Un passé qu’on entend mal/ une question mal posée
Chaque
livre qu’un poète écrit s’ordonne autour de
quelques questions, quelques mots, quelques lieux. Si le lieu est présent
dès le titre, ce nouveau recueil de plus de 300 pages n’est
pas ce qu’on appelle habituellement un récit de voyage
ni un journal mais un poème circulaire où le temps et
l’espace américains sont dilatés par le travail
de l’écriture et de la mémoire, l’Amérique
d’hier et d’aujourd’hui et la région natale
du poète. Si l’on avait à trouver deux mots pour
donner une idée du travail de James Sacré dans America
solitudes, ce serait panier et paysage.
Et c’est un peu comme si
Les Shoshones d’aujourd’hui
Faisaient seulement les tout mêmes paniers
Que ceux d’autrefois.
Nouveau et ancien monde sont traversés par ces
deux mots, et les différentes interrogations du poète
sur la permanence et la disparition à l’œuvre reviennent
nous rappeler qu’il est confronté à un emmêlement
des mondes et des lieux, du territoire hopi et de la Vendée,
de l’enfant qu’il a été et de l’homme
qu’il est, et que c’est là l’origine du livre.
Le poème se construit au fur et à
mesure que le paysage est là ;
Le paysage qui se défait puis qui revient (…)
Le livre se termine d’ailleurs sur une interrogation
pour laquelle la seule réponse tient dans les mots. Quant à
la belle couverture rouge, elle évoque les premiers recueils
du poète comme Quelque chose de mal raconté ou encore
Elégie cœur rouge. Ici aussi la couleur rouge est présente
dans l’ensemble des parties de ce livre/voyage. Couleur américaine
des arbres en automne, des fermes et de l’existence même.
Le rythme sera celui de la lenteur, malgré l’immensité
du paysage traversé. Il y a de la modestie dans l’approche
et le voyageur est un simple campeur qui fréquente les marchés
et les petits restaurants. En effet le poète choisit d’avancer
à une autre allure que celle des voitures lancées à
fond sur les routes à grande vitesse, un rythme proche de la
marche et de la pensée, avançant dans le paysage et le
poème à sa manière pensive et lente, dont il évoque
la maladresse, revenant vers des lieux et des pensées, faisant
lien entre Cougou, l’enfance en Vendée et les Etats-Unis,
le travail, à l’aide du mot panier et évidemment
de l’objet présent dans les marchés et les boutiques
(où il en achète), objet d’une interrogation sur
ce que devient le travail des hommes à l’époque
du tourisme, comme si le livre était lui aussi une sorte de panier
où mettre la poésie et les lieux rencontrés et
les pensées qu’ils suscitent.
J’ai pris l’habitude d’employer
le mot panier
Pour tout l’artisanat indien qui produit des objets d’herbe
et de yucca.
D’autres termes qui conviendraient
(Faudrait voir dans els dictionnaires : corbeille ou je sais pas)
me semblent mal appropriés.
Peut-être que c’est à cause
Qu’on dit basket en anglais.
Pour répondre à une question qui serait
: qu’y a-t-il entre Cougou et Shiprock, James Sacré met
ensemble passé et présent, mots d’autrefois et de
maintenant, plantes et arbres de loin et de plus près, villes
et villages desservis par la Highway 66, vocables familiers et savants
en dressant des listes de noms de lieux, d’églises, de
variétés botaniques, des différentes lois pour
le port d’armes selon les états, qui tentent de donner
une idée de l’énormité de ce monde et aussi
de la solitude qu’il engendre. Plus proche de Calet que de Whitman
ou de William Cliff, ce dernier plus apte selon lui à dire ce
monde rude qu’il regarde, James Sacré nous parle de l’écriture
avec modestie et humour, il s’agit de mettre la main au travail
tout en continuant à s’interroger et dire son impuissance
en cherchant ça qu’on voudrait écrire :
…écrire est-ce que ça serait
S’en aller avec des mots dans une sorte de musique
Au rythme insaisissable ? Si peu de choses vraiment ?
Probablement que oui, mais peut-être qu’aussi (faut bien
le dire)
Je ne sais pas comprendre.
Si le paysage navajo le ramène sans cesse aux
paniers de son enfance, au travail et aux gens de son village, la solitude
des américains le frappe et il lui semble que les routes et autoroutes
ne relient pas les hommes mais les séparent. A l’excitation
de la découverte, se mêle la déception car les deux
sont dans la voix de James Sacré découvrant pour nous
le nouveau monde en l’arpentant et surtout l’écrivant
:
Je n’écris pas non plus pour
m’expliquer
Peu de pensée et si parfois
Un sentiment de toucher à de la vérité
C’est sans importance,
Sinon que cela aussi donne de la couleur et son tonus
A mon poème…
Il est bon que la poésie ne soit pas seulement
murmure et mince recueil, mais aussi, comme ici, voyage de lecture à
la mesure de l’espace évoqué par la voix de James
Sacré, inscrite dans des frontières tremblantes où
l’hésitation et la décision racontent non pas toute
l’Amérique mais des lieux choisis et aimés ainsi
que des solitudes croisées, celle du lecteur et du poète,
mai aussi de tous ceux qu’il évoque dont la dédicataire
à qui le poète exprime sa reconnaissance pour le don du
livre et du pays.
Si je veux parler de ce pays (mais s’agit-il
d’en parler ?)
Il faudra que ça soit
A mon insu, vouloir trop en dire
Avec un esprit critique et raconter
Ce que j’aime y rencontrer,
Serait que médisance ou que façon
De bavardage aimable. Un pays c’est toujours
Plus grand qu’on pourrait croire.
Par Sylvie Durbec