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On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen |
Présentation |
Née en 1944. Vit et travaille en Seine et Marne. Longtemps
potière, elle a aussi animé des ateliers d’expression
(arts plastiques, écriture) en milieu hospitalier, notamment
avec des adolescents malades ou handicapés. Elle a été
formatrice en art-thérapie auprès de personnel soignant.
Elle commence à publier en 1985. Elle a écrit des
récits, des carnets, des notes de journaux, de la poésie,
et des livres d’artistes. Une écriture au plus près
de soi, de la nature. Présence des éléments.
La mémoire. L’autobiographie. Toujours ce creusement
de soi pour aller vers l’autre. Ou tout simplement comment
vivre.
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Françoise
Ascal - extraits de L'ombre et l'éclat |
Le jardin. Puis le verger, le poulailler du voisin,
contigu à la mare. Plus loin, en transparence, par delà
les frênes dont les feuilles sont à peine sorties,
se devinent les champs. Entre le tout près plein de coucous,
de cardamines, de violettes, et le lointain de la plaine, à
mi-distance s’agitent au vent comme suspendus dans la verdure
naissante, de grands draps blancs. Sentiment de bonheur. La lessive
claquant dans le soleil, fleurant la vie voisine, l’appartenance
au village. Présence discrète. Les limites heureuses.
(p.11)
Brins d’herbe, remous d’eau, bruit de
voix au loin. Menues choses qui aident à vivre. Comme si
le précaire, le fugace, le friable se révélaient
finalement ce qu’il y a de plus solide au monde. (p.12)
Que tous les ailleurs aux attraits magiques s’évanouissent
! Ici. Cette part de vie qui est mienne, ce fragment arbitraire
qui est moi, c’est cela qui m’est échu. On voudrait
s’y soumettre au point de l’éprouver comme un
privilège. (p. 18)
La joie menace, et brise, et roue de ses coups autant
que la douleur.
Ce soir, dans la douceur automnale, ciel fuchsia traversé
de grands migrateurs. Pas plus qu’à la souffrance,
on ne s’habitue à la splendeur. (p. 23)
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Françoise
Ascal - extraits de Le fil de l'oubli |
Il ne dit rien de ces moments de vide qui parfois
rongent sa poitrine. De l’odeur d’humus, qui lui serre
étrangement le cœur (p. 13)
Mais déjà la voix de la grand-mère
appelle, c’est le moment de se hisser en équilibre
au sommet de la montagne verte et tiède, odorante, avec ses
brins qui piquent les mollets, la charrette va cahotant, il faut
se tenir à deux mains, les jambes bien campées pour
ne pas rouler à bas, on chantonne sans raison, on oublie
la rivière et ses trous noirs, on oublie les vipères
menaçantes, on sait que demain ressemblera à aujourd’hui,
et chaque jour de l’immense été sera pareil
au précédent. On ajoute quelques quignons de pain
rassis en guise de dessert dans chaque case, on caresse le gros
blanc à l’œil rouge, le vieux roux débonnaire.
Le ciel est impeccablement bleu. Les lapins ne mourront jamais.
On a sept ans pour toujours. (p. 52)
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Françoise
Ascal - extraits de Cendres vives suivi de Le carré
du ciel |
A nouveau la nuit. Toutes les brillances qui m’ont
accompagnée ces dernières années s’éteignent
une à une. Pas le moindre phare à l’horizon.
Et m’emplissant la bouche, le goût âcre d’on
ne sait quelle vase souterraine (p. 29)
A l’instant de manipuler la faucille dans
les herbes du jardin, j’aperçois le dessous blanc de
mon poignet. L’envie me prend de trancher dans le vif de ma
chair. M’arracher la vie comme une mauvaise herbe (p. 32)
Lentement je procède au rituel : j’allume
le feu, je ralentis mes mouvements, mon souffle, je laisse mon corps
se relâcher au contact du sol. Dans la maison silencieuse,
dans ma solitude volontaire, je me recrée. Repli vital. Car
je n’existe que par intermittence. J’ai si mal du trop
qui m’occupe, du trop qui me troue, qui me transperce de part
en part et m’érode jour après jour. Parfois
je deviens transparente. Corps vidé de substance propre pour
n’être plus qu’un lieu de traverse (p. 41)
Où trouver le courage élémentaire
d’effectuer les gestes répétitifs, se nourrir,
se laver, s’habiller, sourire, parler, répondre, avoir
l’air d’être là, naturellement là,
quand tout en soi s’absente, se gomme, tend vers l’annihilation
? (p. 47)
Entretenir le feu, ramasser les fruits, travailler
au jardin, écouter une cantate de Buxtehude ou lire quelques
pages soigneusement choisies. Réussir une journée
comme celle-ci, dans le plaisir continu, dans la saveur des gestes
simples, dans le sentiment d’amour envers la vie, m’est
aussi précieux que réussir un poème (p. 87)
Une tasse de café bien chaud, odorant, sur
une soucoupe de porcelaine à motif de violettes entrelacées,
et le monde retrouve sa place, le sens des proportions se rétablit,
le goût du combat renaît, la saveur de vivre…
(p. 127)
Ecrire sans raison aucune. Sans espoir. Ecrire comme
on respire. Avec naturel. Si possible. Ou avec un sanglot dans la
gorge. Qu’importe. Ecrire parce que rien de mieux à
faire. Ecrire par soumission à la main. A l’encre.
Au papier blanc qui jette des signes. Ecrire pour répondre
aux signes. Aux appels. Au silence. Ecrire en pure perte. Ecrire.
(p. 134)
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Françoise
Ascal - extrait de Rouge Rothko |
Cette nuit, j’ai patiné sur la mer. Je décrivais
de larges arabesques à la surface des vagues. L’horizon
miroitait. Je tournais, virais, avec une aisance juvénile.
Je ne craignais pas de chuter. L’eau me portait, plus sûrement
que la terre défaillante (p. 13)
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Françoise
Ascal sur internet |
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Bibliographie
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Le pré, Atelier La Feugraie, 1985
La part du feu, Atelier La Feugraie, 1987
Fracas d’écume, Atelier La Feugraie/Le Noroît,
1992
Dans le sillage d’Icare, Cirrus, avec des dessins de Jacques-Pierre
Amée, 1997
Le fil de l’oubli, Calligrammes, 1998
L’Encre du sablier, Double Cloche, avec des estampes d’Yves
Picquet, 1999
L’Issue, Les petits classiques du Grand Pirate, avec une photographie
de Gaël Ascal, 1999
Le Vent seul, Double Cloche, avec des estampes d’Yves Picquet,
1999
Le Sentier des signes, Arfuyen, avec des calligraphies de Ghani Alani,
1999
L
a Hutte aux écritures, A Travers, avec des peintures de Jacques
Clauzel, 2001
Un automne sur la colline, Apogée, 2002
L’Arpentée, Wigwam, 2003
La Table de veille, Apogée, 2004
Mille étangs, Travers, avec des peintures de Philippe Aubry,
2006
Le Carré du ciel, suivi de Cendres vives, Apogée, 2006
Issues, Apogée, 2006
Perdre trace, Tipiza, avec des peintures d’Alain Boullet, 2008
Si seulement, Calligrammes, avec des fusains d’Alexandre Hollan,
2008
Rouge Rothko, Apogée, 2009
Un rêve de verticalité, Apogée, 2011
Lignées, poèmes accompagnés de dessins de Gérard
Titus-Carmel, éditions Æncrages & Co, 2012
Fiche proposée par Sophie G. Lucas |
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