Le mot « frau » signifie en auvergnat « terre
inculte », « lande », « mauvaise pâture
».
Les « fraux » sont souvent des lieux communaux ou sectionnaux
et, selon un dictionnaire de l’Auvergnat, souvent «
d’accès difficile », « élevés
». On indique généralement le nom avec le nom
du hameau ou du village qui en est « propriétaire »
: par exemple le « frau de la Combe » ( cf photo ) est
celui, au-dessus de la maison où je vis, du nom du hameau
voisin de Bélinay.
Sur ces terres, restées libres comme par une discrétion
innée, s’appuie la petite édition « Le
frau », pareillement modeste et libre de vouloir faire avec
si peu.
Elle est issue du désir de rapprochement
du travail d’un auteur ( textes poétiques brefs ) et
de celui d’un plasticien ( dessins, peintures, gravures, collages,
photographies ). Les uns ou les autres, indifféremment, peuvent
être premiers. Il s’agit, avant tout, de trouver un
écho.
Les livrets sont de petit format ( 10,5/14,8 cm
), les textes dactylographiés. La reproduction, en photocopie
noir et blanc, se fait à 100 exemplaires. Les couvertures
sont typographiées, les livrets cousus à la main.
Les auteurs, écrivains et artistes, sont
sollicités avec cette demande implicite de ne pas craindre
une si modeste apparition.
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Comment est née votre maison d’édition ?
Les mots « maison d’édition »
me semblent disproportionnés face à cette minuscule
entreprise ( c’est tout juste si j’ose les mots «
édition » et « parution » depuis peu de
temps ! ), mais peu importe. Il s’agit d’une très
petite édition, ne comportant actuellement que 7 titres,
le nombre d’exemplaires étant de 100, seulement ( mais
pour Fente de l’amour une 2ème
édition de 100 exemplaires est en cours de fabrication ).
Elle est née d’un désir, en moi, de permettre
la rencontre d’un écrivain et d’un plasticien
et que les livrets en soient l’empreinte.
L’écriture peut être première et proposée
à un plasticien ( Trolle, Un monde plus loin,
Rencontres en chemin, Fente de l’amour ) ou
bien, une petite suite plastique peut être première
et proposée à un auteur ( Jour cinq, les noix,
Où vas-tu dans la forêt ? ).
Amas ouverts était un livret d’
« essai » pour lequel Stéphanie Ferrat avait
bien voulu « essuyer les plâtres » et avait écrit,
en lien avec son propre travail plastique.
Le frau est né d’un désir, toujours, de faire
des livres … ( la fabrication personnelle de livres a accompagné,
de tout temps, mon travail de plasticienne ).
D’un désir ( d’un besoin ? ), là, tout
à fait intime, de redonner un tout petit peu, quelque chose
à la société, en « échange »
de la très grande solitude dans laquelle j’ai choisi
de vivre…
Matériellement, cette « maison d’édition
» est née de 50,00 euros que j’ai donnés
et de la participation, donnée sans hésitation, de
Stéphanie Ferrat.
Elle est vivante de par le désir très grand que j’ai,
de faire avec si peu ( c’est sans doute, en chaque chose de
ma vie, mon mode de « résistance » ).
Mes gestes, pour la fabrication, ne coûtent rien, «
mon » temps non plus, car il est large. Le risque matériel
et financier est si petit qu’aucune circonstance ne peut le
rendre un mur insurmontable.
Le plaisir est là, de sentir que cette édition peut
continuer longtemps ( tout le temps ! ) à se faufiler à
travers les fonctionnements de la société qui peuvent
être aléatoires et difficiles, cette édition
lui demandant si peu ( rien ?). C’est-à-dire, en tout
cela, un indispensable désir / besoin de liberté :
ne pas se confronter à des besoins
( ni matériels, ni de « reconnaissance »…)
mais les rendre inexistants ou… si petits. Se sauver par en
dessous, toujours, dans l’ombre et le silence !
Quelle poésie avez-vous envie de
défendre ?
S’il s’agit de « défendre
» une poésie, ce sera plutôt une poésie
faite de textes brefs, concentrés, avec une écriture
ressentie et donnée à lire comme une matière…
presqu’une argile, modelée.
Mais, le réel est là et j’aime recueillir, et
des rencontres particulières avec des auteurs et des artistes
se font, dessinant peu à peu le cheminement de ces livrets.
J’aime la beauté et la simplicité de
vos livrets, fabriqués avec patience : tapés à
la machine à écrire, cousus à la main. C’est
important pour vous ce côté artisanal du livre ?
Les livrets sont fabriqués de manière
artisanale… je ne saurais, d’aucune manière,
faire différemment…pour moi, il n’existe pas
d’autres modes de fabrication.
Je ne peux ( et souhaite ) faire les choses qu’avec ce que
j’ai sous la main, selon mon mode de vivre…vivant assez
loin, dans la montagne ( moyenne montagne ) sur le versant sud-est
du Massif du Cantal, dans le Massif Central, je ne peux envisager
d’avoir, par exemple, à utiliser souvent la voiture….
Le passage par la photocopie est mon avancée la plus lointaine
dans la modernité ! ( mes propres livres sont typographiés
à un très petit nombre d’exemplaires ou en exemplaire
unique). L’informatique n’est pas venue jusqu’à
moi par manque d’un réel besoin, même si son
développement, par un simple phénomène physique,
a rendu mon isolement plus grand sans que j’aie voulu, moi-même,
le renforcer.
Mais la fabrication d’une maquette dactylographiée
est soumise à ma capacité à trouver
( jusqu’à quand ? ) des rouleaux encreurs pour la machine
à écrire que j’utilise.
Ma conscience est là qu’une inflexion du chemin sera
à trouver, à plus ou moins longue échéance,
quand il ne me sera plus possible, donc, d’utiliser une machine
à écrire. Je peux supposer, soit une inflexion vers
« l’arrière » en
typographiant les textes ( mais je possède un matériel
assez réduit en typographie ), soit une inflexion vers «
l’avant » en utilisant un ordinateur ( donc, pour moi,
acquisition, apprentissage…)
Les maquettes sont réalisées par des découpages
et des collages qui n’ont rien de virtuel…
Les livrets sont cousus à la main… comment pourraient-ils
être reliés autrement ? Je n’utilise qu’une
couture la plus simple, comme pour un cahier. La couture est préférable,
visuellement et au toucher, à des agrafes métalliques,
et, 3 petits trous c’est plutôt rapidement cousu.
Les couvertures sont typographiées, car une bande de papier
de 42 cm de long, ça ne tient pas dans la machine à
écrire. Mais cet inconvénient est plutôt bienvenu,
apportant un peu de qualité à l’ensemble.
Ce mode de fonctionnement avec si peu et la reproduction en photocopie
qui en découle ont un défaut, important : c’est
la perte de qualité pour les oeuvres plastiques reproduites.
Il faut donc que les plasticiens en soient conscients et acceptent
cela et même, si possible, qu’ils conçoivent
leur travail en fonction de cette composante. Ils doivent également
travailler en format réel pour que je n’aie pas à
photocopier une œuvre déjà photocopiée
( pour la réduction ). Et c’est réellement un
petit format, difficile à travailler, que quelques-uns ne
peuvent pas envisager.
J’ai eu, un jour, une demande particulière pour la
fabrication d’un livret, celle d’une prof de français
pour un travail d’écriture réalisé par
ses élèves. Comme je voulais bien la contenter, mais
que cela n’entrait pas dans ma recherche pour la collection
« ordinaire », j’ai crée une collection
mitoyenne et lui ai donné le nom de « Les intempéries
du frau ». Cette collection regroupera, en marge, mais dans
les mêmes formats, des livrets issus de rencontres particulières,
de hasards. Il y a 3 titres actuellement.
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