On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Né en 1963 à Caen. Vit à Nantes. Président
de la Maison de la Poésie de Nantes depuis 2007. Collabore
à diverses revues papier et en ligne (Europe, Cahier Critique
de Poésie, Poézibao entre autres). Il dit être
« né deux fois à la littérature (..),
une première de Jack Kerouac et une seconde fois de François
Rabelais » (source : Poezibao). Une langue affûtée
après plus d'une quinzaine de livres (voir bibliographie
après les extraits de textes) par un poète qui est
un « foutredieu de bougre de fuckin faiseur de poèmes
» (Roger Lahu).
Jean-Pascal Dubost
- extrait de Des lieux sûrs
Ca sent le purin, le tonneau et la pomme pressée, souvent
des chats s'y croyant seuls grichent, s'enfuient dès qu'on
surgit, quelques machines agricoles ont l'air de n'avoir jamais
été bougées de là, une cour de ferme
où je ne viens plus, coincée entre deux maisons neuves.
(Une cour)
Car je suis revenu là, me baissant pour éviter
les toiles, j'ai regardé la poussière et les araignées,
les outils rouillés..., je regardais et ça durait
et puis bonté, je suis reparti comme j'avais ce qu'il me
fallait. (Un lieu sûr)
Derrière sa porte-moustiquaire il y avait
le père Moussi, et on le devinait toujours qui fumant lentement
un paquet de maïs se versait des cafés durs, car il
attendait dans tous ses nuages il attendait on ne sait quoi une
visite, quelque chose qui pourrait bien le remuer. (Chez le
père Moussi)
Dessous le pommier cette banquette d'Ami 6, tout
le monde y venait s'asseoir et faire un brin de causette la famille,
les amis, le grand-père tout seul y dormir seul au soleil
car le soleil c'était chez lui comme en face ce massif d'hortensias
qui n'attendait plus que quand il tomberait. (Ce lieu un peu
trop sûr)
Je voulais parler de cette porte e je ne le peux
pas pourquoi, est-ce parce que mon grand-père y tuait là
les lapins, les retroussait riant de ma trouille ou est-ce parce
qu'il y a toujours ces deux pattes arrière suspendues qui
quand le vent les bouge me rappellent que la mort n'est pas un bon
souvenir. (La porte d'écurie)
Jean-Pascal Dubost
- extrait de L'ardoise
elle boite et ne boira qu'un patron
pour commencer kyr
framboise elle chahute
c'est les rideaux
tes carreaux
quoi qui sont cradingues
la pluie?
et
ça fait combien de temps
qu'il a son menton
dans sa paume de sa main (moi) çuilà?
#
il slurpe son bouillon bouillant du vermicelle
dans la moustache sauce
son âme dans l'oeuf
brouillé se lèche l'index et le pouce
c'est fameux tout ça
contre le mur il tire le pourpoint complet
sur son clope
en station dans le cendar
en attendant
qu'il rincendie
Jean-Pascal Dubost
- extrait de Les nombreux
GROS OEUVRE
Tu ne crois pas qu'il serait temps de te
lever?
tu as lu jusqu'à point d'heure encore!
et c'est quoi ça au pied du lit cette cire?
une odeur de terre remuée de linge mouillé
ma mère revient du jardin ce matin
tu nous fais une corvée de jardin
il faut que je surveille-moi le lait qu'il ne
monte pas
elle revient
tout est bon lueur ou clarté dans l'obscur
au coin d'une porte prise
pour que les mots soient visibles et lisi-
bles et vivaces
pour avoir de toute manière autre chose
ou ça
on ne lit pas à table!
(...)
CHAPEAU MARGUERITE
Et tu es là planté tout
comme la minuscule d'un i
la craie tournicote dans ta main
et tu... et vous... et qui
bon alors
saint-glinglin etc.
tu ne sais pas
tu n'en sais rien
tu n'entends pas ce qu'on te souffle (la
formule)
du vent du balai des orages dehors
il n'y a plus aux arbres de feuilles et ça
vient?
on ne va pas y passer
la semaine mais s'il faut l'heure
le scalaire est un poisson
et vous le portez mal un nom de fleur
la pluie colle aux carreaux sa gueule et
grimace et coule
qu'est-ce que tu regardes?
(la pluie) rien
on voit le bocage du coin bien
je laisse le tableau noir vert
je n'en sais rien
je ne veux pas le savoir
j'ai tout mon temps
la mathématique pauvre je
ne trouve pas l'exercice suivant
ces enfants des imbéciles c'est demain
dimanche j'irai à la pêche tôt
cette pluie noire la moitié de la nuit
tout se penche plus ou moins les herbes et
arbustes
des choses s'envolent plastiques venvoles
le vent va se pose de tout son poids repart
ab irato
(...)
QUELQU'UN DU JARDIN
Mon père
c'est quelqu'un
d'accroupi
au fond du jardin
qui sarcle
trie terre et caillasse et
dans ce qu'il a à dire
il craint le soleil
dans sa buanderie le chiffon couvert
de cambouis la vieille godasse et le bois
sentent
on y trouve ses outils
je veux que personne si
j'y suis entre
l'oreille le matin collée au
transistor (un bricolage)
à son petit-déjeuner d'une main
comme parfois au téléphone
pendant qu'on a la bouche ouverte qu'on
lui passe
la confiote ou le sucre ou le pain
depuis une maladie
certains gestes et certains mots auraient filé
(...)
Jean-Pascal
Dubost - extrait de Monstres morts
ALIGNEE
De l'enfance prendre congé d'aussi féroce
force que possible et qu'assez, il faut la désastrer sans
courtoisies l'enfoncer trois pieux de l'ail dans le coeur que jacques
ne dise rien de plus, rien mon rollant fêlé par avance
le corps sonné venir avec ces mots d'un courage animé
dans ces travaux se casser bonbecs et trottinette et balancelle,
vilenâtres, pour s'extraire d'une ligne -
HALTE IMAGE
Cycliste, damiers noirs sur l'épaule, sur
sa monture Peugeot, gravissant la montagne en roi les pentes, il
dépasse et mate et renverse, et fier, l'empereur belge qui
est dit Merckx le Cannibale, sans un coup férir, ni joute
de regards, mais de droite à gauche un balancé d'épaule,
une pluie de sueur, un escalade altière et l' »allez!
» populaire important portant, l'idée triomphale, il
revêt un vieux rêve -
LA CAF
Réceptionniste, surélevée,
courtisée (longue la file d'hères devant elle), robe
de chintz (aux motifs d'ocelles) la serre, exhausse ses seins, deux
tresses patientes sur l'épaule, elle lit l'oracle (Nous avons
réétudié votre droit à l'allocation
de Revenu Minimum d'Insertion le montant de cette allocation est
indiqué ci-dessous il en résulte que vous êtes
redevable de la somme de 8637) et tire d'une écharpe de tickets
cornus le numéro de l'attente d'un dieu-technicien qui va
vous recevoir -
Jean-Pascal
Dubost - extrait de Terreferme
RETS
(une flaupée)
Terre! terre! terre!,
ferme, terre à quoi, terre à qui, terrir, terre à
voir, incognita, sacrée terre, secretum, Segré terre,
sûre secrète terre de mon coeur, errer en terre, terrer,
terre d'écriture, écriterre, amateur, amaterre, grant
mere, grant terre, terra mater, ma terre, ta mère, matière,
terre à terre, poésie, terreau, ô terre, auteur,
auterre, vers terre, souffrances, terre vaine, vaste lande, google
earth, ventre à terre, par terre, pater, terre à mère,
ta terre, ta mère, mère, terre, mètre, plein
de terre, terrestrement terrien, cul terreux, cul taiseux, sale
caractère, autoritaire, terreur, te taire, la ferme, se taire,
terreferme!