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Questions pour Louis Dubost, autour du Farfadet bleu
(par Matthieu Gosztola et Cécile Glasman)
• Comment est née cette collection ?
Un peu par hasard. Lors de la période “préhistorique”
(machine à
écrire + duplicateur) des éditions, j’avais publié
un petit opuscule de J.-D.
Chéné, Le facteur déménage,
avec un dessin de sa fille Marie : poèmes proches
de la comptine. Et puis, Luce Guilbaud, qui avait déjà publié
des textes chez des
“éditeurs jeunesse”, m’a proposé Les
moustaches vertes, c’est à cette
occasion que j’ai créé la collection : les poèmes
n’étaient pas écrits “pour” les
enfants (avec tout le “cu-cul” et le “gnan-gnan”
que présuppose le “pour”),
c’était des poèmes, un point c’est tout. J’ai
pas mal tâtonné pour trouver un
format adéquat, passé du 15 x 21 (première édition
des Moustaches vertes) au
20 x 20 (2e édition du Facteur déménage)
avant de reprendre tout simplement
le format de la collection “le dé bleu” (11 x 19) mais
avec un papier différent
pour supporter mieux la quadrichromie des illustrations. Un beau compliment
m’a été fait au Salon de Montreuil par une petite
fille de 7-8 ans qui constatait
que son livre ressemblait à ceux de maman et papa, « comme
ça je pourrai leur
prêter le mien ! »
• Quelle poésie aviez-vous envie de défendre
à travers cette collection ?
Celle que je défendais avec les éditions : lisible par tous
(sans érudition
médiévaliste ou doctorat en linguistique), questionnant
le langage, se
préoccupant du monde environnant vécu ou à vivre.
Pour moi, “la poésie pour
enfants” n’existe pas, il y a la poésie ou rien. Les
enfants ne s’y trompent pas,
ils ne sont pas les “demeurés” que souhaiteraient certains
pseudo-auteursjeunesse
qui s’adressent à eux comme à des crétins attardés
! Si un enfant ne
comprend pas tout, ça ne l’empêche pas de rêver
avec les mots inconnus, de se
frotter au mystère, d’exciter sa curiosité. C’est
tout de même ce que tout un
chacun demande à la poésie : qu’elle opère
une rupture avec le langage étriqué
de la communication strictement utilitaire, qu’elle nous embarque
vers
l’essentiel, l’indispensable, l’inutile vital comme
le rappelait Francis Picabia, «
il n’y a d’indispensables que les choses inutiles ».
• Le mot « farfadet » évoque une certaine
espièglerie, à travers
l’univers des lutins, aviez-vous la volonté d’offrir
une poésie qui soit aussi
ludique et légère ?
J’ai emprunté ce mot à la mythologie poitevine (Vendée)
que l’on
retrouve dans d’autres régions comme le Berry par exemple,
le «fadet » ou
encore « la petite fadette » chère à George
Sand. Et puis, ça rime avec “dé” !
C’est effectivement un lutin espiègle et farceur, pas toujours
très sympathique,
il peut souvent être méchant.... comme les gens dans la vie
quotidienne. Les
poèmes retenus pour la collection ont certes un aspect «
ludique et léger », mais
pas seulement. Ils sont aussi, du moins c’était le souhait
de l’éditeur, mise en
éveil de la curiosité et de la conscience, provocation à
déranger les habitudes de
langage, incitation à grandir et agrandir la vue sur le monde et
soi-même.
• Les quatrièmes de couvertures précisent
« Pour lecteurs à partir de
5 ans et jusqu’à plus que centenaires », est-ce que
pour vous la poésie pour
enfants peut toucher chacun ? Et au fond le terme « pour enfants
» est-il
adapté ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’une poésie
d’enfance, qui parle à ce qu’il
y a en nous tous d’enfance, de virginité du regard ?
J’ai dit ce que je pensais de l’expression “pour enfants”,
non
seulement inadaptée, mais dangereusement manipulatrice : comme
si on (les
adultes) désirait que l’enfance soit un état définitif,
que l’on refusait le devenir
et de voir grandir l’enfant, il y a hélas ! de pseudo-poèmes
qui visent à cet
étiolement du développement mental, qui rendent cons (autant
que les
éducateurs qui en gavent leurs ouailles !). Robert Desnos, Jean
Tardieu, Paul
Vincensini voire Maurice Carême ou Maurice Fombeure n’écrivaient
pas
“pour” les enfants, ils proposaient de la poésie, et
ce sont des éditeurs qui ont
forgé le concept de “poésie pour enfants” pour
des raisons très prosaïques et
marchandes de rentabilité, tout ce qui est “pour enfants”,
livres y compris, se
vend bien. Ceci dit, je conviens que l’on ne s’adresse pas
aux enfants de la
même manière qu’à des adultes qui maîtrisent
le langage, que peut-être on doit
s’adapter au “niveau lexical” du lecteur, mais cela
relève davantage de la
pédagogie que de la poésie, encore que nombre de poètes
savent préserver dans
leur écriture ce que vous appelez avec pertinence la poésie
d’enfance : l’adulte
demeure un enfant, l’enfant reste « le père de l’homme
» disait Freud, notre
imaginaire est structuré par ce que nous avons vécu (et
lu, donc vécu par
procuration) dans notre enfance. La poésie active cette faculté
d’émerveillement
latente dans notre vie adulte soumise au désenchantement du principe
de réalité,
la poésie mais aussi le conte, la littérature, l’art,
etc. voire même, puisque c’est
d’actualité, les... promesses électorales !
• Qu’est-ce qui fait selon vous la spécificité
d’un poème d’enfance ? Le
regard à hauteur d’enfant qui s’y déploie, une
voix particulière ?
Son pouvoir d’émerveillement qui déstabilise le réel
: la poésie ouvre
des possibles, des perspectives autres que celles formatées (et
proclamées
comme intangibles) du quotidien. La poésie entre par effraction
dans le
quotidien, elle est plaisir d’être momentanément. Alors
que tout le sérieux ( que
Denis Guillec qualifie superbement de « fétichisme du définitif
») exigé dans la
vie de l’enfant et de l’adulte s’organise dans le soumission
au pseudo-fatalisme
du réel et exclut la jouissance. Etre à hauteur d’enfant,
c’est retrouver dans la
fugacité instantanée d’un poème le jouisseur
que nous étions, ne pas se prendre
au sérieux, donc ébrécher la statue (et le statut)
de l’impossible. Bref ! ! c’est
contester la mort lente, opter pour la vie vive.
• Les recueils de cette collection proposent la rencontre
entre l’univers
d’un poète et celui d’un illustrateur ? Comment faisiez-vous
se rencontrer les
uns et les autres ? Pourriez-vous nous raconter la fabrication d’un
farfadet
bleu en particulier ?
Oui, bien vu. Rencontre entre “deux univers”, celui du poète
étant le
prétexte à la proposition du plasticien. Je n’aime
pas le terme “d’illustrateur”,
les poèmes ne sont pas “illustrés”, au sens
où le mot « chat » devrait
mécaniquement amener le dessin d’un chat. La rencontre, c’est
moi qui
l’imposais, arbitrairement, sans consulter le poète qui découvrait
les images en
recevant son livre. J’ai refusé la plupart des projets tout
faits, textes et images,
soit parce que les poèmes abêtissaient, soit parce que les
images illustraient ; et
plus précisément parce que souvent le lien affectif entre
l’auteur et l’illustrateur
engendre une complaisance inconsciente, voire une auto-censure inavouée.
De
sorte que, après avoir décidé de publier un ensemble
de poèmes, je cherchais
qui pourrait bien les accompagner par l’image ; j’avais pas
mal de contacts avec
de jeunes illustrateurs/trices au Salon du Livre de Jeunesse de Montreuil,
et j’ai
confié très souvent la tâche à quelqu’un/une
dont c’était le premier livre réalisé.
La plupart du temps, ça a été des réussites.
Une fois le livre publié, il a permis à
plusieurs de ces jeunes artistes d’ouvrir les portes de maisons
d’éditions
importantes, ce fut le cas pour Maud Lenglet, par exemple. Et j’y
trouvais mon
compte également, comme pour les auteurs : trop “petit”
éditeur, je ne pouvais
assurer un suivi régulier de ces créateurs, j’étais
heureux qu’ils puissent sinon
vivre de leur art, du moins l’exprimer plus sereinement dans des
maisons plus à
même de le faire. Je me contente, et c’est très gratifiant,
d’avoir été celui qui a
mis le pied à l’étrier et offert une première
chance. Etre un passeur suffit à mon
bonheur.
• Vous avez publié récemment un Farfadet bleu,
en tant qu’auteur cette
fois, Des sourires et des pommes, illustré par Valérie
Linder, comment est né
ce livre ?
Ce petit livre me fait vraiment plaisir, d’autant que le travail
de Valérie
Linder est absolument superbe, il “sauve” bien des textes
un tantinet faiblards.
Ces textes, je ne les ai pas écrits “pour” ce livre,
ils ont été choisis dans des
livres précédents, exceptés deux ou trois restés
inédits. Je traînais le manuscrit
depuis plus de 10 ans, en particulier dans mes interventions dans les
écoles,
chaque fois les enseignants me demandaient comment se procurer le livre
! En
outre, je ne voulais pas “m’auto-éditer” (pour
ne pas être en contradiction avec
mon éthique éditoriale) et ça m’emmerdait de
solliciter des collègues éditeurs
que je savais submergés autant que moi. Lorsque j’ai cédé
“le farfadet bleu” à
Hélène Boinard des Editions Cadex, c’est elle qui
m’a sollicité, invoquant le
prétexte (avec toute l’amitié indulgente qui le colore)
que « ce serait bien que la
transition se fasse avec un livre de l’ex-éditeur redevenu
auteur...» En clair, ce
livre est né d’un vil copinage ! Avec la distance, je me
laisse parfois aller à
reconnaître que ce livre n’est pas plus mauvais qu’un
autre, qu’il a sa place
dans la collection. Une louche supplémentaire de plaisir : il fait
partie de la
sélection pour 2012 du “Prix Lire et faire lire”. Voilà,
rien d’autre à déclarer.
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