Il est de ces textes que vous recevez comme un coup de
poing à l'estomac. « 9'32/Pollock »
d'Armand Dupuy est de ceux-là (oui Armand participe au site,
oui nous nous connaissons un peu, mais cela ne doit pas empêcher
de dire tout le bien, le grand bien, que l'on pense de ce travail).
« 9'32/Pollock » ce sont 68 «
fictions », des variations autour du peintre américain
Jackson Pollock (1912-1956). Une légende. Une gueule. Un peintre
culte. Armand Dupuy se saisit de Pollock au travers d'un film de 9'32
de Hans Namuth (film consultable sur différents sites dont youtube,
pour les curieux).
Il y a l'atelier de Pollock, maison de guingois plantée quelque
part dans un bled américain, East Hampton. Il y a le ciel blanc,
l'herbe jaune. Il y a un chien. Il y a des pots de peinture, une toile
posée au sol. On est dehors.
« Le ciel est blanc. Les prés jaunes
autour, à peine, les planches de la grange. Pollock avec »
Et donc il y a Pollock. Pollock qui peint. Pollock qui
absorbe l'image, le décor, le poète. Pollock est un ogre.
« Devant l'atelier c'est novembre. Pollock
est novembre »
On le surnomme « Jack the Dripper » (clin
d'oeil à Jack the Ripper ») soit Jack l'égoutteur.
Le pinceau goutte au-dessus de la toile.
« Pollock est penché sur la toile et
pleure. Ou peut-être qu'il ne pleure pas mais s'égoutte
au bout du bâton. Pollock lutte »
Les gestes sont rapides. Pollock peint vite, très
vite. Sa vie ressemble à sa peinture. Furieuse. Intense.
« Car Pollock ne peint pas. Pollock habite.
Pollock ne peint pas mais s'agite »
L'une des forces du texte, c'est cette scansion du nom
du peintre. Pollock. Cela donne le rythme du texte. Sa vitesse. Armand
confie que le peintre ressemble à son nom, et que le bruit qu'il
fait a beaucoup compté. Pollock comme ploc. La peinture qui tombe
sur la toile. Ou bien,
« Car Pollock, dans la bouche, n'est plus
qu'un mot sale. Plus qu'un bruit fort de loco qui s'emmène :
pollock, pollock, pollock »
Tout comme Pollock, Armand a écrit vite, très
vite. Deux jours à se passer le film en boucle. Deux jours à
noircir des carnets. L'Action Painting de Pollok se transforme en Action
Writing pour Armand. Il capte tout : ses gestes, son humeur, son regard,
le décor. Il interprète. Il surinterprète. L'auteur
n'est pas là pour livrer une biographie du peintre. Non. Il en
fait un portrait. Son portrait.
« Pollock se sent seul mais n'aime pas ses
amis. Il ne s'aime pas, pas plus qu'il ne m'aime »
« Mais l'avantage de Pollock, c'est qu'il
ne sait pas qu'il est Pollock. Pollock est tout autre chose que lui-même
et se fiche qu'on se moque »
« Quand Pollock se tait ou bien qu'il ne fume
pas, Pollock mâche l'intérieur de ses joues. C'est à
dire que Pollock se mange à petit feu debout »
Armand mélange ses couleurs : ce qu'il sait de Pollock, ce qu'il
voit sur les images, ce qu'il imagine de lui, ce qu'il lui rappelle.
Son propre père. Les deux figures se superposent.
« Pollock se venge et ramène mon père
qui, tous les matins, ravale mon père sur le lavabo »
« Pollock répète qu'il faut
mourir un jour et qu'il saura, lui, ce qui l'a tué. Pollock me
rappelle vaguement quelqu'un »
« Pourtant Pollock et mon père n'ont
pas rien à voir. Mon père n'est pas Pollock ni l'imposteur,
mais partage la soif »
Armand Dupuy use Pollock jusqu'à la corde. Il
revient plusieurs fois sur quelques scènes. Comme celle de la
grolle que le peintre ôte pour en faire tomber ce qui le gêne.
Il revient sur certaines scènes, comme Pollock revient sur des
endroits de la toile avec son pinceau. Ou comme s'il se déplaçait
dans une pièce, enfermé, se cognant aux murs.
« Pollock se vide où se remplit de
ce qui vide »
Pollock échappe-t-il au poète? Pollock
l'aide-t-il à comprendre son père?
« J'ai cru que Pollock pouvait m'aider, mais
Pollock me perd. Pollock se balade et moi. L'air de rien me déplace.
C'est que Pollock ne veut pas qu'on l'attrape »
Un texte exigeant, fort, vertigineux. Obsédant.
« 9'32/Pollock » est à télécharger
sur www.publie.net
avec, en prime, photo de Pollock, croquis et extraits manuscrits des
carnets d'Armand Dupuy.
A consulter autour de ce texte :
www.lespasperdus.blogspot.com
www.tessons1.canalblog.com
sophie g.lucas (février 2009)