Retour aux paysages
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Des figures apparemment identiques. D’abord gravées.
En série. Puis des touches de couleurs. En plus. Qui dégoulinent.
Dans le bas du dos. Au creux des reins.
Une sensuelle étrangeté. Je m’en écarte.
Tout vibre en moi : ma main, l’encre, la feuille. Sensation
charnelle. Voluptueuse. Inexorable attirance. Je reviens à
cet homme. De dos. Apparemment robuste. Un effet de perspective
? Légèrement plié en avant. Je ne vois pas
son visage, pas même de profil. Le corps est tendu vers
le souvenir.
Secret. Caché.
Un même homme.
Cinq instants. De son existence.
Des corps à chaque fois différents. Postures. À
contre-jour. Sans le savoir. En le voulant. Sans bouger. Il respire
à peine. Le bleu se met à ruisseler le long de sa
jambe repliée. Jusqu’au genou. Le rouge orangé
se fige aussitôt. Sans rien changer. Tire au marron vers
le bas. Sang coagulé. Sans doute. Pas plus bas. Je cherche
une phrase à chaque dos. Les mots m’échappent.
Juste me pencher par-dessus son épaule trop large. Sentir
son odeur, son souffle, son désir. Me pétrir les
entrailles.
Je vois les cordes tendues dévaler de son cou, le long
de ses côtes, jusqu’au bassin. Plus étroit.
Corps noueux. Soudain le voile tombe. Tout redevient blanc. Et
noir. Froid. Corps d’ombres. Qui s’allonge. Se détend.
Après avoir trop aimé.
Un homme ? Et si c’était une femme…
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"Cinq instants de dos" - Texte Karin
Espinosa - Gravures de Florence Barberis - 2007
5 gravures dans un boîtier bois
10 exemplaires et 2 tirages de tête avec texte en écriture
manuscrite
Karin ESPINOSA Mini-entretien avec
Roselyne SIBILLE
D’où vient l’écriture
pour toi ?
De très loin, d’un souffle originel, du rythme corporel,
du geste même d’écrire. J’ai abandonné
la traduction, je me suis glissée dans ma langue, j’ai
apprivoisé ma petite voix pour la dessiner avec mes mots.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Longtemps. Je travaille, retravaille, soustrais, ajoute, reprends l’ordre
des mots, ajuste les images. Je ne me jette jamais immédiatement
dans l’écriture. Je vais au texte, je m’en éloigne,
j’y retourne.
Que t'apporte l'écriture ?
L’écriture est un immeuble à étages. A chaque
palier, un sentiment : l’angoisse de ne plus y arriver, le doute
constructif quant à la justesse de ce que je suis en train d’écrire,
la jouissance de "composer" une partition vocale, l’exaltation
d’un mot à l’autre. Le bien-être, au point
final.
Quel lien fais-tu entre poésie et peinture ?
Le lien évident est visuel. Je vois en écrivant et j’écris
en voyant. Les mots trouvent leur place sur la page, comme les couleurs
sur la toile blanche. Si l’inspiration émerge du même
endroit de soi, le geste diffère, les deux expressions sollicitent
le corps différemment.
Quel lien fais-tu entre ton écriture
personnelle et l'écriture en ateliers ?
L’aventure. L’écriture est une perpétuelle
exploration de sa propre humanité, une succession de rencontres.
Dans mes ateliers, j’emmène les participants sur des chemins
d’écriture que j’ai déjà empruntés.
L’étonnement, de ce qu’il me vient parfois d’écrire,
de ce que les participants écrivent et lisent à l’issue
de la séance. Il y a toujours une dimension extraordinaire, inattendue,
inouïe.
Quelle serait ta bibliothèque idéale ?
Cela dépendrait des moments, de mes états d’âme,
de mes envies très hétéroclites. Elle serait constituée
de livres, qu’on pose en sachant qu’on pourra les reprendre,
les (re)lire. Il y a un temps pour chaque livre.
Note bio-bibliographique
Née à Bruxelles, Karin Espinosa grandit au coeur d’une
pensée européenne et étudie les lettres italiennes,
avec la ferme intention de s’installer dans la péninsule.
Elle part enseigner la littérature française à
Sienne et elle travaille dans une librairie à Florence.
De retour en France, un goût prononcé pour la lecture et
l’écriture l’amène à traduire des textes
italiens encore inédits et à les publier. Elle dirige
la Maison Antoine Vitez (Centre International de la Traduction Théâtrale)
à Montpellier pendant huit ans.
En 2001, au Printemps des Comédiens à Montpellier, elle
adapte et met en scène Neige de Maxence Fermine, avec
Madeleine Attal.
Depuis 2006, elle signe des textes pour des livres d’artistes
et participe à plusieurs expositions :
Objets de conversation, une résidence d’écritures
et d’installations plastiques en septembre 2006 à la Chapelle
Saint Julien de Salinelles (Gard).
Des pas dans la baignoire, en mai 2007, une
île-lecture créée avec la complicité de la
plasticienne, Amandine Meunier (La Baignoire à Montpellier).
Pris au mot, à la fin de l’été 2007,
une balade-lecture en appartement autour de textes dans des écrins
imaginés par des artistes.
En mars 2011, L’heure du bain, petites
fantaisies pour mots et percussions écrites et créées
en résidence à La Baignoire à Montpellier, reprises
en tournée. Plus récemment, en novembre 2012, Un
oiseau dans la tête, texte écrit dans l’atelier
de la modiste Armelle Desoche et présenté à Casavoce,
à Montpellier.
Aujourd’hui, lectrice à voix haute, elle poursuit son travail
d’écritures et anime des ateliers en milieu scolaire, associatif
et théâtral. |