On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Raymond
Carver est né en 1938 dans l’Oregon et a grandi dans
l’Etat de Washington. Son père, ouvrier dans une scierie,
était alcoolique et sa mère travaillait comme serveuse
ou vendeuse.
A l’âge de 18 ans, il se marie avec une amie du lycée,
Maryann Burk, avec laquelle il aura deux enfants.
Après avoir obtenu son diplôme au lycée, Carver
travaille et s’occupe de sa famille, comme portier, ouvrier
dans une scierie, ou comme vendeur.
Après avoir déménagé en Californie,
il s’intéresse à l’écriture et
prend des cours d’écriture et de création avec
le romancier John Gardner.
Dans les années 60, Carver et sa famille habitent à
Sacramento, où il travaille comme gardien de nuit à
l’hôpital. Il étudie aussi à l’université
d’état de Sacramento.
Dans les années 70 et 80, sa carrière d’écrivain
décolle et il enseigne dans différentes universités
américaines.
Pendant toutes les années durant lesquelles il travaille
à droite et à gauche, élève ses enfants
et essaye d’écrire, Raymond Carver commence à
boire et déclare même, qu’à cette époque
l’alcool était devenu un tel problème dans sa
vie qu’il passait la plupart de son temps à boire.
Il arrête en 1977 avec l’aide des Alcooliques Anonymes.
En 1982 il divorce de sa première épouse, Maryann.
Il vit en fait depuis 1979 avec la poétesse Tess Gallagher,
qu’il épouse en 1988.
Le 2 août 1988, il décède à Port-Angeles
( Etat de Washington,) d’un cancer du poumon.
(Wikipédia)
Photo : Marion Ettlinger/Vintage Contemporaries
Raymond Carver
- extraits de Là où les eaux se
mêlent
Toujours à la recherche du numéro un
Puisque tu es partie pour cinq jours
je vais fumer autant de cigarettes que je veux,
où je veux. Faire des gâteaux et les manger
avec de la confiture et du bacon. Traîner. Me laisser
aller. Marcher sur la plage si j’en ai
envie. Et j’en ai envie, tout seul et
en pensant à mes jeunes années. Les gens
qui m’aimaient alors plus que de raison.
Comment je les aimais plus que tous les autres.
Pas plus que toi. Voilà, je vais faire
tout ce qui me passe par la tête
pendant que tu es partie !
Il y a une seule chose que je ne ferai pas.
Je ne dormirai pas dans notre lit sans toi.
Non. Ça ne me dit rien.
Je dormirai là où j’en aurai envie-
là où je dors le mieux quand tu n’es pas là
et que je ne peux pas te serrer dans mes bras.
Sur le canapé défoncé de mon bureau.
Ma fille et la tarte aux pommes
Elle me sert une part de tarte sortie du four
il y a quelques minutes. Un peu de vapeur s’élève
entre les croisillons de pâte. Sucre et épice-
cannelle- dorés sur la croûte.
Mais elle porte des lunettes noires
dans la cuisine à dix heures
du matin-tout est si agréable-
en me regardant couper
un morceau de tarte, l’approcher de ma bouche
et souffler dessus. La cuisine de ma fille
en hiver. J’engouffre le morceau
et je me dis de ne pas m’en mêler.
Elle dit qu’elle aime ce type. Ça ne pourrait
pas être pire.
Chagrin
Réveillé de bonne heure ce matin,
depuis mon lit
je portai le regard loin sur le chenal pour suivre des
yeux un petit bateau traçant sur la mer houleuse,
un seul feu de signalisation allumé à bord.
Me suis rappelé mon ami qui hurlait
le nom de sa femme morte du haut des collines
autour de Perugia. Qui mettait son couvert
à table longtemps après
sa disparition. Qui ouvrait les fenêtres
pour qu’elle ait de l’air frais. Je trouvais gênant
cette façon d’afficher son chagrin. Ses autres
amis aussi. Je ne voulais plus voir ça.
Jusqu’à ce matin.
Raymond Carver
- extrait de La vitesse foudroyante du passé
Un après-midi
En
écrivant, sans regarder la mer,
il sent que la pointe de son stylo commence à sombrer.
La marée descendante découvre les galets.
Mais ce n’est pas ça. Non,
c’est parce qu’à ce moment elle choisit
d’entrer dans la chambre sans le moindre vêtement.
Etourdie, sans même savoir où elle est
pendant quelques instants. Elle rejette ses cheveux en arrière.
S’assied sur la cuvette, les yeux fermés,
tête baissée. Jambes écartées. Il la
voit
dans l’embrasure. Elle se rappelle
peut-être ce qui s’est passé ce matin.
Car après un temps, elle ouvre un œil et le regarde.
Et sourit tendrement.
Les jeunes cracheurs de feu de Mexico
Ils se remplissent la bouche d’alcool
et le crachent sur une bougie allumée
aux carrefours. Partout, en fait,
où les voitures forment une file et les conducteurs
sont fâchés ou frustrés et cherchent
à se distraire- c’est là qu’on trouve
les jeunes cracheurs de feu. Faisant ce qu’ils font
pour quelques pesos. S’ils ont de la chance.
Mais au bout d’un an, ils ont les lèvres
desséchées, la gorge irritée.
Ils n’ont plus de voix un an après.
Ils ne peuvent plus parler ni crier-
ces enfants silencieux qui chassent
à travers les rues avec une bougie
et une canette de bière pleine d’alcool.
On les appelle les milusos. Ce qui veut dire
les « mille usages ».
Paresser
J’ai examiné la chambre il y a quelques
instants
et voilà ce que j’ai vu-
mon fauteuil à sa place, près de la fenêtre,
le livre ouvert retourné sur la table.
Et sur le rebord, la cigarette
en train de se consumer dans le cendrier.
Simulateur ! c’est ce que m’avait cri mon oncle
autrefois. Il avait raison.
J’ai mis de côté du temps, aujourd’hui,
comme tous les jours,
pour ne rien faire du tout.
Tais-toi je t’en prie ( Will You Please
Be Quiet, Please ?), nouvelles, 1976
(Editions Mazarine, 1987, existe en livre de poche LGF)
Parlez-moi d’amour ( What We Talk About When We Talk
About Love), nouvelles, 1981
(Editions Mazarine, 1986, existe en livre de poche LGF)
Les vitamines du bonheur ( Cathedral), nouvelles, 1983
(Editions Mazarine, 1985, existe en livre de poche LGF)
Les feux (Fires), essais, nouvelles et poèmes, 1983
(Editions L’Olivier, 1991)
Là où les eaux se mêlent ( When Water Comes
Together With Other Water), poèmes, 1985
La vitesse foudroyante du passé ( Ultra-marine), poèmes,1986
( Editions L’Olivier, 2006, existe en poche chez points
poésie)
Les trois roses jaunes ( Where I’m calling from, New
and selected stories), nouvelles, 1988
(Editions Payot, 1989)
A New Path To The Waterfall, poèmes, 1989
N’en faites pas une histoire, nouvelles, L’Olivier,
1994
Neuf histoires et un poème, L’Olivier, 1994 (
existe en petite bibliothèque de l’Olivier)
Qu’est-ce que vous voulez voir ? nouvelles, L’Olivier,
2000 ( existe en petite bibliothèque de l’Olivier)
Le monde de Raymond Carver (photographies de
Bob Adelman, textes de Raymond Carver), Editions La Martinière/
L’Olivier, 2006