D’après une sérigraphie originale d’Henri
Cueco un dessin orne la page de couverture de ce livre de la collection
Double Hache des Editions Dumerchez. Ce dessin - un crâne dont
une flamme jaillit de l'une des orbites oculaires – me fait songer
à ces tableaux que l’on nomme des Vanités.
Sur cette couverture - maurice - pour unique patronyme signataire de
cet énigmatique LBLBL, un titre provisoire qui restera définitif.
Avec cette première page, qui suscite en moi déjà
tant de questions, l’auteur nous invite à le suivre dans
sa quête de sens comme le début d’un poème
de Lettre II le suggère :
« Tout. Mot. Geste. Acte. Est signe –et veut dire quoi
– qui à son tour veut dire -… »
La fidélité, la langue
Écrivain, poète, Maurice Regnaut est aussi
traducteur. Il a traduit Brecht, Rilke, Fassbinder, Kosztolanyi et Enzensberger.
Il fut l’un de ceux pour qui Louis Aragon en décembre 1965
organisa une soirée au Récamier qui restera dans les mémoires.
Il signe aujourd'hui du seul nom de maurice – sans majuscule -
cet ouvrage dont le projet et le premier texte remontent à 1964.
Avec ce livre, Maurice démontre sa fidélité. Tout
d'abord à ce souffle, sa langue vive, heurtée- rythmes
par saccades - qui de « Balatila Blues » paru en
1964 dans les Lettres françaises jusqu’à «
HLM Blues » achevé en 1998, soutient avec ferveur
cette langue mûe par la même tonicité de souffle.
Fidèle à lui-même et surtout envers les poètes,
dramaturges, amis, que furent en leurs places, Louis Aragon, Arthur
Adamov et Bernard Dort auxquels sont adressées trois lettres.
L’identité, l’Être
Dans la Lettre I - Pour Louis Aragon - la question
du double, de la duplicité, du dédoublement comme altérité
de soi est posée. Cette question de l’altérité
à laquelle dès notre venue au monde nous sommes confrontés
est ici en suspend.
L’autre ? L’ami près de nous ou cet Autre nous-même
? Celui qui porte des traits de caractère humain que l’on
rêverait partagés ? Ou un Autre si différent…
Cette vive attention pour l’altérité met en lumière
un désir d’identité. Sur le trajet de l’Un
vers un Autre, avec la vie pour horizon, des flambeaux scintillent obscurément
et laissent entrevoir des images imprécises.
La lecture de ces pages crée comme des effets de miroir : reflets,
ressemblances et dissemblances mêlés.
« Je » se cherche dans ce « Jeu » de miroir
à réflexions multiples. « Je est un autre »,
mais lequel, qui reste à inventer et sous quelle figure ?
Dans Lettre I la ressemblance en filigrane, comme un appui - comme une
admiration ? - franchit d’improbables miroirs et devient pour
certains traits de caractère , une dissemblance totale. Une image
inversée. Et un véritable contrepoint, pour ce qui concerne
la fidélité dont Louis Aragon affirme
« Je n’ai pas d’autre azur que ma fidélité
»
celle de se reconnaître « homme double ».
Un jeu de la duplicité où Maurice se dit incapable de
tenir un rôle. Le « Je » qu’il affirme est aux
antipodes de ce « Jeu » double.
Défini comme :
«… être avec tous en seul rapport vrai,…
»
cette affirmation d’être, ce « Je », n’est
pas celui revendiqué pour un quelconque pouvoir, mais celui,
noble à mes yeux, d’un homme debout qui marche près
des siens ses semblables. Homme de face, vu. Sans vêtements de
classe, nu. C’est ainsi qu’il retrouve aujourd’hui
comme le lieu de la naissance. Ce lieu du premier-non. Nom du cœur,
donné du père et de la mère ensemble. Prénom
maurice. Sans majuscule aucune et sans patronyme, ce nom de l’état
civil qu’il a fallu revêtir sa vie durant. Un dénuement
jusqu’à la source de l’être.
Un prénom pour tout corps
Maurice. Un prénom. Votre premier-nom prononcé
sur les lèvres des parents qui vous nomment. Appelé successivement
maurice - l’enfant - puis Maurice Regnaut - l’homme d'âge
adulte - l’auteur revendique aujourd’hui pour le nommer
cette unique parole du premier-nom prononcé. Un prénom
seul comme altérité de soi. Cet Autre qui s’éleva
et prît corps sur le chemin de vie.
C’est encore sous le signe du reflet, du double, du dédoublement
que s’inscrit ce «Jeu » de nom. Non peut-être
pas double mais un «Je » en transformation continuelle.
Jeu de miroir dans sa traversée - la vie - qui donne aujourd’hui
et image et réponse à la question que se pose l’enfant
: qui serai-je demain ?
De l’enfant jusqu’à l’homme aujourd’hui,
Maurice puise dans son prénom retrouvé, l’état
d’une seconde enfance.
« la grande plénitude mortelle est une seconde enfance,
… »
La symbolique du double se cache peut-être aussi
sous ce titre sibyllin de LBLBL, que l’on pourrait voir écrit
ainsi :
LB L BL
avec ces espaces blancs et cet axe de symétrie du L. Elle ? Une
femme ? La mort peut-être ? Ces mouvements de lettres pourraient
illustrer l’écriture de Maurice. A moins simplement que
ces lettres ne soient les initiales du titre des ensembles composants
l’ouvrage. Ce sigle sauvé du canevas du livre: Lettre,
Blues, Lettre, Blues,
Lettre ; ce titre provisoire.
L’écriture cette prosodie
Ce qui traverse le livre de part en part et qui n’est
pas sans avoir traversé le temps, - la fidélité
se love ici aussi, les premiers textes furent écrits dans le
début des années soixante - c’est le souffle de
Maurice. Ce souffle qui porte l’écriture. Rythme dans les
vers par saccades. Mouvements vifs de la langue. L’écriture
ici transmet la langue du corps de l’écrivain vers la bouche
du lecteur lisant à voix haute. Pas de prépondérance
du sens ou de la forme dans le coulé de la langue. Le souffle
impose la forme. La forme impose le rythme. La langue porte et transporte
tous les signifiants, les stigmates du corps disant mêlés
en elle.
Un jeu sur les sons s’élabore alors :
« il y a sept ans cette peur sept au printemps »
« De tout. En tout. Pour tout ».
« Qu’attendez vous qui fasse enfin qu’en vous soudain
tout sonne, »
Ce qui fait le langage est ici jeu sur la sonorité des mots,
prosodie de la langue, musicalité de la phrase et du vers . L’écriture
est partition pour l’oreille. Les vers, parfois, dans l’alternance
de répétitions ont des effets de psalmodies qui créent
cette vibration musicale : l’écho du souffle intérieur.
Les harmoniques du corps résonnent dans la langue.
Le jeu sur la forme
La forme creuse un chemin, ce fil d’Ariane qui
interroge le monde.
«Chercher un sens. C’est jouer. Quel qu’il puisse
être. Un jeu sans fin. Simple ou complexe. Aisé ou douloureux.
Gagnant. Perdant. Un jeu. »
Le travail sur la forme est peut-être ce jeu qui crée cette
scansion du vers en bouche. Maurice en - quête - cherche sens.
Pour ceci il utile la prose, le poème. Il les mêle. Il
les tourne, les renverse allant même jusqu’aux limites du
langage tel ce poème, écrit avec des sortes d’onomatopées
- À moins qu’il fut une langue autre ?- et d’où
seule la forme fait sens. Prose, poèmes, versets, dialogues,
poèmes aux trouées blanches : ces traces, ce fouillement
de la langue.
C’est Lettres II - Pour Bernard Dort – qui caractérise
le mieux cela. La forme organise des espaces-lieux d’où
la parole émane. Elle s’assimile en cela aux trois unités
du théâtre qui semble être le domaine de prédilection
de Bernard Dort.
Trois donc, trois paroles se font face, interfèrent et se télescopent
pour ériger un univers.
Trois différentes écritures tant par la forme écrite
sur la page que par la nature du vers ou celle du rythme imprégné.
Trois, traversées par ce cri…
»Ce cri, mais n’entendez-vous pas ce cri… »
En des dialogues, des versets ou des poèmes en vers de six, sept
et huit pieds qui alternent, entre eux et avec des poèmes «blocs
» - vers courts, un seul mot parfois -, dans une progression de
l’ensemble le menant à son terme.
Cette confrontation dans un seul espace - Lettre II - de plusieurs
formes d’écritures dépasse la signification intrinsèque
du sens premier des mots et révèle par cela l’existence
d’une réalité complexe.
Sous la trame des souvenirs perce, inquiétante, l’ombre
du monde qui s’active et déroule son temps ignorant tout
des Êtres, l’histoire des hommes se débattant en
lui. Elle recrée un univers, la perception que nous en avons,
ce ressenti au plus vivant du poète. Sous cette construction
dense, sourd une parole vive.
Une question au chœur
LBLBL est un livre de questionnement, d’hommages et d’amitiés.
L’univers qui émerge ici est celui du poète, de
l’homme et de l’enfant unis dans le rythme de la langue
pour poser en chœur cette question sur le sens de l’existence.
Peut-être pourrions nous voir dans ces deux citations, extraites
de Lettre III – Pour Arthur Adamov -qui clôt l’ouvrage,
« Est-il donc impossible, Ern, d’être vrai ? »
et « A qui peut servir de mentir au corps ? »
l’essence même de ce questionnement ? Cette quête
au plus vrai du vivre.
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