Retour aux bonnes feuilles
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« Bonne qu’à ça ou rien
/ Je ne sais pas nager pas danser pas conduire / De voiture même
petite / Pas coudre pas compter pas me battre pas baiser / Je ne sais
pas non plus manger ni cuisiner / (Vais me faire cuire un œuf) /
Quant à boire c’est déboires / Mourir impossible présentement
(…) »
Le premier poème de Vrouz donne le ton
du livre : la poète se dit et c’est pas du chiqué
et c’est pas toujours facile. 150 sonnets bien frappés ou
150 petits autoportraits d’une poète, d’une femme passée
la quarantaine. Et pour ces autobiographies, VR a choisi la contrainte
du sonnet. Un sonnet bien à elle, qu’elle revisite. 14 vers
plus ou moins longs, sans strophe, d’un bloc. Parfois des rimes
internes ou finales. « J’avais une grande énergie
d’écriture, trop de choses à dire. J’ai eu le
besoin de canaliser cette énergie par des formes fixes »
confiait Valérie dans l’émission de France Culture
« Ca rime à quoi » (Mars 2012). Et dans cette même
émission, quand elle dit « Je m’autorise des formes
classiques », prise depuis plusieurs jours par la lecture de
Vrouz, j’entends « Je motorise des formes classiques »…
Car la poésie de VR, c’est aussi cette manière propre
à elle, unique, de jouer avec les mots, de faire entendre autre
chose.
« Bilan post-traumatique du cœur dans les baskets / Aïe
non dans les basses côtes numéros huit sept cinq »
Elle invente, elle joue, elle manie les mots comme personne. Elle galope,
infatigable dans la langue. Elle tient le rythme tout le long de
Vrouz et ça va vrouz. Il est d’ailleurs
beaucoup question de déplacements (avion, train, auto), même
si
« Sur la carte rouge à l’œil bleu / De la bien
bonne SNCF / Il est inscrit grand voyageur / Or je suis petite casanière
».
Ses jeux de mots ne masquent pas pour autant ses jeux de maux. Il y a
le corps, plus présent que d’ordinaire dans ce livre. Le
corps qui fiche un peu le camp, qui trahit. Et la poète se regarde
sans concession. Bien sûr, il y a ce mal-être parfois qui
prend à la gorge toujours.
« Du vent me danse la tête / Je do do dodeline / Traverse
une rue un fleuve / Une mauvaise passe une crise / Rien jamais ni personne
/ Ne me porte aussi bien / Que l’air assez remué / Qui me
remue assez / Me chavire la caboche ».
« Revoilà le ciel m’appuie sur
la tête / Ca pèse n’apaise sauf si ça tombe
/ En pluie versatile renversante ».
Ces autoportraits brossent aussi une époque dont VR s’amuse
à démont(r)er les travers avec humour et malice, de là
où elle est : à la fois dedans et en marge. On s’amuse
à lire ces brèves scènes du quotidien.
« Va-t-on mesurer ma valise / Et me faire
quitter mes chaussures / Me reconnaître à l’arrivée
/ M’oublier à l’aéroport / Vider mon flacon
de shampooing / Sonner pour un morceau de fer »
« Tout est parfait comment penser qu’on va mourir / On prend
pour nous tellement tellement de précautions »
« Non je ne veux nulle prothèse communicante / Collée
à mon oreille hyper sensible et ni / Pour ma santé cinq
fruits et légumes par jour / Parler wall-street-english mourir
et rebondir / Oublier ma grand-mère qui craignait le tonnerre /
Et la télévision mais demeurer moderne / A ma manière
sans fil et non / Actuelle plutôt crever »
Valérie Rouzeau est traversée par la langue qu’elle
secoue encore très fort, dans la lignée de ses aînés
dont elle se nourrit, à qui elle fait moult clins d’œil:
Tardieu, Prévert, Desnos, Supervielle, Salamun, Whitman, Bachelin,
Larkin, Plath etc etc… dont les précieuses références
sont ajoutées en fin de volume.
Desnos souhaitait atteindre « un langage poétique à
la fois populaire et exact… familier et lyrique ». Valérie
Rouzeau est de cette trempe-là. Elle ajouterait « lyrisme
pudique ». C’est tout Vrouz.
Sophie G. Lucas (Avril 2012)
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