Retour aux bonnes feuilles
|
QUAND
LE PAYSAGE CONVERSE
[…] les devenirs contemplatifs sont la consistance même
de notre existence ou ce qui fait qu’on y distingue quelque chose,
qu’y luisent des points saillants ou remarquables, des reliefs,
des singularités au lieu d’une nuit indifférenciée
[…]» François Zourabichvili m’offre avec ces
quelques lignes une belle introduction à un petit livre que je
viens de découvrir sur le sculpteur Penone, La Salle
des épines par Jean-Louis Vincendeau. Outre la complicité
avec cet artiste, l’auteur semble aussi le confident de tout ce
qui porte rameaux, branches, troncs, vie, beauté, / élan
vers (…) et a le goût du partage, vous-même lecteur,
vous vous sentirez au fil des pages, devenir son ami. Une grande érudition,
une belle sensibilité qui lui font écrire par exemple page
14 : «/[…] Vient le temps de trouver son lieu dans le
lieu, faire un chemin dans la friche, la « plaine de vérité
» de Platon « pédion alètheias », autour
de laquelle se trouve l’éternité « aiön
», de laquelle s’échappe le temps « chronos »
comme un flot « aporroè » tout en se portant vers les
mondes : on peut voir cette plaine comme un cadre cosmologique et aussi
(enfin) une vision, une mise en scène inaugurale». Et
il l’a trouvé son lieu Giuseppe Penone, Garessio au sud de
Turin dans le Piémont, dans les pas de Giovanni Battista Penone,
dans ceux de Pascale Penone, ses aïeux agriculteurs. C’est
un voyage que nous propose Jean-Louis Vincendeau, on passe, goûte
les frontières par jeu, juste pour méditer, avoir en bouche
le son des choses, les phrases, le dit des hommes / et dans le
sang, ce qui offre sens et porte peut-être le secret d’une
nature pacifiée à venir, à déchiffrer. Une
nature qui aurait besoin de notre participation par une longue et patiente
conversation avec ce qui nous a été donné de vivre,
d’accompagner. De la toison d’une mousse à la ronce
protectrice, on va de butin en butin / du sureau qu’on visite à
la lecture d’un genêt jaune et obscur, Jean-Louis Vincendeau
butine, partage ses découvertes, offre à ses lecteurs un
dedans, un dehors, une façon d’approcher cette œuvre,
il semble en mission presque, guette quelque chose / une magie(?) parfois
le surprend : page 53 / «l’homme attend derrière
l’arbre une réalité invisible agissant par soi-même,
il la devine ou la trouve, il exhorte son âme à se quitter
elle-même pour s’élancer et rentrer dans l’arbre,
sinon il revient sur le devant et décide d’agir sur la réalité.
Il avance dans la friche inventant son propre chemin. Et croise la muse
Hortésie… ». Une méditation autour de l’arbre,
du rôle de l’arbre, du nom des arbres, du son, du temps posé
sur l’écorce, les écorces /des racines grecques ou
latines enlacées avec celles des sous-sols, de la terre sombre
/ de la lave des volcans à la vulve de la terre, l’art povera
avec Jean-Louis Vincendeau aurait –il trouvé son Pascal Quignard
? Une méditation autour du silence qui entoure l’arbre, une
visibilité du silence nous est proposé là, Jean-Louis
Vincendeau s’écrit, s’émerveille, lentement
s’agrandit / d’un petit jardin en lui / à
lui, est-ce cela le sentiment hortésien qu’il mentionne ?
Page 83, il rencontre « Elevazione » la dernière pièce
en bronze de Penone, commente cette élévation : «[…]
la parrhèsia » du paysage, cette confiance dans le regard
[…] qui ne se réduit pas à l’absence de honte
ni de fierté, mais évoque le don absolu et l’abandon
absolu, la confiance éclairée, la réception éclairante.
Dire encore le « totaliter inclinatur » de Saint Thomas, […]
ou l’homme (l’artiste) en pleine possession de ses moyens,
en pleine lumière et jouissant de toute sa liberté, jette
tout son être dans […] : son œuvre». Si la
Salle des épines vous fait signe, acceptez ! Vous y trouverez un
souffle…
Bruno Normand
|