attachée ici je suis encore debout
ici je force mes pieds dans des chaussures d'enfant »

« je reste m'en irai plus jamais me fixe
moi je m'implante m'enracine fais des réserves
pour longtemps pour toujours il ne me reste
plus beaucoup de temps veux arrêter de vagabonder
de m'agiter comprends pas de toute façon ce qui a
bien pu m'agiter comme ça voulais tout voir n'ai plus
cru en rien ni personne (..) »

 


Par Sophie g. Lucas, novembre 2008

 

 
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