Je n'ai pas peur des mots
Elle est bel et bien présente, Nolwenn Euzen, avec ce premier
ouvrage. Remarquée dans des revues de poésie (N4728, Neige
d'août, Liqueur 44, Contre-allées, Dans la lune) ou auprès
du jury 2005 du Prix de la Ville d'Angers, la jeune poète (tout
juste 32 ans au compteur) se distingue avec ce texte d'apparente simplicité.
Mais tout n'est, évidemment, pas si simple.
« Présente » donc. Ou 68 textes courts qui
livrent en creux le portrait d'une jeune femme. Ou comment égrener
la litanie d'une vie ordinaire. Le livre se découpe en quatre
morceaux distincts : « En famille », «
A l'écart », « Pêcheur sur
la rive poissons dans la rivière » et «
Un jour de semaine ». Pour chaque poème, un titre.
Et pour chaque titre, « je ». La table des matières
(cela m'a fait penser à ces devoirs scolaires que l'on recopie
consciencieusement, en tirant la langue, tout comme l'on répond
« présente » à l'appel de l'instit') donne
un aperçu de l'humour pratiqué par l'auteur. Faussement
candide. Ces titres qui en disent un peu plus que le poème, ou
qui sont parfois complètement décalés par rapport
au texte.
Je suis là
Je devine que tu prends du poids
Je vote depuis 1947
Je pense à l'été c'est l'automne
Je bourdonne
Je frôle une ablette
Je dérive
Je suis une connasse
Je suis mignonne
Je suis présente
Car il y a de l'humour. Une mise à
distance. Malgré tout, on décrypte quelques malaises ici
ou là. On dit sans trop dire. L'air de ne pas y toucher. Il y
a l'ennui, l'habitude. Ainsi les textes 2 et 3 se terminent par la même
phrase, à quelques nuances près dans le découpage
du vers.
« j'aide à plier les draps
avant de partir »
Cette première partie « En famille
» tourne autour du regard qu'elle porte sur sa mère.
Elle consigne faits et gestes, mais, au-delà, on perçoit
de l'agacement, de l'ironie, de la lassitude.
« je mets la table
je ne mets pas le saladier dans mon assiette
je me lève de table
j'ai l'intention de servir le fromage
j'attends
ce n'est pas le moment
de servir le fromage »
« tu penses que les choses peuvent
encore servir
cette photo
Emeline costumée
dans ta robe de mariée
ta robe de mariée
dans le carton des affaires à donner »
« à la fin du repas je compte
m'abstenir aux prochaines élections
tu me demandes si
je sais
depuis
quand
les femmes
votent ».
Economie de mots. Forme lapidaire. Souvent
même des répétitions qu'elle ne craint pas. Tout
est dans l'apparente simplicité, voire platitude de la forme.
Et ce « je » très présent dans les titres
se révèle être discret, absent aux autres. Elle
observe ce « je » au milieu des autres. Comme extérieure.
Est-elle si présente que cela?
Dans « A l'écart », elle est dans
la nature. Des moutons, des feuilles, des passants, des oiseaux, des
primevères. Seule au milieu de la nature.
« j'entends les feuilles des peupliers
je vois une feuille qui tombe doucement
je vois les feuilles emportée doucement
par l'eau du canal »
« les hommes pêchent sur le
bord du canal
les femmes lisent des magazines
les vieux sous l'aubette se protègent du soleil
les couples marchent lentement
les poussettes me gênent »
ou cette petite perle :
« primevères
le long des talus
taches jaunes
dans la descente
l'air me frotte »
Un petit air de haïku. Et même
des clins d'oeil, il me semble, à ce cher Richard Brautigan.
Au milieu de la famille, au milieu de la nature puis... elle disparaît.
Dans la troisième partie, étonnante, «
Pêcheur sur la rive poissons dans la rivière »,
si la forme des titres demeure la même « je suis une ablette
», « je dérive »... le « je » a
disparu des textes. Elle ne décrit que des scènes de pêche.
Où est-elle passée celle qui se déclare «
présente »? S'est-elle noyée? Est-elle devenue un
poisson? Une proie? Nenni! La revoilà dans de courts fragments
de la dernière partie « Un jour de semaine ».
Et toujours cet humour.
« à vélo dans le rond
point
je remercie
l'automobiliste
de me céder le passage »
(Je suis une connasse )
Et ces quelques scènes, simples, rêveuses.
« je tiens mon livre dans les mains
je ne lis pas
je ne ferme pas la fenêtre »
(J'écoute les avions )
ou
« j'étends le linge
j'épluche les légumes
tout pour aujourd'hui »
(Présente )
Nolwenn Euzen n'a pas peur des mots.
Elle les utilise pour ce qu'ils sont. Ne leur fait pas dire autre chose
que ce qu'ils signifient. N'hésite pas à les répéter
dans un même court texte. Et cela reste de la poésie. Un
vrai tour de force. Il faut lire et relire « Présente »
pour y déceler ce qu'il ne livre pas forcément à
la première lecture.
On peut découvrir des extraits
d'un travail en cours de Nolwenn Euzen dans les revues« N4728
» (juin 2007) et « Contre-allées » (21-22,
automne-hiver 2007), intitulé « Dimanche trois temps ».
Et cela confirme tout le bien que l'on pense de sa poésie.
On pourra aussi consulter son blog sur nolwenn.euzen.over-blog.com
sophie g.lucas (avril 2008)