TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
Panik, Sophie g. Lucas (Le chat qui tousse 2008)

 

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Au bord du vide

Avec Panik, recueil qui vient de paraître aux éditions Le Chat qui tousse, Sophie G lucas semble suivre la voie tracée par ses précédents livres. En effet, il s’agit à nouveau de textes courts en prose, sans majuscules ni ponctuation.
Si l’évocation du quotidien dans sa banalité y est préférée pour couper court à tout lyrisme, la narration n’est cependant pas absente. D’un texte à l’autre on retrouve des êtres soumis à la violence et à l’usure du travail « aller se miner le corps à l’usine des fois des gens se tuent », « elle (…) n’entend pas pleuvoir les commandes des clients dans son dos (…) des oiseaux tard bien trop tard pour les suivre » ; une enfant qui se terre sous les draps tandis qu’à côté on pleure un mort ; une femme figée dans l’attente de l’amour maternel qui ne viendra pas ; et, de façon récurrente, le vertige, la tentation du suicide : « elle avançait bleue la rivière et les cailloux battant sa nuque (…) elle priait bleue qu’on ne la retrouve pas ». Sophie G Lucas sait mettre à jour ces drames qui se font en silence, passant par les détails les plus concrets, un seul adjectif changeant le ton d’un texte, tel ce « lait tourné aux coins des lèvres ».
La violence n’est jamais évoquée directement, elle surgit au détour d’une scène. La parole est saisie dans une tension de lutte et de résistance. Il s’agit de se libérer « de nos propriétaires les pères et les mères allons à la chasse enfumer les terriers faire déguerpir les nuisibles à l’occasion tirer un ou deux coups de fusil ». Ce ton guerrier est faussement victorieux. En réalité, on ne sait qui remporte l’ultime victoire, mais le lecteur est clairement invité à se ranger aux côtés du narrateur, du côté du « on » victime des « ils » : « on rentre la tête les mains les pieds on résiste on ne voit pas où ils veulent en venir (…) toujours on se tait ». La fin de ce poème est équivoque : « qu’ils ne nous voient pas vivre surtout qu’ils nous oublient », car si l’indifférence peut tuer, elle peut aussi permettre la fuite… Mais les souvenirs sont cette « vie seconde » dont on ne se débarrasse jamais vraiment. Et l’angoisse peut resurgir à tout moment « à son retour le silence de la maison de ses voisins (…) la vie seconde adossée là et c’est la panique presque ».
Ce « presque » sur lequel se clôt le recueil renvoie à la très belle citation de Jacques Réda mise en exergue du livre « Comment j’avance maintenant, c’est par une succession de mille petites morts de justesse évitées. » Et en effet, tout au long de la lecture de ce livre, on ne peut se départir de l’impression de lire la parole d’une rescapée qui, ayant vécu dans la proximité de la mort sans y être engloutie, a su faire naître une parole au bord du vide où d’autres peuvent prendre place. Cette parole nue, sans concession, pourra aussi déranger tant elle est centrée sur la douleur et sa traversée, mais c’est qu’elle n’a pas de temps à perdre ailleurs, sa vérité est là, c’est là qu’elle prend sa source, de là qu’elle peut irradier. Et nous rejoindre.

 

Par Sabine Chagnaud

 

 
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