TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
les jours où Else ~ Lou Raoul
éditions Isabelle Sauvage

 

Retour aux bonnes feuilles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


les jours où Else de Lou Raoul, de prime abord on touche l’objet petit format, couverture noire aux reflets violets. On commence à feuilleter au hasard, on ne sait pas alors si c’est une nouvelle, un récit, de la prose ou autre chose. Mais on capte des choses déjà, comme des phrases en langue bretonne, la vie à la campagne, le noël des enfants, des histoires de frères, de père et de mère vivants, puis morts. Alors on a envie d’aller plus loin. On commence par le début et on ne lâche pas jusqu’à la fin.

Cela commence par l’ouest, planter le décor, e penn ar bed, au bout du monde. S’ensuit le cimetière, on pense à nos morts, aux morts d’Else, on ne sait rien encore d’Else, on sent un rite quelque chose qui se passe en quelques jours, là au cimetière avec les morts. Une sorte de récit s’ensuit, on plonge au cœur de la famille d’Else, de sa mère petite, au mariage, aux naissances, à la vie de famille et aux morts, comme s’il s’agissait d’une vie ordinaire à la campagne. Sauf que. On croit au récit puis vite on ne s’y trouve plus. On voit une prose. Puis quelques vers égarés. Des légendes.

Cet écrit n’est pas à classer ici ou là, dans telle case ou dans telle autre, ce livre est. Il est. Il est avec l’écriture singulière de Lou Raoul, une langue hachée sans ponctuation (mais avec les majuscules), il est avec son rythme singulier. Des bribes de conversation en langue bretonne donne une certaine musique à l’ensemble.


On a l’impression que les récits s’imbriquent les uns dans les autres et se mêlent aux légendes, à la mémoire familiale puis une lettre ou des notes de journal

 

Ma petite chérie Solange
Ce soir par un heureux hasard de voir
ma journée déjà terminée, je viens ma
chère Solange m’entretenir un moment
avec toi Il est 10h ½ Je suis seul avec
ma sœur […]

 

Nous sommes le 25 juin, écrit Solange Il est bientôt deux heures en ce matin où le jour semble déjà pointer Robert a été téléphoner chez Lagadec (où il y a un téléphone public) pour appeler le médecin Un quart d’heure plus tard, une voiture passe à toute vitesse là-bas au bout de notre petit chemin Il n’a pas vu la personne qui doit lui indiquer le chemin, c’est un médecin remplaçant […]

 

Ce qui aurait pu être une petite vie bien tranquille est ponctuée par les désillusions, le dur travail au champ, les couples qui se disputent alors que les enfants naissent, il y a la maladie les histoires de famille et la mort.

 

Dans une chambre d’hôpital où il fait bon par la fenêtre on voit des arbres, du vert, quelques maisons bordant une route Dit Solange qu’elle peut dire maintenant que le plus grand malheur de sa vie c’est ça, la mort violente de son mari Quinze ans ont passé depuis Dans les flaques et contre les voitures boueuses respirer continuer à loin des villes par les hameaux où une fenêtre se remarque dans une maison des années 1970 Vers une chambre d’hôpital mains agitées levées par les vitres pour dire ce que les mots ne peuvent transmettre

 


Avec ses yeux qui fouillent Else a lu des mots posés sur des feuilles, les mots d’un frère : je t’aime ton fils je t’embrasse et te prends dans mes bras comme j’aurais dû le faire plus souvent Ce sont les mots qu’il a écrits à sa mère, des mots posés et qu’on peut lire encore
Depuis longtemps Else évite un frère et il lui manque elle croit ou elle imagine
Il n’y a pas de mots qu’elle puisse lui dire, vers lui venir les mains nues, le prendre dans ses bras ça elle aimerait ça mais d’incapacité elle est frappée Non plus elle jamais à sa mère ne lui a dit des mots comme ça, lui tenir la main, les mains, ça oui quand même, mais pas d’emblée non, après des années seulement […]


Lou Raoul plonge dans les racines familiales et nous ramène aux mythes et croyances.
On pense aux veillées où les vieux racontaient les histoires, transmettre, ne pas que ça s’oublie. On pense aux veillées des morts. On ne les oublie pas. Et on n’a pas envie d’oublier Lou Raoul, on a envie d’en lire un peu plus.

 

Cécile Guivarch ~ juillet 2011

 
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