On ne reste jamais longtemps devant soi, pour autant qu'on y parvienne

Antoine Emaz - Lichen, lichen

Daniel Labedan est né en 1960. Il a été membre du comité de lecture de la revue Le Paresseux. Il vit à Marseille et anime le site de poésie en ligne Les états civils.

Aux Bains-Douches la fumée donne à l’air une teinte bleue
mouvante dans les rayons lumineux
au comptoir une jeune fille
venue de Lelystad et coiffée d’une casquette
façon gavroche pleure
ses larmes tombent sur le comptoir
se diluent dans une petite flaque de tequila sunrise
ému Majesty vient s’accouder à côté de la jeune fille
au cours de la conversation qui suit
il apprend qu’elle se prénomme Ineke
et qu’elle est triste car ce soir en particulier
le visage du monde lui déplait
plus tard il la raccompagnera en voiture
afin de lui éviter la pluie froide de novembre
déposera un baiser sur ses lèvres
avant de la voir disparaître
dans un hôtel haussmannien

Le vent soulève des sacs plastique, des vieux journaux, des nuages de poussière blanche, et déporte parfois la Toyota vers l’accotement, Princesse Stella roule vers le centre commercial Victory, elle a branché l’autoradio sur une station d’information continue, elle écoute un type dire qu’il y a un accroissement catastrophique des inégalités et une explosion de gens au bout du rouleau. Oui, se dit Princesse Stella, sûr qu’on est dans la panade. Puis elle repense à un graffiti qu’elle a lu dans un coin du Central Cosmos, ça disait : pendant que ce pays meurt de nostalgie je construis mon propre modèle de soucoupe volante.

La beauté

Elle finit
son troisième gin-coca
se tourne vers Lucien Quine
lui raconte comment ses seins
sont tombés après la naissance
de son fils Micky
elle dit : j'ai dû me faire poser
des prothèses en silicone
dernière génération
l'opération m'a coûté plus de
huit mille dollars mais
ça valait la peine
regardez
les cicatrices sont invisibles
et ma poitrine conserve
une apparence très naturelle.

Elle s’amuse avec le chien dans le jardin. Elle fait tournoyer l’extrémité d’un tuyau d’arrosage : le chien saute, cabriole, et elle rit. Je me souviens tout à coup qu’elle est vieille et très instable : ses jambes sont déformées par une maladie osseuse. J’ai peur que le chien ne la renverse. Un instant je pense aller lui prendre le tuyau des mains et lui dire « viens donc t’asseoir », mais je ne bouge pas, je reste là parce que j’aime par-dessus tout la voir comme ça, légère.

• http://etats.civils.free.fr/index.htm
  
http://labedan.blogspot.com/


http://sitartmaglesite.hautetfort.com/poesie/
( une critique de Transatlantique par Jean-Pierre Longre)
http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=16716
(une critique de Mimizan plage par Thierry Guichard dans Le Matricule Des Anges)

• Château-Paradis, Ces lignes, 1996
Mon grand-père était cow-boy (nouvelles), La Dragonne, 2000


Mimizan-plage ( roman), La Table ronde, 2003


Transatlantique (roman-poème), Les carnets du Dessert de Lune, 2008


Central Cosmos (roman-poème), La Dragonne, 2009