La
poésie de Cécile Guivarch est en prise avec le plus ténu
du quotidien, se voulant attentive et accueillante quant à ce
qui constitue le plus infime des émotions, du ressenti, toujours
avec un souci aigu de la justesse. Ainsi, elle a pu donner toute leur
place aux réalités de la grossesse et de la maternité
éblouies, dans un précédent recueil, Te
visite le monde paru en 2009 aux éditions des Carnets
du Dessert de Lune.
Les mots sont là, dans leur précision et le jeu avec les
sonorités qu’ils instaurent, pour permettre l’évocation
du plus précis de ces ressentis éveillés chaque
fois par une situation précise qui est toujours un événement
dans une vie humaine. C’est pourquoi, et on ne s’en lasse
jamais, il y a un véritable festival d’étincelles
et de légers chaos dans son langage poétique qui ne cesse
jamais de se réinventer, dans le sens non pas d’une plus
grande musicalité mais dans celui d’une ouverture émue
sur le monde.
En effet, même si la poésie de Cécile Guivarch est
une poésie de l’intime, elle, et c’est là
l’une de ses plus grandes spécificités, se veut
toujours ouverte sur le monde.
Le titre de son recueil sur la maternité dit bien cette façon
qu’a l’être en proie à l’éblouissement
des premiers jours d’être véritablement visité
par le monde.
ta vie tout près pas devant / ni sans chaleur ta
mère / comme une terre de nous
leurs mains gazouillis d’eau / toi à peine plus grosse
/ cette boule dans le ciel
tu grandis à ne pas regarder le ciel / trop t’occupe d’ouvrir
les yeux / sur le monde où encore t’es pas
tu réponds de l’intérieur / la curiosité
du bleu de ce qui brille / comme autre chose pas dehors
Et c’est bien là ce que nous convie de faire constamment
l’auteure, à savoir partir de nos émotions pour
nous permettre de moduler une grande écoute face au monde dans
sa plus grande totalité possible. En ceci, elle n’est pas
une poésie intimiste, mais une poésie qui part de l’intime
pour permettre à l’être d’atteindre, par ses
émotions, le monde dans sa globalité, à savoir
ce qui semble le plus étranger à l’émotion
et à l’intériorité. Ce qui semble, car l’intime
est une façon qu’a l’être d’apprivoiser
et de faire vivre tous les échos du monde, qu’ils aient
trait à l’éblouissement sautillant dans la conscience
comme enchantée de se découvrir en prise avec la musicalité
du monde, ou qu’ils aient trait à la souffrance.
Dans son dernier recueil, publié dans la collection Lampe de
poche des éditions Contre-allées, La petite
qu’ils disaient, Cécile Guivarch parvient
ainsi à recueillir une pluralité de personnes, personnages,
voix, qui peuvent dire leurs souffrances, l’angoisse face au vieillissement
ou l’impression de perte liée à la façon
dont ils peuvent se tenir en retrait, que ce soit du côté
de la vieillesse et de la mort, ou du silence. On a le sentiment ainsi
d’une infinité d’échos, d’éclats,
qui tous se mêlent pour composer une mosaïque humaine en
laquelle chacun aura l’occasion de se retrouver. Mosaïque
humaine dans le sens où s’il s’agit d’évoquer
un monde, qui peut par bien des égards sembler disparu, un monde
qui est aussi celui des proches de l’auteure, auxquels elle rend
hommage dans deux émouvantes dédicaces qui étreignent
le recueil et lui donnent aussi sa ferveur. Elle ne restitue jamais
le disparu d’un monde, jamais d’une façon froide
ou distanciée, mais toujours en permettant à chaque personnage
de paraître dans toute sa force et tout son corps dans notre émotion
à travers ce qui à chaque fois le constitue en propre,
à savoir le plus intime de son humanité. Faire survenir
l’intime dans un recueil, non pas en parler, cela implique, quand
l’intime a trait à la souffrance, de convoquer des mots
très crus comme « merde » :
Juliette lance la merde la prend la lance tapisse les murs
/ Carmen la prend la balance sur la tête du docteur // Blanche
pleine de merde dans le lit / appelez le médecin, j’ai
fait une fausse couche faites vite (…) / fait divers de merdes
Donner toute leur place à ces mots, ce qui ne
se voit jamais dans des recueils de poèmes, pour leur force extrême,
qui est aussi une force du comique, vient tout à la fois donner
une empreinte réelle dans le poème de la souffrance et
de la dégradation des corps, qui est reliée indubitablement
à la vieillesse recueillie douloureusement dans les tristes murs
d’un hospice, et en même temps contrebalancée joyeusement
par la force de vie qui se glisse tout entière dans la douceur
qui lie ensemble les êtres et les place sur la portée musicale
de la vie dans leurs presque frémissements, frémissements
qui tiennent à la manière toujours aigue de se placer
dans une attention soutenue à l’autre :
ma sœur coiffe la grand-mère / la vieille ne
bouge plus / un nourrisson la caresse de sa mère // elle avait
oublié // la brosse passe dans les cheveux part du haut descend
dans le dos la brosse passe lentement lisse les fils blancs // la grand-mère
ne parle pas occupée à frémir sous la soie de la
brosse // ce serait un peu de douceur.
Cette force de vie tient à la façon qu’a
l’auteure de toujours combattre la violence et la dégradation
des corps et des intériorités par un jeu constant et d’un
chatoiement ludique sur le langage poétique- force de vie qui
tient à l’auteure mais qui tient aussi aux personnes évoquées
qui refusent de se laisser enfermer dans cette dégradation qui
pourtant les caractérise aux yeux du personnel soignant. Car
il ne s’agit jamais d’établir un constat sur un monde
disparu, celui des campagnes, que Cécile Guivarch restitue avec
précision, mais de faire revivre ce monde par l’écriture,
mais plus encore de faire revivre la vie de toutes les personnes éclairées
par la lampe de poche, et non pas emprisonnées entre les pages
mais au contraire laissées libres au sein de celles-ci, la vie
qui est une force, une force qui continue, inlassablement continue,
quels que soient les heurts de l’existence. Cette continuité
de la force de vie est si bien reconstruite dans l’écriture
de Cécile Guivarch que le lecteur a le sentiment en quittant
à regret ce livre d’avoir passé véritablement
un moment avec chacun des êtres évoqués et d’avoir
pu être touché au plus près par leur humanité
si grande. C’est ce qui donne le sentiment que ce recueil est
si habité, si plein en tous les sens du terme (de personnes,
de vie, de mots dans leur déhanché joyeux), alors que
La petite qu’ils disaient reste un
recueil court. C’est une grande émotion qui nous étreint
et que doivent ressentir les êtres réunis sous un même
toit de papier, d’où qu’ils puissent regarder l’auteure,
êtres proches de se voir ainsi réveillés par l’écriture.
Réveillés pour nous réveiller avec une force percussive
du langage, pour nous sortir de notre torpeur quotidienne et nous pousser
véritablement à faire s’étreindre notre intimité
et le monde dans sa plus grande globalité possible.
Ce serait un peu de douceur.
Cécile Guivarch parvient à faire que le
conditionnel soit à la lecture de son recueil un présent.
Matthieu Gosztola ~ juillet 2011