TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
La Salle des épines ~ Jean-Louis Vincendeau
Editions Eoliennes. (collection Trois degrés). 2007

 

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QUAND LE PAYSAGE CONVERSE

[…] les devenirs contemplatifs sont la consistance même de notre existence ou ce qui fait qu’on y distingue quelque chose, qu’y luisent des points saillants ou remarquables, des reliefs, des singularités au lieu d’une nuit indifférenciée […]» François Zourabichvili m’offre avec ces quelques lignes une belle introduction à un petit livre que je viens de découvrir sur le sculpteur Penone, La Salle des épines par Jean-Louis Vincendeau. Outre la complicité avec cet artiste, l’auteur semble aussi le confident de tout ce qui porte rameaux, branches, troncs, vie, beauté, / élan vers (…) et a le goût du partage, vous-même lecteur, vous vous sentirez au fil des pages, devenir son ami. Une grande érudition, une belle sensibilité qui lui font écrire par exemple page 14 : «/[…] Vient le temps de trouver son lieu dans le lieu, faire un chemin dans la friche, la « plaine de vérité » de Platon « pédion alètheias », autour de laquelle se trouve l’éternité « aiön », de laquelle s’échappe le temps « chronos » comme un flot « aporroè » tout en se portant vers les mondes : on peut voir cette plaine comme un cadre cosmologique et aussi (enfin) une vision, une mise en scène inaugurale». Et il l’a trouvé son lieu Giuseppe Penone, Garessio au sud de Turin dans le Piémont, dans les pas de Giovanni Battista Penone, dans ceux de Pascale Penone, ses aïeux agriculteurs. C’est un voyage que nous propose Jean-Louis Vincendeau, on passe, goûte les frontières par jeu, juste pour méditer, avoir en bouche le son des choses, les phrases, le dit des hommes / et dans le sang, ce qui offre sens et porte peut-être le secret d’une nature pacifiée à venir, à déchiffrer. Une nature qui aurait besoin de notre participation par une longue et patiente conversation avec ce qui nous a été donné de vivre, d’accompagner. De la toison d’une mousse à la ronce protectrice, on va de butin en butin / du sureau qu’on visite à la lecture d’un genêt jaune et obscur, Jean-Louis Vincendeau butine, partage ses découvertes, offre à ses lecteurs un dedans, un dehors, une façon d’approcher cette œuvre, il semble en mission presque, guette quelque chose / une magie(?) parfois le surprend : page 53 / «l’homme attend derrière l’arbre une réalité invisible agissant par soi-même, il la devine ou la trouve, il exhorte son âme à se quitter elle-même pour s’élancer et rentrer dans l’arbre, sinon il revient sur le devant et décide d’agir sur la réalité. Il avance dans la friche inventant son propre chemin. Et croise la muse Hortésie… ». Une méditation autour de l’arbre, du rôle de l’arbre, du nom des arbres, du son, du temps posé sur l’écorce, les écorces /des racines grecques ou latines enlacées avec celles des sous-sols, de la terre sombre / de la lave des volcans à la vulve de la terre, l’art povera avec Jean-Louis Vincendeau aurait –il trouvé son Pascal Quignard ? Une méditation autour du silence qui entoure l’arbre, une visibilité du silence nous est proposé là, Jean-Louis Vincendeau s’écrit, s’émerveille, lentement s’agrandit / d’un petit jardin en lui / à lui, est-ce cela le sentiment hortésien qu’il mentionne ? Page 83, il rencontre « Elevazione » la dernière pièce en bronze de Penone, commente cette élévation : «[…] la parrhèsia » du paysage, cette confiance dans le regard […] qui ne se réduit pas à l’absence de honte ni de fierté, mais évoque le don absolu et l’abandon absolu, la confiance éclairée, la réception éclairante. Dire encore le « totaliter inclinatur » de Saint Thomas, […] ou l’homme (l’artiste) en pleine possession de ses moyens, en pleine lumière et jouissant de toute sa liberté, jette tout son être dans […] : son œuvre». Si la Salle des épines vous fait signe, acceptez ! Vous y trouverez un souffle…

Bruno Normand

 
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