TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
L’inquiétude d’être au monde de Camille de Tolédo

 

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L’inquiétude d’être au monde est un long poème, un chant où une voix s’élève pour nous parler de notre époque, ce vingt-et-unième siècle où tout bouge, tremble et vacille, temps de déséquilibre et de vertige, « Temps d’histoires croisées de la coupure, de la fêlure, et de l’exil ».

La voix parle au plus prés de nous et questionne : « À quel moment avons nous cessé d’être en paix ?/ Et que faire maintenant que nous en sommes là, /tremblants et tremblés, c’est à dire engagés/si souvent malgré nous dans le vacillement /général des choses ? »
La voix nous dit l’inquiétude d’un père qui attend son fils, la terreur d’une mère qui croit avoir perdu son enfant. Comment ces sentiments se sont installés en nous pour ne plus nous quitter. Comment cela a commencé, bien avant, avec la grande guerre qui scellait la fin d’un monde : « Evidemment. Nous portons en nous les trous / du vingtième siècle et nous les transposons/ dans un règne de jeu, de sédimentation fictionnelle ». Comment les drames d’aujourd’hui, sur une île en Norvège ou à Colombine en sont la continuité tout en étant « une synthèse inédite des fictions américaines et des démons européens ».
La voix interroge, que faire de cette inquiétude et de la peur qui s’installe ? « Je me suis juré, enfant, de ne jamais écrire ce mot:/racine. Je me suis promis de ne jamais croire/ un instant qu’il y eu, un jour, /une origine autre que celle de notre bâtardise/ et de tous les trous qu’a laissé en nous/ l’histoire du meurtre./ Trous qui demeurent entre les mots ».

Ce long poème a la beauté et la gravité d’une prière. Le lyrisme et la force du chant. C’est un appel à résister. L’auteur nous exhorte à ne pas abdiquer, à l’instar de Dagerman, à ne pas nous en remettre aux chants trompeurs de la consolation. Il nous invite à être, en référence à Césaire, ces hommes et ces femmes traits d’union, c’est à dire à porter, à exhiber la trace de notre coupure et à nous relier par là même aux autres. Contre « un verbe conquérant, meurtrier, / qui cherche à s’emparer d’une essence/ présumée », le poète nous propose de vivre dans l’entre des langues, qu’il désigne aussi comme l’antre, « le seul endroit sauvage qu’il nous reste ».

Ce texte nous réfléchit, il nous montre et s’il nous donne à penser, il nous donne surtout à être. Ce texte vibre d’un véritable engagement, la voix du poète dénonce, refuse, prend position, s’élève. Le chemin que sa parole ouvre pour nous, est celui de la lucidité et du courage,
« Supporter l’effroi…Accepter le vertige, l’habiter ». Accepter d’être un être humain c’est à dire : « Accepter de mourir pour ne pas quitter /la peau de l’homme. » Et il faut l’écouter car nous dit-il encore : « le savoir, le seul qui nous aide est celui des poètes, des écrivains, celui des philosophes du mouvement et des formes. »

Christine Bloyet

 

 
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