TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
Le pays d'en haut ~ Jean-Luc Meyssonier
Les éditions du Chassel, 2011

 

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ECRIRE AVEC LA NUIT

Le pays d’en haut. Des auteurs, tous en lien avec un même territoire ont accepté l’invitation d’accompagner d’un écrit, les photos de Jean-Luc Meyssonnier, un hommage aux lieux, aux paysages qu’il parcourt de l’Ardèche à la Haute-Loire. Parfois, on est proche de la gravure, de l’abstraction, d’un éloge du vide. On est dans l’hiver, on est dans l’été. Une belle réussite d’avoir su unir, outre la diversité des reliefs, des mois traversés, ces sensibilités diverses, ces parcours de vie différents, qui sans nier la réalité d’un pays, avec tout ce qu’il contient de la présence de l’homme et de ses activités, offre à certains moments d’approcher / Le corps, vu d’en haut. Lucien Clergue dans la préface nous rappelle l’étymologie de la photographie « écrire avec la lumière », on pourrait compléter avec ce qu’on est, avec ce qu’on porte de nuit.

Dans Altiplanos, une promenade en géographie, Martin de la Sourdière, sur les pas de Julien Gracq, nous livre sa gourmandise pour les sons, de ces hautes terres du Massif Central : Artense, Cézallier, Causses, Aubrac, Margeride, donne une définition, «qu’est-ce qu’un altiplanos ? Une zone dissidente, donnant l’impression qu’on est plus libre qu’ailleurs, d’avoir le ciel à soi tout seul et l’envie d’y marcher à grandes enjambées / […] », Il épouse les reliefs, aime « bascule », / «[…] un espace frontière est là qui brouille les cartes, un territoire périèque (de peri et oikos) : terres situées en périphérie des zones occupées par l’homme, lieux qui se tiennent dans les entre-deux, ne se révélant qu’à ceux qui prennent le temps et le parti des marges, des confins, des pourtours […]». Vous l’aurez compris, il est question de solitude, de solitudes habitées, veinées de présences obstinées, de fidélité(s) à une terre.

Jacques Roux a une formule magnifique pour dire autrement cette attention aux lieux, propre à Meyssonnier : «le bégaiement de la sidération, la prise au corps du corps du monde, avec ses cris de lumière et ses arrivées d’ombre, sa brutale et tragique insistance».
La belle misanthropie de Gil Jouanard, qui abrite «une géologie intime», une géologie enfouie dont l’imaginaire serait «le cœur d’une géode». Avouez qu’il y a pire comme reliquaire, je connaissais celui sublime d’Anne de Bretagne, celui-ci n’est pas mal non plus pour abriter la présence secrète d’un solitaire. Je le confie ici, je partage avec lui, ce goût des roches : le /[…]Quand nous saurons comment les rocs profonds méditent leurs rubis, de Lanza del Vasto, probablement m’aura fait passer des morceaux de granit, de quartz ramassés, aux mots, à leur cristallisation…

En proximité également avec une manière d’habiter, de s’habiter / j’ai été particulièrement sensible au poème de Jacques Estager. Veiner l’absence, être avec, être là, déjà / s’offrir voix à tout ce qui vit, solidaire. Il rend un hommage troublant «aux bêtes», entendez par là, les vaches… C’est ainsi qu’on les désigne, dans le monde paysan, elles, nuit au museau, dehors, dedans, «et un soir de leur paysage, de la fresque, l’une d’elles en fresque fugitive, me voit et m’apparaît […] et ses yeux […] pendant mon regard sur elle toutes […] ». Il est pour lui, une nécessité déjà, de s’offrir de son vivant à ce qui bat , «cette terre, je suis sur son sommeil, j’y trouve au dehors ce ruisseau qui, rivière, lumière eau, s’enfonce sur la terre, puis je suis ensemble la terre et le ciel et au loin et ici et au dehors […]». Dans la nuit nue ou la lumière crue, dans l’hiver cela ressemble, (on) / à n’être pas – on se devine n’être plus :

«on est comme quelqu’un sans personne, comme la terre au large sans personne encore / […] on approche le secret de la terre sans le jour et sans le ciel / […] ». On est à la neige, au feu d’être seul avec cette absence, on est cette terre « pendant qu’elle rêve». On l’imagine bien, s’il le fallait, Jacques Estager aurait la dague facile. Il défend une identité, nous parle d’une ruralité, mais encore d’une invisible région / déjà il y donne sa vie, son sang, son temps, («il a sa musique » dirait Catherine Tourné). Il inspire, il a son silence.

Un autre défenseur de «ces choses sans grande valeur » que sont «/ […] le silence nourricier et un air pur propice à la légèreté de l’âme », le paysan Pierre Rabbi égal à lui-même, militant amenant aussi sa bûche, sa contribution au feu, de deviser ensemble, en livrant un secret : celui d’ouvrir une « porte magique »… Et si je l’ai bien compris, dans celle d’Hervé Ozil : «/ […] l’ondée imbibe à présent quelques sagnes, puis frayant entre les bourles, mille sources abreuvent la terre nourricière, les jeux sont faits, elles se donnent qui à l’océan, qui à la Méditerranée », la Loire aurait sa source dans le ciel au Mont-Gerbier du ciel.

Jean-Jacques Salgon lui, donne de «l’altesse» aux charolaises, aubracs, salers, aux limousines… leur offrant là, l’altitude, le sacré et même de retourner à la voie lactée, rien de moins quand la nuit vient sous «l’œil rouge du taureau Aldébaran», la compagnie des aurochs, des zébus…Vous l’aurez compris, c’est un peuple, celui du pays d’en haut, qui vit dans le ciel des nuits et rêve en plein jour.
Moins légèrement, la marche sensible de Joël Vernet nous rappelle notre histoire récente, la présence nazie, même là sous les sapinières, «ce retour possible des barbaries toujours perpétrées non par des monstres mais plus banalement par des gens complètement ordinaires […]. Cette angoisse retomba d’un seul trait lorsque je vis, au détour d’un virage, la lumière sur la neige et sur l’étroite flaque d’un ruisseau non prise dans les glaces, sur la touffe d’herbe habillée de givre se dressant humblement vers le ciel. Cette lumière, d’un seul coup, illuminait le vallon et je pouvais enfin poser mon sac sur la pierre d’un tel lieu, l’ouvrir et manger lentement un quignon en contemplant cette faiblesse des choses qui était toute leur force / […] dans mon esprit se bousculaient tous les vagabondages qui avaient été les miens tout au long de ces années où j’avais confié ma vie à une poignée de mots, à la chance et au hasard. A une folle obstination […]» Il nous parle, Joël Vernet nous dit qu’il faut «prendre soin de toutes choses», qu’une étroite flaque d’eau, une touffe d’herbe, d’un seul coup peut nous révéler l’essentiel, qu’un détail, c’est une profondeur en poésie (E.Glissant ).
Enfin pour terminer cette lecture, Jean Gabriel Cosculluela a une magnifique expression «la nuidité de la lumière» qui a elle seule pourrait traduire toutes ces présences en jeu, en frottements.

Bruno Normand


 
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