« Eloge de la poésie
et des livres », Collectif (Ed. Moundarren, 1996). Trad. du chinois
de CHENG Wing fun et Hervé COLLET.
Bonheur,
bonheur que de lire ce livre de poésie, comme bien souvent chez
cette maison d'édition, Moundarren, qui s'attache, depuis quelques
années, à faire découvrir les poésies chinoise
et japonaise. « Eloge de la poésie et des livres »
est un copieux ouvrage de quelques 130 poèmes chinois, petite
anthologie qui couvre principalement trois époques : la Dynastie
Tang (618-907), la Dynastie Song (960-1279) et la Dynastie Yuan (1234-1368).
Traduit par CHENG Wing fun et Hervé COLLET, les calligraphies
sont signées du premier, car nous avons, en plus, le plaisir
du texte bilingue (pour les yeux). Bien sûr, nous perdons beaucoup
dans la traduction : dans la littérature chinoise (jusqu'à
la révolution), le style écrit est très différent
du langage parlé. Il est précis, au vocabulaire riche
et la calligraphie apporte, en plus, une grande valeur esthétique
qui échappe à tout néophyte. La langue chinoise
est une langue extrêmement expressive : en très peu de
mots, elle peut exprimer quantité de choses. On imagine la difficulté
de la traduction. Mais les sensations passent. L'émotion. L'expérience.
« les nuages qui défilent lentement
traversent le store en bambou
la fraîche couleur verte des herbes se reflète sur ma veste
légère
le bon air m'embaume et dissipe mon ivresse de la nuit dernière
le parfum des fleurs pénètre dans mon rêve, dérangeant
mon sommeil printanier
les ombres dansent dans le rayon du soleil qui perce par le trou de
la serrure
du brûle-encens monte une fumée ténue
la porte est fermée sur le monde de poussière rouge, nul
visiteur
seul, je vais à la fenêtre au sud et termine un chapitre
»
(Wen Cheng ming)
Leur lecture nous invite à une véritable
« contemplation poétique du monde », la
poésie étant, selon Moundarren, « illumination
du Sens (Tao), instants de communion avec le monde ». Une
poésie imprégnée, selon les époques, de
Confucianisme, de Bouddhisme ou de Taoïsme.
« la glycine est lourde, elle écrase
la tonnelle
les branches sont chargées de myriades d'abricots
les abeilles assoiffées guettent l'eau sur la pierre à
encre
les jeunes hirondelles se rassemblent sur les crochets des stores
au début de l'été la chaleur est encore ténue
voué à l'oisiveté mon corps est libre
c'est l'après-midi, sous la fenêtre je viens de me réveiller
de la sieste
à une tasse de thé je confie mon sentiment poétique
»
(Lu Yu)
On pourra s'étonner de ne pas voir signer sous
chaque poème le nom du poète : c'est une succession de
poésies comme le serait celle d'un livre d'un seul et même
auteur. Un index des auteurs des poèmes se retrouve à
la fin de l'ouvrage. Un choix éditorial qui s'explique sans doute
par l'histoire de la poésie chinoise. « Ce qui frappe,
dans la longue histoire de la Chine, c'est le manque de fortes personnalités.
La plupart des penseurs n'ont fait que répéter inlassablement
les mêmes formules toutes faites, et quant aux poètes,
ils ont non moins infatigablement ciselé des vers parfaits sur
un nombre restreint de thèmes » (Odile Kaltenmark,
La littérature chinoise , QSJ). Et de fait, on a presque le sentiment
de lire un même poète tout au long du livre, usant avec
talent des mêmes sujets. Comme on fait ses gammes. Parmi eux,
TaoYuan Ming (365-427), premier poète paysagiste, dont l'influence
sera considérable; sous les Tang, la poésie est assujettie
à des règles strictes, avec plusieurs grandes figures,
Li Po (701-762), Tu Fu (712-770), Wang Wei (699-759); sous les Song,
les poètes adoptent une langue plus libre et un genre lyrique
chanté, illustré par un Li-Yu (1125-1210) ou une femme
poète Li Tsing-Tchao.
« c'est le début de l'été,
herbes et arbres poussent
les arbres prospères qui entourent la maison étendent
leur ombrage
les oiseaux se réjouissent d'y trouver refuge
j'aime ma hutte moi aussi
comme j'ai déjà labouré et même semé,
j'ai du temps pour lire mes livres (..) »
(Tao Yuang ming)
« devant ma chaumière au bord de la
rivière il y avait un cèdre,
dont les anciens disent qu'il avait plus de deux cents ans
c'est pour lui que j'ai coupé le chaume pour construire ici ma
demeure
au cinquième mois on crut entendre les cigales du froid,
quand au sud-est un vent violent arriva, faisant trembler la terre
la rivière se souleva, les pierres se mirent à courir,
les nuages déferlèrent (..)
(Tu Fu)
« l'oreiller est garni de suaves chrysanthèmes
séchés
sur le paravent sont peints des pruniers épars
retouchant un poème dans ma tête, mon sommeil n'est pas
très profond
d'entendre la neige de l'ivresse me réveille »
(Lu Yu)
Les thèmes abordés sont ceux du vin libérateur,
le temps qui passe, la méditation, le paysage, et, dans cet ouvrage,
la poésie et les livres. Et quel plaisir!
« le portail en branchages est fermé,
le sentier est couvert de mousse
assis je regarde le soleil tourner
j'ai fini de lire tous les livres de l'étagère, pas un
seul visiteur n'est venu
le vent souffle les pétales des fleurs par-dessus le mur »
(Yuan Shih yuan)
Eloge de la poésie et des livres chez Moundarren,
chemin des Bois, Millemont 78940 (16,50€)
août 2009, sophie g.lucas