TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui Paysages |
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Nicole Bergé est une artiste opiniâtre et déterminée. Elle poursuit une recherche passionnée des traces laissées par les humains. D’ordinaire on apprend à reconnaître les traces (ou laisses) des animaux en forêt. Elle, ce qui la point, l’arrête, ce sont les traces des humains, tels ces bâtons de sucette recensés dans une cour de collège en grand nombre. Pour elle, toute trace a son sens. Ces boucles de ceinturon trouvées sur le site sont devenus des baraques et c’est une manière à la fois juste et singulière de donner à voir ce qu’a été le camp et ce qu’il en reste aujourd’hui. Ainsi de ce sac à main ramassé à
Rivesaltes dont il ne restait que le fermoir rouillé et dont
elle dit combien cet objet l’a touchée. En entrant dans la salle où sont exposées les installations d’objets recueillis par N .B., on comprend tout de suite que ce ne sera pas un inventaire d’historien, mais le travail d’un regard sur ce camp de Rivesaltes, immense et aux usages coercitifs multiples, un regard d’art-chéologiste qui a su non seulement voir, mais s’approcher très près jusqu’à fouiller la terre et en ramener assez pour y installer par exemple des culs de bouteille tranchants comme la mémoire. Ces débris évoquent la vie brisée des internés, qu’ils soient espagnols (au moment de la Retirada, janvier-février 1939), juifs, harkis ou sans-papiers. La terre, me dit-elle, vient de Rivesaltes comme les clous, les planches. Tout ce que j’ai ramassé parle des gens, de leur histoire, de l’Histoire aussi, celle dont parle Perec, avec sa grande hache. Elle montre les boîtes de lait Guigoz envoyées par une association humanitaire suisse et aussi une porte où s’inscrit le nom de la CIMADE (3). La mémoire, dit-elle encore, c’est le passé dans le présent qui regarde le futur. Ce qu’elle illustre en glissant des portraits d’enfants ou d’adultes pris aujourd’hui dans les culs de bouteille brisés et éclairés par des faisceaux lumineux. C’est une tentative de mettre en lumière le passé et ce qui viendra.
Nicole Bergé raconte aussi le processus d’engrangement
(4) des objets et de la réflexion qu’elle mène et
qui va la conduire peu à peu à trouver comment regrouper,
mettre ensemble, donner du sens à ce qui pourrait ressembler
à des déchets sans intérêt. Ce processus
est créateur : il est le résultat d’une mise en
relation de ce qui est, ce qui a été et ce qui sera. L’exposition
de ce point de vue est remarquable : les cuillères suspendues
et retenues entre elles par un aimant, les lettres entassées
au sol, les visages des deux réveils, tous parlent des humains
qui s’en sont servis, les ont parfois fabriqués (comme
ces louches faites d’une boîte de conserve et d’un
fil de fer) mais aussi du regard de celle qui les a collectés
et assemblés. Comme Nicole Bergé est une artiste, elle a découvert aussi des traces d’objets qui ont une fonction plus poétique telle cette petite danseuse ou ces dessins faits par un jeune soldat allemand de 17 ans, prisonnier à Rivesaltes en 1945. En sortant de l’exposition, elle me fait remarquer des petits arbustes secs qui gisent sous les cuillères. Des touffes d’une herbe aromatique ? Qu’est-ce que c’est ? On dirait de petits arbres lilliputiens. En riant, l’artiste explique qu’elle les a trouvés après le passage de Nicolas Sarkozy venu déposer une gerbe avant les élections, en hommage aux harkis détenus dans le camp après la guerre d’Algérie. Non que l’ex-président soit tel Attila, mais simplement le service d’ordre avait jugé bon d’arracher par dizaines des touffes de thym qui aurait pu le faire trébucher !
Tous les camps, tous ceux qu’elle connaît, me dit Nicole Bergé, se ressemblent en ce sens qu’ils parlent tous la même langue de privation de liberté, de souffrance, de discrimination, mais on y décèle aussi l’ingéniosité qu’il a fallu pour survivre dans un lieu invivable. Ce qui frappe quand on parle avec Nicole Bergé, c’est son amour de la liberté, ce qui explique son travail sur un tel lieu d’enfermement. Le maître mot pour moi, dit-elle, c’est la liberté. Et tout ce qu’elle montre et fait est la preuve d’une étonnante liberté de penser le travail sur la mémoire et le temps.
L’exposition sera visible Perpignan, au festival VISA, du 1° au 14 septembre à l’Atelier d’Urbanisme.
Sylvie Durbec
(1) Pyrénées atlantiques |
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