On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Florence
Pazzottu vit à Marseille. Elle a publié onze livres
chez différents éditeurs et quelques textes en micro-édition,
en revues ou en anthologies. Elle a co-fondé et co-dirigé
la revue Petite (1995-2005) et a été membre du comité
de rédaction d'Action poétique (de 2005 jusqu'au dernier
numéro de la revue en 2012). Elle participe à des
lectures publiques et à des festivals de poésie, en
France et à l'étranger, ou à des projets initiés
par d'autres artistes multi-média (Giney Ayme, Wilfried Wendling...).
Depuis peu, elle expose encres et gribouillis et, en 2011-2012,
elle a réalisé trois films, produits à Marseille
par Alt(r)a Voce : La place du sujet (documentaire, 40', en co-production
avec Sotto Voce), film pour lequel elle a bénéficié
d'une aide à la diffusion du Département des Bouches-du-Rhône
; Autrement dit... (poème vidéo, 8' ); et Mots d'amour
à Bédarieux (27'), en co-production avec le théâtre
de Clermont-L'Hérault, scène conventionnée
pour les écritures scéniques et poétiques.
Elle a également réalisé une scénographie-vidéo
de son récit la Tête de l'Homme*, avec l'actrice Marion
Bottollier. Un avant-projet a été présenté
aux Rencontres à l'Echelle, aux Bancs publics, à Marseille,
en novembre 2011. Prépare, avec la metteur en scène
Aurélie Leroux, la création scénique de"
Où dois-je monter avec mon désir?" (d'après
son livre les Heures blanches), et une manifestation avec installation
vidéo : "Dialectique de l'amour et du désir",
qui se tiendra à Marseille en juin 2013, dans trois lieux
d'art de la ville.
photo : Jean Marc de Samie
Florence Pazzottu
- extrait de Vers ce qui manque, in Venant
d’où ? 4 poètes, 2002
1.
s’attarde la blessure dure le temps
d’enfance
affleurant son haleine le lait bl
eu de son cœur
monta
jusqu’à ses lèvres
et ses tempes étaient dures
contre le front du ciel
2.
l’orme soulignait l’heure
solennelle du soir
du souci
de ses feuilles
pas une
ne tomba
assourdie et ombreuse
sur la bouche du mort
3.
le geste lent de l’orme le
protège
de l’immobile
la lune vide
trop vite venu
le rien
et tout pourrait
recommencer
***
(à Marie-Madeleine)
Désabritée en sa
demeure toujours
offerte
tel un fruit
recueilli
(tranquille ténèbre)
tacitement invite
la lumière
***
L’autre est à ce point mon intime
depuis le commencement ; certains
ont souhaité pour moi une peau
plus épaisse ; je n’en ai pas. Les danses
de ma langue ont créé
l’illusion d’une circonférence ; l’éclat
dur
du poème a repoussé l’instant
de la dissolution ; l’autre en moi exigeait
de connaître l’étreinte et sa distance ; - naître
était le chemin qui nous manquait : j’y suis
(tout est à faire). Croyez-vous
qu’il soit plus facile, sur ma
barque étroite
(sans rames ni étendard, sans
le soutien de la communauté dont le dégoût
de soi de bon ton est le signe, sans même le
secours d’un renoncement tranquille ; avec
ma joie tranchante, les trouées
de l’angoisse, l’étrangeté de mon souffle),
de se
tenir debout
dans la douleur du monde ?
Florence Pazzottu
- extrait de L'inadéquat
attendu qu’un enfant
se baigne dans la langue
avec tant de jouissance
que même les débris
du sens et ses mélanges
éclairent et font vibrer
de rires même en hiver
les maigres promenades
attendu qu’inouïe
est toujours la parole
(qu’elle soit prose ou vers
- flèche précise – vraie
elle est apocalypse
pour nos moi défensifs)
qui ouvre le pas-ça
- je vers l’inattendu
attendu que sacri
fice ce poème est
non le cri des anciens
crucifiés (secousses
sauvant l’ordre) mais ce
saut – tranché précis –
d’un vivre inconnu (joie)
d’un oui donné pour rien
attendu que le manque
est cette amerveilleuse
chance – l’inachevé
pour qui se moque bien
d’avoir d’être comblé
et même de la plaie
étant flèche soi-même
***
(Première inconférence)
Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser cet excès
de présence, ou ce trop grand retrait, cette façon
que j’ai, semble-t-il, d’occuper tout l’espace,
ou de ne pas tenir ma place, cette trop grande intensité,
qui fait que, quel que soit le nombre des paroles, ou leur volume
sonore, elles retentissent, elles dépassent, même,
ma pensée, qui galope, aussitôt, dès l’ouverture,
dès la première parole proférée, dans
leur sillon, rarement les rattrape, les chevauche, et cela fait
parfois un furieux corps à corps, dont on perçoit
en moi, dit-on, du dehors, les déconcertants soubresauts,
ou ma scandaleuse absence, en dépit de la matérialité
certaine de mes organes, en ces instants où l’on attend
de moi quelque maîtrise sérieuse de mes moyens, je
vous le dis sans doute avec excès, je ne sais plus si je
dois m’en excuser, car, si je manque à moi-même,
si je m’excède, présente seulement, par éclipse,
et de quelle présence, insaisissable, inadéquate je
l’admets, dans ce mouvement même, d’extrême
recul, ou de trop grande approche, en va-t-il autrement pour vous,
excusez-moi de vous le demander, avec cette fois encore, sans doute,
une trop grande intensité, dont je voulais écarter
le sujet, justement, pour commencer, ouvrir l’abcès,
l’excès, vider la place, ainsi que de mes brusques
retraits, dont je ne suis plus sûre, à présent,
qu’ils soient si bien nommés, ni miens, réellement,
excusez-moi, je me retire.
Florence Pazzottu
- extrait de L'accouchée
N’importe quel jeune corps fait l’expérience
de la douleur, n’importe quelle jeune chair, n’importe
quel jeune esprit fait très tôt l’expérience
de la douleur, il est tout à fait humain, il est tout à
fait sain et normal de chercher à éviter la douleur,
je ne cherche pas la douleur, je m’efforce chaque jour d’éviter
la douleur, d’éviter moi-même et d’éviter
à autrui la douleur, presque chaque jour, je fuis la douleur,
mais je ne veux pas à n’importe quel prix éviter
la douleur, il y a dans la douleur plus que la douleur, il y a quelque
chose aussi qui peut se révéler dans la douleur, il
y a quelque chose à apprendre de la douleur, on ne peut pas
chercher à apprendre dans la douleur, on ne peut pas chercher
la douleur pour cette chose qui peut-être nous serait révélée
dans la douleur, mais on ne peut pas ne pas avoir fait cette expérience
de la douleur, cette expérience de l’esprit dans la
douleur, et ne pas avoir vécu qu’il y a une traversée
de la douleur, qu’il y a de la fraternité dans la douleur,
que quelque chose d’autre que la douleur me parle dans la
douleur, c’est pourquoi même si je cherche chaque jour
à éviter de toutes les façons possibles la
douleur, je ne peux pas vouloir qu’on m’ôte à
tout prix la douleur, je ne peux pas être moi-même le
prix de ma douleur, je ne veux pas que la perte du sens soit le
prix à payer pour la perte de ma douleur, il y a quelque
chose à apprendre de la fin d’une douleur, du soulagement
de la fin de la douleur, je ne veux pas qu’on me prive de
la fin de la traversée de ma douleur, je préfère
une bonne traversée de la douleur à l’évitement
d’une douleur d’emblée dite mauvaise, je ne veux
pas qu’on dise d’emblée mauvaise ma douleur,
je veux qu’on laisse d’abord me
parler ma douleur, il se peut que ce soit le mal absolu ma douleur,
que soit anéantissement ma douleur, il se peut que je veuille
très vite et de toutes mes forces la fin de la douleur, mais
il se peut malgré tout que je supporte, il se peut que je
dispose en moi d’une oreille pour entendre la parole fraternelle
et terrible de ma douleur, il se peut que je ne souhaite pas la
surdité, en définitive. Il se peut aussi que je me
trompe.
***
Je ne comprends pas qu’on dise la chair de
ma chair mon enfant, le prolongement de moi-même mon enfant,
ce n’est pas la chair de ma chair mon enfant, c’est
la chair issue de ma chair cet enfant, mais pas seulement, c’est
la chair issue de la chair d’un autre, enfant d’un autre,
mais pas seulement ; ce n’est pas la chair de ma chair, c’est
un autre cet enfant, il est assez incroyable que je supporte en
moi cet enfant, il est assez incroyable que mon corps ait supporté
cet autre corps si longtemps, il est assez incroyable que mon corps
ait aimé porter cet enfant, que mon corps ait porté
cet enfant, que mon corps mon esprit aient aimé cet enfant,
que ce soit un étranger déjà aimé cet
enfant, c’est parfois malaisé de porter un enfant,
certaines femmes sont malades quand elles portent un enfant, certaines
femmes supportent mal de porter un enfant, il se peut que certaines
femmes ne puissent pas avoir le l’amour aussitôt pour
l’enfant, ne sentent pas amie mais hostile la présence
en elles de l’enfant, sûrement que ça aide d’avoir
aimé celui par qui est venue la présence en soi de
l’enfant, j’ai toujours aimé la présence
en moi de l’enfant, on a beau savoir naturelle la présence
étrangère en soi de l’enfant, c’est tout
bonnement incroyable cette présence aimée en moi de
l’enfant, c’est proprement bouleversant ce surgissement
hors de moi de cet étranger mon enfant
Florence Pazzotu
- extrait de Petite
(Petite 22)
Dans
ma main, petite, le monde tenait tout entier ; la chair d’un
abricot, je participais à la sève des choses ; il
n’y avait que des premières fois : la première
amande fraîche, la première cerise goûtée
sur l’arbre ; une framboise, c’est l’éclat
fragile déjà sombre de l’été qui
roule et s’effrite entre nos doigts ; il n’y avait que
des premières fois ; le monde est une piste de danse ; un
croche-patte – et nous étions les étrangers
pour toujours, les détraqués, les solitaires.
Les heures blanches, éd. Manya, 1992
Séquence du verbe être, éd. Fidel
Antelme X, 2001
Petite, éd. L’Amourier, 2001
L’Accouchée, récit, avec une
postface d’Alain Badiou, éd. Comp’Act, 2002
Vers ce qui manque, in Venant d’où,
4 poètes, Flammarion, 2002
Enton, traduit en galicien, éd. Emilio Araùxo
- Amastra-N-Gallar, 2004
L’inadéquat (le lancer crée le
dé), éd. Flammarion, Poésie, 2005— réimprimé
en novembre 2011)
La place du sujet, avec des photographies de Giney
Ayme, éd. L’Amourier, 2007
Sator…, éd. Cadastre8zéro, 2007
La Tête de l'homme, éd. Seuil, collection
déplacements, 2008— réédité en
novembre 2011
S'il tranche, éd. Inventaire/Invention, 2008
L'espace blanc, éditions Gare maritime (maison de la poésie
de Nantes), 2009
Alors, (Flammarion, coll. Poésie, nov. 2011) Le récit les Heures blanches sera réédité dans une édition revue et corrigée par l'Atelier du Grand Tétras en juin 2013
Parutions dans les revues
Le nouvel Ecriterres, Banana Split, le Nouveau Recueil, Cornaway,
la Polygraphe, Action poétique, Passage d’encres,
Incidences, Hiems, Fidel Anthelme X, Ecrit(s) du nord, Gare maritime,
Amastra-N-Gallar (Galice), Action restreinte, Formes poétiques
contemporaines, L’étrangère (Bruxelles), Le
Dirigeable (Nijni-Novgorod), Neige d’août, Inventaire/Invention,
Serta...