les jours où Else de Lou Raoul, de prime abord on touche
l’objet petit format, couverture noire aux reflets violets. On
commence à feuilleter au hasard, on ne sait pas alors si c’est
une nouvelle, un récit, de la prose ou autre chose. Mais on capte
des choses déjà, comme des phrases en langue bretonne,
la vie à la campagne, le noël des enfants, des histoires
de frères, de père et de mère vivants, puis morts.
Alors on a envie d’aller plus loin. On commence par le début
et on ne lâche pas jusqu’à la fin.
Cela commence par l’ouest, planter le décor,
e penn ar bed, au bout du monde. S’ensuit le cimetière,
on pense à nos morts, aux morts d’Else, on ne sait rien
encore d’Else, on sent un rite quelque chose qui se passe en quelques
jours, là au cimetière avec les morts. Une sorte de récit
s’ensuit, on plonge au cœur de la famille d’Else, de
sa mère petite, au mariage, aux naissances, à la vie de
famille et aux morts, comme s’il s’agissait d’une
vie ordinaire à la campagne. Sauf que. On croit au récit
puis vite on ne s’y trouve plus. On voit une prose. Puis quelques
vers égarés. Des légendes.
Cet écrit n’est pas à
classer ici ou là, dans telle case ou dans telle autre, ce livre
est. Il est. Il est avec l’écriture singulière de
Lou Raoul, une langue hachée sans ponctuation (mais avec les
majuscules), il est avec son rythme singulier. Des bribes de conversation
en langue bretonne donne une certaine musique à l’ensemble.
On a l’impression que les récits s’imbriquent les
uns dans les autres et se mêlent aux légendes, à
la mémoire familiale puis une lettre ou des notes de journal
Ma petite chérie Solange
Ce soir par un heureux hasard de voir
ma journée déjà terminée, je viens ma
chère Solange m’entretenir un moment
avec toi Il est 10h ½ Je suis seul avec
ma sœur […]
Nous sommes le 25 juin, écrit
Solange Il est bientôt deux heures en ce matin où le jour
semble déjà pointer Robert a été téléphoner
chez Lagadec (où il y a un téléphone public) pour
appeler le médecin Un quart d’heure plus tard, une voiture
passe à toute vitesse là-bas au bout de notre petit chemin
Il n’a pas vu la personne qui doit lui indiquer le chemin, c’est
un médecin remplaçant […]
Ce qui aurait pu être une petite
vie bien tranquille est ponctuée par les désillusions,
le dur travail au champ, les couples qui se disputent alors que les
enfants naissent, il y a la maladie les histoires de famille et la mort.
Dans une chambre d’hôpital
où il fait bon par la fenêtre on voit des arbres, du vert,
quelques maisons bordant une route Dit Solange qu’elle peut dire
maintenant que le plus grand malheur de sa vie c’est ça,
la mort violente de son mari Quinze ans ont passé depuis Dans
les flaques et contre les voitures boueuses respirer continuer à
loin des villes par les hameaux où une fenêtre se remarque
dans une maison des années 1970 Vers une chambre d’hôpital
mains agitées levées par les vitres pour dire ce que les
mots ne peuvent transmettre
Avec ses yeux qui fouillent Else a lu des mots posés
sur des feuilles, les mots d’un frère : je t’aime
ton fils je t’embrasse et te prends dans mes bras comme j’aurais
dû le faire plus souvent Ce sont les mots qu’il a écrits
à sa mère, des mots posés et qu’on peut lire
encore
Depuis longtemps Else évite un frère et il lui manque
elle croit ou elle imagine
Il n’y a pas de mots qu’elle puisse lui dire, vers lui venir
les mains nues, le prendre dans ses bras ça elle aimerait ça
mais d’incapacité elle est frappée Non plus elle
jamais à sa mère ne lui a dit des mots comme ça,
lui tenir la main, les mains, ça oui quand même, mais pas
d’emblée non, après des années seulement
[…]
Lou Raoul plonge dans les racines familiales et nous ramène aux
mythes et croyances.
On pense aux veillées où les vieux racontaient les histoires,
transmettre, ne pas que ça s’oublie. On pense aux veillées
des morts. On ne les oublie pas. Et on n’a pas envie d’oublier
Lou Raoul, on a envie d’en lire un peu plus.
Cécile Guivarch ~ juillet
2011