On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Né à Fès au Maroc en 1964, Mohammed EL AMRAOUI
vit à Lyon depuis 1989. Il anime depuis 2001 la revue Les
Cahiers de Poésie-rencontres et participe depuis plusieurs
années à des lectures publiques de poésie,
seul ou avec des musiciens dans différents lieux en France
(bibliothèques, centres poétiques, festivals), au
Maroc et à l'étranger. Ecrivant en français
et en arabe, il a publié plusieurs recueils.
Il a aussi fait paraître des poèmes et des articles
dans des revues, des livres d'artistes et des ouvrages collectifs,
participé à des expositions avec des photographes,
des peintres, des calligraphes et des vidéastes.
Un CD intitulé Tessons est sorti en 2003, dans lequel il
lit ses textes en dialogue avec la musique d’Antoine BIROT
et Maurice SPITZ.
Il a également traduit de l'arabe divers ouvrages dont une
Anthologie de la poésie marocaine contemporaine, parue chez
Bacchanales, Maison de la poésie Rhône-Alpes, en 2006.
Depuis 1991 il anime des ateliers d'écriture dans des centres
sociaux, des écoles primaires, des collèges, des lycées
et à I'IUFM, et des ateliers de traduction. Il a aussi créé
un spectacle poétique et musical pour enfants, Une tortue
dans ma tête
Mohammed El Amraoui
- extrait de Collision
Tout ça, le dessin
couve – le lien secoué d’épaisses notes
noires. C’est-à-dire que si l’on voit ce qu’il
dessine, l’homme au chapeau à bords roulés, ce
n’est que nerfs et spasmes viscéraux et pourtant il dessine
ce que je vois. Ce que,
escarpement du réel franchi, guide le pouvoir
d’abstraire.
Je vais, alors, chercher une planque. Quelque part. Cela s’ouvre
puis se ferme comme une tautologie n’ayant pour vérité
que quelques formes superficielles sur, autour et derrière
les chaises.
Des calligraphies fugaces et autres signes installés comme
un oubli sur les restes d’une affiche.
La rue s’ouvre.
Coupe court à toute hésitation, et c’est là,
devant moi, que s’annule ce que j’ai vu. Il reste
une réflexion encrassée
qui sinue à raz de ciel.
Poisseux.
Bris de braises pas très loin.
et
c’en est fait de la nuit – dit l’homme. Rien
à voir, rien à piger.
Qu’amoncellement.
Collision, (avec des dessins
de Jacky Essirard) Villemorges, 2003
Mohammed El Amraoui
- extrait de Ce côté-ci et alentour
L’emplacement désordonné des rochers, arasés
par l’érosion, peut flatter les pas, lisser les plantes,
à force de marcher, les pieds souvent en oblique, le noir
affleure dans les fentes, on risque de perdre sa chaussure, de temps
en temps quelques chicots, les vagues ne sont pas loin, et l’horizon
se fait pure question à l’infini. Aucune réponse
si ce n’est
n’est le non savoir
: pourquoi après pourquoi, comme un ressac,
jusqu’au radical je ne sais quoi auquel se heurte la lèvre
***
Tout
se pulvérise à l’écran
: corps de femmes et d’enfants, mausolées sacrés,
puits de pétrole, tout tout dessus ce grand Tout rien ferme
ne se fonde, et n’y a qu’
Ardente fureur, fière tempête et
tremblante horreur, et quoy, et pourquoy est-ce doncques ?
Je tourne ma tête vers la fenêtre comme pour chasser
de moi cette tristesse enclose et contemple la métamorphose
d’une rose, et je n’arrive à dire, et les phrases
se coupent, se recoupent et rongées d’autres phrases.
Du Bellay dit : Tous les vers que j’écris sont
rongés par des ras.
***
Un éveil
s’enlise dans les fentes
des volets
un quoi peu visible
Derrière le ciel paraît
rapiécé
comme une joue
enceinte de lacérations
La lèvre se brise
n’est le non savoir
le livre aussi –
on ne sait ça dit
quoi
Un fil, des fils noue.
D’autant plus nœud
que de tous côtés
ça tire
Filament qui retient
non-sens, sens, tête
Un bout de feuille
se frotte le coude
contre le mien
Mohammed El Amraoui
- extraits de Récits, partitions et photographies
INSOMNIE
Une heure du matin.
Après une hésitation
épuisante entre
regarder un film
n’importe
n’importe lequel à la télé
ou lire quelques
énoncés de Witgenstein
il a fini finalement
par
se mettre aux toilettes
et marquer des croix
sur les activités
artistiques de la ville
dans un journal (sachant
sachant qu’il y avait
peu de chances
qu’il se déplace
pour les voir).
A deux heures du matin
il a dormi
puis a sorti un rêve
de sa tête à cinq heures
a souligné les associations
les plus nombreuses
et commençait à
contempler le noir
du plafond
jusqu’à huit heures
puis s’est rendormi
jusqu’à dix heures.
Les volets encore fermés
la fatigue gagnait
peu à peu
le jour
et il savait
que cela recommencerait
peu après
alors que le poème
s’adossait déjà
à un fracas de vertèbres
de sommeil
et de sombre philosophie.
***
PERRACHE
(-UNE RUE ADJACENTE)
Pont. Couloir crispé
sous le pont
s’enfonce à la manière
d’une mâchoire de mort.
Une odeur de pisse
d’une cinquantaine de mètres
traverse.
Dans l’angle, deux ombres
se frottent
l’une contre l’autre.
Des mouches sursautent
sous une lumière
noire
presque.
L’esprit difforme d’un dieu
s’agite
et l’adrénaline avec.
Un sourire immobile
gercé entre les lèvres
couché sur un manteau
(le songe s’ouvre
dans une bouche noire
ouverte
sépulcrale)
bonnet humide, cou
désarticulé comme
un joint
qui joint une nuit sordide
à un réel sordide
et des virgules de seringue
ponctuent la masse
de l’orteil
jusqu’aux lobes des oreilles.
L’air est criblé
de notes rondes.
A côté du pied
un arbre mort
un petit lac de cendres
et de mégots
dans un gobelet en plastique
blanc
(…)
La nuit devient obèse
tout d’un coup-
Mohammed
El Amraoui - extraits de Accouchement de choses
un pays - cadavre
à la croisée des déserts. Un dogme se répand
à la vitesse d’une mauvaise étoile, des statues
détruites sur la côte d’une mémoire.
C’est
- et s’é
tale comme tuméfaction
le jour doublé soir,
doctrinal, tuniqué,
sur visage de femme,
sans parure, sans sexe, sans aube, perd son nom dans la rue. Les
rivières de paradis dont parle le Livre ont séché
sous ses pieds.
Pestilence démesurée.
***
(…)
Voilà la scène. La scène hèle
son ombre primitive, je veux dire scène primitive d’où
je viens, où ne fut aucune trace. Rien qu’oubli. C’est
un blanc entre les cuisses. Rien ne naît. C’est pas
la peine de forcer. Il n’y a rien, rien qu’une photo.
« Mais si, mais si, tu dois te souvenir, dit ma mère,
vous jouiez ensemble, et c’est toi très pour trait.
» Et c’est l’oubli qui a le trait. Un trait de
choses, d’un seul trait coule. Le verbe s’écroule.
Le Verbe, je veux dire. Veut-elle dire. Ca s’éboule.
Comme à l’Apoc’. Le ciel édite des nécros.
Des nécrobies autour. Une rate saigne au-dessus. Botter la
vie ça me botte, shooter le globe et me shooter de particules
épidémiques et paf, vitesse rapide et ruine le monde,
dit ma sœur.
Collision, (avec des dessins de Jacky Essirard) Villemorges,
2003
Ex.,Villemorges, 2006
De ce côté-ci et alentour, L’Idée
Bleue, 2006
Récits, partitions et photographies, La Passe
du vent, 2007
Accouchement de choses, Dumerchez, 2008