Le mystère que peut susciter ce
titre est très vite levé. La première page apporte
les précisions nécessaires : le Brighton West Pier existe
bien ; construite en 1863, cette jetée de construction victorienne
devenue hors d’usage est fermée au public. «
En 2002, il était question de le restaurer… »
L’ensemble des textes qui suivent se situera dans cet espace d’abandon,
d’attente de la fin. Ils donnent lieu à une méditation
sur l’érosion du temps et l’avancée de la
mort : « L’approche du rien nous plie à l’essentiel
»
Il s’agit bien d’essentiel : dans l’approche de la
mort la vanité humaine apparaît plus crûment.
« Chimère : pénétrer la mer
Comme si nous pouvions féconder
L’éternité »
La suite du poème invite à un retournement :
« Assise sur le bord
Tu attends que le flot t’insuffle
La semence de l’horizon. »
Le texte laisse parfois paraître
des regrets :
« Dommage
Nous espérions voir partir
La vie au large
Nous aurions su découvrir des
terres nouvelles. »
Lisant ce recueil, j’ai été
d’abord frappée par la simplicité de sa démarche,
puis par la fragilité de la langue. Très vite un lien
physique est établi entre le bâtiment en ruines et le narrateur
:
« A côté du vieux Pier
Tu poses
Sur l’eau
Son visage
Lorsque tu repars
Tu hésites
Ne les distingues plus l’un de l’autre. »
La carcasse métallique prend en
charge les émotions de la narratrice comme malgré elle
:
« Tu recules
Fuis la plage jusqu’aux jardins du Pavilion
Intercales entre l’humaine ruine
Et toi
La fleur écarquillée. »
« Par la gueule de celui-ci
Emergeant
Combien d’autres monstres extirperas-tu de l’obscurité
? »
L’émotion est souvent traitée
sous la forme interrogative, comme pour défendre le secret, car
« Les cœurs ne se visitent pas plus que le vieux Pier.
»
La langue qui se déploie ici est précaire, à l’image
du vieux Pier, et peut-être ne s’agit-il de parler que de
cela :
« (L’écriture
Une parole sur pilotis
Que cerne et emplit le silence.) »
Il est rare de trouver une parole aussi
juste sur l’écriture.
Sabine Chagnaud
Décembre 2008