TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Les bonnes feuilles de Terre à Ciel -
« Vrouz » de Valérie Rouzeau
(La Table Ronde, 2012)

 

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Parlez-vous le Vrouz ? D’abord le rythme vif, Valérie Rouzeau se réapproprie la forme du sonnet, mais pour faire le mur et jeter l’échelle. Chez Valérie Rouzeau, tout fait langue, elle emporte tout dans son vocabulaire poétique : les annonces de gare, la publicité, bar PMU, les gamins bêtas, le cratère dans la purée, les vécés, bribes d’anglais, la banque, l’appartement froid, les punaises dans les draps, l’infime, la pauvreté, la laverie, les bribes de conversation, chips et ketchup. Toutes les figures de style sont convoquées, percutées, chahutées, à la limite parfois de la virtuosité, mais pour un projet profondément singulier : «il faut qu’une âme sonne jusqu’ici ». Jusqu’au quotidien, à la banalité du monde, dans ce langage «un rien serré et cahoté par la chaleur humaine ».


De cette langue acrobate, nous viennent solitude, la nuit de l’être, et la distance l’ironie douce vis-à-vis de soi et du monde. Poète de la ville et des trains, des pas perdus, des inconnus qui passent, Valérie Rouzeau évoque aussi son métier son errance dans les écoles, les lectures publiques, l’écriture et la traduction, les colloques et des nuits d’hôtel. Elle dit l’amitié pour les vivants ainsi que les morts (Sylvia Plath) qui peuplent le monde. Et puis, nous sommes en pleine crise des modèles sociaux et économiques occidentaux, elle «pense au futur d’avance misérable ». Plutôt que Prévert, peut-on évoquer Villon, Baudelaire ?


Valérie Rouzeau est une combattante et a choisi de vivre pour l’écriture. Elle engage « une castagne contre quel néant », déploie son énergie à traquer et transgresser « la poétique fonction du langage » et traverse la ville avec cette fragile et discrète élégance pessimiste et cette liberté : « jamais je ne consentirai à quoi pèse sauf le dictionnaire ».


Oui, «il faut qu’une âme sonne jusqu’ici ». Jusqu’à l’inconnu de l’être au cœur du quotidien : «aussi je est un hôte d’on ne sait qui ni quoi », dit Valérie Rouzeau en écho à Rimbaud.

Dominique Tissot, avril 2012

 
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