TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Terre à ciel des poètes - Jacques Roman

 

Sur Jacques Roman
Présentation
Extrait de Lettera amorosa
Extrait de Un étranger resté attardé sur la piste
Extrait de Sur un blanc ruban de terre et d’encre
Extrait de Je demanderai au paysage
Extrait de D’entente avec oui
Extrait de Du monde du chagrin, avec Bernard Noël
Sur internet
Bibliographie

Les fiches des poètes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On ne reste jamais longtemps devant soi, pour autant qu'on y parvienne

Antoine Emaz - Lichen, lichen

Présentation


Né en 1948 en France, Jacques Roman s'installe en Suisse romande au début des années 1970 et foule bientôt les planches des théâtres, de Lausanne à La Chaux-de-Fonds, de Fribourg à Genève. Comédien, metteur en scène, réalisateur, collaborateur et producteur à la Radio Suisse romande, pionnier des lectures publiques, il est aussi l'auteur d'une trentaine d'ouvrages dans des genres divers: prose et recueils poétiques, livres d'artistes, pièces de théâtre et œuvres radiophoniques.

J’ai découvert le travail de Jacques Roman grâce aux livres qu’il a publiés chez Paupières de Terre, c’est pourquoi je veux commencer par eux.

Dès le départ, j’ai été frappée par son écriture « travaillée au corps » par le rythme. Le sens voisine avec le chaos : il s’en extrait, puis y retourne. C’est une lecture exigeante, fruit d’une vie qu’on sent toute donnée à l’écriture. Il y a en elle un appel urgent qui m’a donné envie de partager auprès de vous cette lecture. (Sabine Chagnaud)


Jacques Roman - extrait de Lettera amorosa

« Me croiras-tu, amour, si je te dis : ces mots, je les dresse sur le seuil où tout me murmure mien le bien et pardonne à mon âme bancale. J’étais sur le point de tourner le dos à l’avenir quand la table était mise et que tu m’appelais… Maintenant la nuit peut bien tomber. Je connais tous les gestes qui chassent le Mal. C’est moi qui lui tiens tête jusqu’à l’os. Les cadavres d’enfants que chaque jour il laisse à ma porte, je les confie à la maison haute dont je garde l’entrée. »

« Déjà la plupart d’entre nous ne veillent plus les morts et bientôt naîtront nos enfants sans que nous les attendions. L’orgueil nous emploie seul. L’île entière grouille d’esclaves. Tous ont rompu les fiançailles. Je sais ce que naître veut dire en cet état. Regarde ! toute ma poésie en aura été malade : broussailles et taillis, aucun chemin. »

« J’écris parce que j’ai fait vœu de m’unir à ce monde, au monde de cette nuit-là, de m’unir contre toute peine, toute peur. »

« Tandis que là-bas la mort seule reste au bord de la piste, quelqu’un rit aux larmes d’aimer dans le brouillard, amour, ton ombre même. »

Jacques Roman - extrait de Un étranger resté attardé sur la piste

« A qui se retourne au bord de l’abîme, revenu à soi, et laisse éclater son rire, l’écho répond en un défi meurtrier. Mais pour qui donne assaut au malheur, ce rire-là aussi est un cri qui dit : remonte, veilleur, la mécanique puisque t’en vient l’envie et danse. La chandelle vaut qu’on la joue, qu’on la brûle, qu’on la souffle. Ouvre la bouche. Mange. Tendrement parle comme entre les morts il se peut, dans la nuit de jeudi, de vendredi, de samedi, et la nuit de dimanche et à la nuit la nuit dans l’immensité du temps, l’esprit emporté par ton secret. Laisse l’enfer des précautions d’usage dans les rêts de la peur. Les mots sont autant de sons à ton oreille dont le vide n’a cure ainsi le pitoyable et dérisoire vouloir de ces pages mais redis que la bête dans le sacrifice est royale dont les membres dansent une cavale ensanglantée vers où les remords n’ont pas cours et que dans cet atroce gargouillement entendu au bouillon du flot qui de sa carotide tranchée par cascades s’échappe, elle se raille de ceux qui au sort prétendirent la désigner. »

« L’objet de l’amour ne saurait nous appartenir mais son éternité en nous demeure ; il nous appartient de faire sur elle toute la lumière, il en va de notre vie. Aucun mot écrit s’il ne nous hante ne ravivera le feu qu’on entendait lui confier ainsi ce baiser déposé sur le bout de nos doigts dont l’envol dessiné d’un geste de la main pareil à un coup d’ailes se dit envoyer. Il en va de l’écriture comme de ce geste de la main et chaque page tournée ne fait pas plus de bruit. »


Jacques Roman - extrait de Sur un blanc ruban de terre et d’encre


« C’est en tous sens que court la main dans le champ d’écrire et c’est la lecture, où je crois entendre battre –mais contre quoi ?- la canne d’un aveugle, qui ouvre le chemin de derrière les yeux et je crois que tout chemin est de derrière les yeux, que ce qui fait notre regard au chemin, regard inquiet et timide d’étranger, c’est d’être pour ainsi dire sur la terrasse donnant sur le secret protégé par le visible, ne pouvant voir mais nous sentant vus, éprouvant en notre chair l’agir d’un travail, d’une couture qui de naître à mourir va. »



Jacques Roman - extrait de Je demanderai au paysage

« Au centre d’une étendue crayeuse où gisent alignés de maigres et stériles ceps de vignes, une tonnelle à l’ombre d’un amandier et dans un verre qui fut de vin, aujourd’hui de vinaigre, tombés quelques pétales comme on offre aux morts des couronnes ; ils viennent raviver les noces d’une bête de peine et sa joie et jusqu’à la paille aujourd’hui pourrie qui en accueillit l’ivresse. Le soleil a perdu son ouvrier. Le soleil va se coucher. Du monde, l’amandier attend la taille. »

Jacques Roman - extrait de D’entente avec oui

Sève et silence

S’alanguit la langue
quand ouï en l’air léger
ce oui immense
l’infinie et douce étreinte
d’une enveloppante présence
d’ocre et de bleu

D’ores la nappe déployée
de la vie et de la terre
du pas le murmure
hors l’ornière du passé
et du visage le reflet
à fond de miroir retiré

Silence et rêve


***

L’écorcherie à l’étal
aux doigts de l’enfant du boucher
la laisse courte des idées
où prise et étranglée la foi
tout ce suint de peur
aux lépreuses monnaies
le mal et son caniveau


Inventaire sinistre
qu’il lui faut aller noyer
hors de toute portée
fuyante progéniture
dont les dents déjà découvertes
et ne rapporter que la perle
du sommeil de la terre



Jacques Roman - extrait de Du monde du chagrin, avec Bernard Noël

Pour finir, une mention spéciale pour ce très bel ouvrage issu d’un échange de fragments entre Jacques Roman et Bernard Noël au sujet du chagrin… à lire de toute urgence !



J. R. – C’est le vivant, tout le vivant, et la mort – j’ose dire toute la mort dans un visage disparu, qu’il ait été vivant ou resté vivant ; la différence serait minime si le chagrin n’en troublait la différence.

B.N. – Voir fut sans doute la première façon de penser. Voir était alors un acte pur. Nous y avons ajouté du sentiment, et il a troublé la vue avec du désir, de l’amour ou du chagrin.


***

J. R. – La douleur arrive au galop. « Tu m’as appelée ? » dit-elle. Le chagrin hébété ne peut répondre, il est muet de naissance. La douleur descend de sa monture, demeure au chevet du chagrin, puis l’ennui la gagne, elle s’en repart. Le chagrin la voit partir. Il sait qu’elle reviendra, qu’elle le retrouvera, lui qui demeure au jour incrusté de sa naissance.

B.N. – Le chagrin pousse dans la terre d’ombre, celle où le présent tient au passé. La douleur clame son mal avec toute la peau, elle pousse notre épaisseur vers la surface. Le premier dure ; la douleur aimerait en finir au plus vite.


***

J. R. – Prêter ses membres au chagrin et, dès lors, le mettant en mouvement, l’inviter à étreindre en joie tout ce que l’on étreint. Au jet le reconduire, dans la reconnaissance de l’Autre. C’est peut-être ce qui dans la rupture a lieu et qui parfois reconduit l’amour, manque d’un manque autre.

B.N. – Sans membres, pas d’étreintes ; sans chagrin, pas de séparation. Mais qui se voit manquer un jour de ce qu’il a ? On ne propose nulle part l’apprentissage de la perte.

Jacques Roman sur internet
Bibliographie
  • Le Dossier R... ou l'affaire du crochet à viande, Éditions Empreintes, 1983
  • Le Cri de la fourchette sur une vitre nue, Genève, Eliane Vernay, 1984
  • L'Ange dans le couloir, Genève, Éditions E. Vernay, 1988
  • Fou qui croit remplir l'adresse, Genève, Éditions E. Vernay, 1988
  • Un étranger resté attardé sur la piste, Genève, Éditions E. Vernay, 1989
  • L'Orchestre intérieur dont Eros est le chef, Genève, Éditions E. Vernay, 1993
  • Lettera amorosa, Éditions Paupières de terre, 1998
  • L'Ouvrage de l'insomnie, Éd. Paroles D'aube, 1999; rééd. Vevey, Editions de l'Aire, 2001
  • Toutes les vertus du désert, Vevey, Éditions de L'Aire, 2002
  • Un étranger resté attardé sur la piste, Éditions Paupières de terre, 2003
  • Sur un blanc ruban de terre et d’encre, Éditions Paupières de terre, 2003
  • L'ardeur de l'ombre : poèmes, Vevey, Éditions de l'Aire, 2004
  • La chair touchée du temps, Genouilleux, Éd. La Passe du vent, 2005
  • Je vois loin des yeux, Genève, Labor et Fides, 2005
  • Je demanderai au paysage, Éditions Paupières de terre, 2006
  • Marie pleine de larmes, Lignes Manifeste, 2006
  • Du monde du chagrin, Montrouge, Éditions Paupières de terre, 2006
  • Je vous salue l’enfant maintenant et à l’heure de notre mort, Éditions de L’Aire, 2008
  • D'entente avec oui, Montrouge, Éditions Paupières de terre, 2008
  • Ecrits dans le regard de Hans Bellmer, Éditions Notari, à paraître en 2009

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