Nous a horreur du silence capitonné dans lequel
on le confine. Pour oublier qu’il n’y a rien à entendre,
nous regarde plus fort le mur blanc, moelleux, cette toile sur laquelle
il projette l’image d’un nous qui se frappe la tête,
très vite, très fort, comme ça, pour faire du bruit.
Nous ne pleure pas. Les larmes de nous sont trop profondes,
un abysse liquide dont le limon putride et corrosif remonte à
la surface de manière cyclique. Nous s’y noierait. Pour
l’empêcher de raviver ses eaux, on fait gober à nous
des soleils roses et bleus qui assèchent ses chairs et drainent
ses pensées. Nous en reste bouche bée.
Nous a mis son bel habit blanc. Depuis qu’il s’est marié
à son mal-être, nous ne quitte plus ses oripeaux de noce.
Debout, il tourne sur lui-même et regarde voler les lanières
blanches qui coulent du nœud qu’il a dans le dos. Nous valse
pour se libérer mais il resserre l’étau. Alors il
s’allonge sur le sol vert de vase et regarde les limaces grignoter
la vierge chemise.
Nous sent parfois un drôle de pression sur le bras. C’est
mou et chaud. C’est rose et doux. Ca coule dans la peau comme
une bouillotte percée qui suinte sur l’épiderme.
Ca part de soi-même, et ça revient quand nous respire par
à-coups. Ca revient humide et glissant, à rebrousse-poil.
Ca revient quand nous est dans la pièce que lui seul connaît.
Assis sur une chaise sans barreau, nous courbe l’échine
dans l’obscurité. Il lutte contre un frisson, une paralysie
; mais le plafond bas écrase sa mutinerie. La pièce est
profondeur.
Puis une pression tiède sur le bras… Un gant de toilette
mouillé autour d’une pulsation sanguine, humaine. Et la
chaleur repousse les murs, terrasse l’ombre, la tétanie.
Et nous s’éveille comme dans une chambre après un
cauchemar de sommeil, caressé par les doigts du jour.
La nuit venue, nous avale son cachet jaune et se glisse
dans son lit dur, dans ses draps froids et rigides, comme des alèses.
Nous tourne, se retourne, se contourne dans les étoles de plastique
qui luisent dans l’obscurité. Allongé sur cette
lune, le corps de nous est inerte.
Les rêves de nous sont roses et bleus. Rien ne les traverse. Rien
ne les transperce. Pas une odeur, pas une saveur, pas un toucher. Rien
qui respire le vrai. Les rêves de nous ne le bernent pas, ne le
bercent pas. Personne ne berce nous, sauf ces bras roses et bleus et
cette lueur jaune qui l’empêchent de dormir.
Les matins de nous sont pareils à ses nuits.
Chaque fois que nous pose une question, on lui répond : «
non, c’est pas grave ».
Mais quand nous dit : « non, c’est pas grave », on
le questionne.
Alors nous fume.
Nous observe le liquide jaunâtre dans la bouteille.
Il la secoue un peu et les vaguelettes s’en vont buter contre
les parois. Il la secoue plus fort, le pouce sur le goulot. Le liquide
mousse, rampe le long des murs de verre, vient lécher le doigt
qui réprime. Tempête dans un crâne. Nous ne parlera
pas.
Assis sur un siège rembourré de couleur
vert foncé, nous est seul dans le salon télé. Il
se gratte la tête dans la lumière bleutée, traversée
de spasmes d’une clarté à rendre épileptique.
Plus les flashs se rapprochent, plus nous se gratte la tête. Changer
de chaîne devient urgent. Au lieu de saisir la télécommande
graisseuse—menu du jour à la cantine : salade ou rillettes,
truffade ou purée, frites ou brocolis, fromage ou fruits ou charlotte
ou mousse, café, clope(s), soleils bleus et roses—nous
empoigne la table basse sur laquelle sont disposés des magazines
avariés (Glossaire de ta semaine TV, Marie-Antoinette, Un homme
c’est ça, Une femme c’est ça, Nous Deux, Tous
pareils, Toutou mag…) et la lance dans l’écran bouche
bée.
Nous se gratte la tête dans l’obscurité.
Dehors, sur un banc, près d’un chêne, nous regarde
sa main. Il la lève péniblement et l’approche de
son visage. Il tente de remuer les doigts, sans résultat. L’air
glacial a eu raison de ses chairs.
Nous perçoit vaguement des voix de femmes qui crient son nom
quelque part, plus loin. Il se concentre et les oublie. Il n’a
d’oreilles que pour les grincements de son bras qui s’engourdit
à son tour.
Voilà bientôt six heures que nous est caché là,
sous un banc, derrière un chêne. Le temps s’écrit
en lettres violacées sur le dos de sa main.
De la fenêtre de sa chambre, nous voit les murs
gris du blockhaus. Des vitres de béton épais, gigantesques,
à travers lesquelles nous contemple l’immensité,
l’étendue de terre sillonnée, verte et marron, et
un clocher. Une aiguille menue, presque imperceptible, une écharde
dans l’horizon plat, plantée là, comme un possible.
Nous passe des jours à sa fenêtre.
Thibault Marthouret naît à Vichy le
22 août 1981, date qui se prête peu à l’organisation
de goûters d’anniversaire et il apprend donc très
vite à profiter des bons moments comme ils se présentent.
Son penchant pour la littérature apparaît simultanément
avec ses difficultés en calcul mental, le choix n’en
est ainsi que plus simple : bac littéraire. Puis, se sentant
soudain très attiré par la langue de Virginia Woolf
et Sylvia Plath, il entame (et poursuit encore à ce jour)
des études d’anglais qui l’amèneront à
passer CAPES puis agrégation. Il enseigne aujourd’hui
à Metz.
En 2003, il participe à l’atelier d’écriture
d’Emmanuelle Pireyre organisé par le fabuleux Service
Université Culture de l’Université Blaise Pascal
de Clermont-Ferrand. Encouragé alors dans ses frasques poétiques,
il n’a toujours pas rangé sa plume au placard, et n’en
a d’ailleurs pas l’intention.
Publications en revues papier :
l’Anacoluthe, n°11, 2004.
Décharge, n°124, 2004.
Lieux d’Etre, n°38, 2004.
Contre-Allées, n°17.18, 2005.
la Femelle du Requin, n°24, 2005.
Bleu d’encre, n°15, 2006.
Publications en revues électroniques :
la Page Blanche, n°31, 2004.
Recueil collectif :
Cahiers de Poésie, n°11, 2007.
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