Ariel de Sylvia PLATH
(Gallimard, 2009, traduction de Valérie ROUZEAU)
Sylvia
Plath s'est donné la mort le 11 février 1963 à
Londres. Quelques jours auparavant, elle travaillait encore à
des poèmes d'Ariel.
« La mort signe l'oeuvre » écrit Antoine
Emaz. Et cette mort-là, à ce moment-là, donne à
Ariel un tout autre relief, comme elle signe la vie de la femme et de
la poète.
Sylvia Plath n'aura donc pas connu la publication d' Ariel,
paru en 1965. Tout comme elle n'aura pas connu la reconnaissance de
son vivant, elle qui confiait à son journal vouloir être
« la poétesse de l'Amérique ». Mais,
comme le souligne sa traductrice, Valérie Rouzeau, dans l'avant-propos,
Sylvia Plath pressentait que ces poèmes « feraient
sa renommée ». Elle ne s'était pas trompée.
Ariel est habité. Ariel est incandescent. Ariel
est traversé par ce « galop infatigable »
(« Secs, sans cavalier, les mots/Et leur galop infatigable
»), un rythme, une force, « une véritable
élévation, révélation » (V. Rouzeau).
Sylvia Plath a déjà écrit, publié. Des nouvelles,
un roman (le très salingérien The Bell Jar -La cloche
de détresse- ), de la poésie (The colossus).
Est-ce le départ de Ted Hughes, son imposant mari de poète
anglais, en octobre 1962, qui lui permet de se libérer ? De se
révolter ? Car c'est juste après leur séparation
que Sylvia se jette dans Ariel. Et on a ce sentiment qu'elle
se lance au galop de sa poésie. A découvert. Elle écrit
chaque matin, à l'aube, « quand les somnifères
avaient cessé d'agir, et avant le réveil des enfants ».
(V.R). Comme neuve à chaque fois. Elle livre alors son grand
oeuvre. Un Ariel sans doute inachevé puisqu'elle mourra
avant d'avoir pu y mettre de l'ordre ou lui donner son titre définitif.
C'est Ted Hughes qui lui donnera ce titre, Ariel, du nom d'un
des poèmes « qui fend l'air »; Ariel
étant l'esprit de l'air de La Tempête de Shakespeare.
Des éléments biographiques, transformés, peuvent
nous échapper à la lecture des poèmes mais il y
a d'heureuses annotations de la traductrice. Un temps classée
dans les poètes confessionnels (tel Robert Lowell), sa poésie
peut paraître à certains endroits déroutante, étrange.
Il faut être poète, et quelle poète, pour traduire
la langue de Sylvia Plath. Et Valérie Rouzeau connaît bien
l'oeuvre de la poète américaine. (On pourra regretter
que ne soient pas reproduits les textes en version originale.)
Suicide, mémoire, perte, manque, impossible deuil du père
(puissant Daddy), maternité sont parmi les thèmes d'Ariel,
jusqu'à l'obsession, d'une « fragmentary girl »,
comme Sylvia s'est elle-même qualifiée dans son Journal.
Extraits.
« Ceci est ma mort Numéro Trois.
Quel saccage
Pour anéantir chaque décennie.
(..)
Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je m'y révèle exceptionnellement douée,
On dirait l'enfer tellement.
On jurerait que c'est vrai.
On pourrait croire que j'ai la vocation.
C'est assez facile à réaliser
dans une cave.
C'est assez facile de rester là et d'attendre. »
(Dame Lazare)
« J'ai laissé, cargo de trente
ans, les choses filer,
Amarrée obstinément à mes nom et adresse.
On m'a lavée de mes attaches sentimentales.
Nue sur la housse de plastique vert du chariot
J'ai vu avec effroi ma porcelaine, mon linge fin, mes livres
Sombrer puis disparaître, et l'eau m'a submergée.
Me voilà nonne maintenant, je n'ai jamais été si
pure. »
(Tulipes)
« Je suis cette demeure hantée par un cri.
La nuit, ça claque des ailes
Et part, toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer.
Je suis terrorisée par cette chose
obscure
Qui sommeille en moi;
Tout le jour je devine son manège, je sens sa douceur maligne
»
(La voix dans l'orme)
« C'est donc cela, la mer, cette immensité
hors d'usage.
Le cataplasme du soleil ne peut rien contre ma brûlure.
Dans l'air fusent les couleurs électriques
de sorbets
Puisés dans la glace par les mains gercées de filles blêmes.
Pourquoi est-ce si calme, que veut-on nous
cacher?
J'ai mes deux jambes et le sourire pour avancer »
(Berck-Plage)
« Je ne bronche pas.
Le givre crée une fleur,
La rosée une étoile,
La cloche funèbre,
La cloche funèbre.
Quelqu'un quelque part est foutu »
(Mort &Cie)
« Je suis ivre, bien au chaud.
Je suis peut-être énorme,
Si bêtement heureuse
Dans mes bottes en caoutchouc,
A patauger dans ce rouge si beau, à l'écraser.
Je suis ici chez moi.
Deux fois par jour
J'arpente ma terre, je flaire
Le houx barbare,
Son fer viride et pur »
(Lettre en novembre)
« Tu ne me vas pas, tu ne me vas plus,
Soulier noir dans quoi j'ai vécu
Comme un pied depuis trente ans,
Blanche et démunie, dans la crainte
De respirer et d'éternuer.
Papa, il a fallu que je te tue.
Tu es mort sans m'en laisser le temps-»
(Papa)
« Les collines descendent dans la blancheur./
Les gens comme les étoiles/
Me regardent, attristés : je les déçois.
(..)
Fleur ignorée.
Mes os renferment un silence, les champs font
Au loin mon coeur fondre.
Ils menacent
De me conduire à un ciel
Sans étoiles ni père, une eau noire »
(Moutons dans la brume fut retravaillé par la poète quelques
jours avant sa mort)
Sylvia Plath s'est suicidée à 31 ans.
La poésie ne sauve pas. La poésie ne sauve de rien. Mais
il reste la poésie.
Bibliographie :
Chez Gallimard :
La cloche de détresse (roman)
Arbres d'Hiver / La Traversée (poésie)
Journaux (1950-1962)
Aux Editions du Rocher :
L'histoire qu'on lit au bord du lit
Aux Editions des Femmes :
Trois femmes : poème à trois voix
Lettres aux siens, vol.1 : 1950-1956
Chez La Table ronde :
Le jour où Mr Prescott est mort
Carnets intimes (extraits de son journal + nouvelles)
Pour en savoir plus sur l'oeuvre et la poète
:
La terre des morts est lointaine, Sylvia Plath de Sylvie Doizelet
(Gallimard, 1996)
Birthday Letters de Ted Hughes (trad. Sylvie Doizelet, Gallimard,
2002)
Sylvia Plath, un galop infatigable de Valérie Rouzeau
(Jean-Michel Place /Poésie, 2003)
sophie g.lucas, octobre 2009