TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Terre à ciel des poètes - A propos des livres de Jean Gabriel Cosculluela

 

Les fiches des poètes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On ne reste jamais longtemps devant soi, pour autant qu'on y parvienne

Antoine Emaz - Lichen, lichen

ÉCOUTEUR DE VOIX


Accueillir une écriture de la fouille, du creusement, celle de Jean Gabriel Cosculluela, dont les livres s'intitulent l'Affouillé, Memoria de una excavacion, Terre et bleu, une écriture terrée dans sa langue (1) Il faudrait dire dans ses langues, puisqu'il y a la française et l'espagnole.

Lorsque l'écriture s'énonce à voix haute, le lecteur se fait écouteur de voix. (2)

Nous allons écouter une voix.
Mais la voix de la poésie qui s'y fait entendre est autre.
Je dirai, même si cela semble paradoxal, que cette poésie se place sous le signe du silence. Il dit: l'écriture est toujours à la recherche du silence.(3)

…/…

Il y a peu de mots: la terre, le chemin, l'eau, le bois, la neige, la nuit, la lampe, l'herbe, le bleu, l'oubli, la mort.
Ces mots sont cesse répétés de façon différente, à peine différente, pour dire au plus près:
Les villages qui disparaissent de la terre natale, certains avalés au fond d'un trou, noyés,(4)
Les maisons où se vident fenêtre et porte. (5)

Il reste des langues de terres détruites.(6)

Cette terre des mots inlassablement affouillés,
un travail de lent éclatement (7)
pour démanteler le sol insupportable de la langue,(8)(9)
pour la lecture de cette poussière
pour dire, au plus près, les êtres proches qui meurent
le temps d'un corps, le creusement (10)
l'incision du deuil dans nos mots.(11)

La main qui écrit se fait le passeur qui ramènent des ombres déjà passées sur l'autre rive.

Des mots simples, toujours plus simples, redits sotto voce, un même ostinato décoloré,
écrits dans la neige.(12)

Le recouvrement : l'eau, le ciel où se lit encore le tremblement.(13)

La lampe sur la table.
Le bleu par-dessus le blanc du plâtre.
C'est une écriture qui n'assure de rien, ne rend compte que d'une disparition. (14)
Ou, plus exactement, de ce qui, dans la disparition, est encore là.

Et c'est aussi, dans un mouvement similaire, une écriture qui tente de dire ce qui est déjà là avant le commencement:
le seuil…
la porte de jardin…

Trouver dans les mots, s'approcher par les mots de ces instants ténus, de ces limites, de cette frange, cette marge qui, si on la saisissait, nous donnerait le tout.
Ainsi, le poème
( peu de traces sur le blanc de la page - la voix qui le livre )
offre sa résistance muette à l' interprétation, arrête le temps.(15 )

…Odeur de brûler l'oubli.

On peut ici entendre ce que dit Pascal Quignard du poème:
Dans le langage de la langue c'est un trou qu'il creuse…
C4est un mouvement de la langue qui retient son souffle, engendrant des silences…
Le silence introduit de l'invisible dans le visible,
révoque l'assise,
détache l'aspect,
met en grain la lumière,
en poudre la certitude du monde,
ouvre la terre.

? Mireille COULOMB, 1993.
( Texte inédit écrit à l'occasion d'une lecture publique de jgc le 16 avril 1993 dans la Cave des Buis en Ardèche )


Notes
(1) Quignard (Pascal). - Petits traités . Paris: Clivages, 1981-1984. Puis Paris: Maeght, 1990, et Paris: Gallimard: 1997.
"une écriture terrée dans sa langue"
La citation exacte est " .. une écriture où il est dans sa langue : terré "
(2) Quignard (Pascal). - Petits traités id.
(3) Cosculluela (Jean Gabriel). - Memoria de una excavacion. - Montpellier; Lodève: Sculpt-Script, 1982.
(4 ) Pascal Quignard . - Petits traités id.
(5) Cosculluela (Jean Gabriel). - La Main de Julien, récit. - Gigondas: Atelier des Grames, 1984 .
(6) Cosculluela (Jean Gabriel). - La Moindre des choses in magazine Calades n° ? ( ? ) in dossier "Poésie contemporaine".
(7) Cosculluela (Jean Gabriel). - La Lanterne des morts in revue Actuels n°24 / 25 (1984.
(8) Cosculluela (Jean Gabriel). - Memoria de una excavacion id.
(9) Quignard (Pascal). - Petits traités id.
(10) Cosculluela (Jean Gabriel). - L'Odeur de brûler l'oubli in revue Anima n°5 (1982), puis Besançon: Ed. Zéro l'infini, 2000. Avec des peintures et photographies originales de Joël Leick.
(11) Cosculluela (Jean Gabriel), d'un inédit
(12) Schneider (Michel). - La Tombée du jour - Paris : Le Seuil, 1989.
(13) Cosculluela (Jean Gabriel). - L’Insupportable, in Catalogue de l'exposition Supports / Ecrits. - Lyon: BM Part-Dieu, 1983, repris dans Là-bas là-bas. - Vals-près-le-Puy: à Demeure, 2000 .
(14) in revue Exercices de la patience n°2 (Hiver 1981): "Maurice Blanchot
(15) Valavanidis-Wybrands (Harita) in revue Exercices de la Patience n°2 hiver 1981: "Maurice Blanchot".
(16) Pascal Quignard. - Petits traités id


UNE AUTOBIOGRAPHIE DE RECOUVREMENT


Pour Cosculluela, l'enjeu de plaisir d'écriture est tout autre que la seule éventualité de séduire un lecteur. Dans l'entrelacement de ses textes, l'auteur de "Le Lointain est bleu" cherche à trouver un fil perdu qui doit permettre à l'errant (au fils perdu ?) de retrouver sa trace et sa trame à travers une mise en scène qui n'est rien d'autre qu'un travail de refonte et de refente pour une renaissance. Cette opération, très longue, s'est opérée par touches et retouches successives dans les différents textes antérieurs à celui qui paraît aujourd'hui et l'ensemble forme, d'une certaine manière, l'instauration d'une autobiographie de recouvrement.

Mais que l'on ne s'y trompe pas. L'œuvre de Cosculluela est une autobiographie transposée capable de créer un autre moi. La machine autobiographique" devient ainsi à ce titre une machine "dé-formatrice". Elle ne joue plus le rôle d'un transgert de l'assouvissement narcissique et sort l'auteur d'un état d'auto-aliénation à une pseudo-vérité pour offrir à son lecteur une expérience transcendée et transmissible. La matière de mémoire ne mérite plus la première place. Il s'agit plutôt d'une "scriptographie" par laquelle le langage poétique ouvre sur un monde en abîme. Ce transfert stylistique donne ainsi à sa matière un regard contre l'imposture de l'ego. Pour l'auteur, en effet, il n'est pas question de se montrer, de s'exhiber mais de se réapproprier dans une partition et non dans une parturition.

DE ce livre peut sortir ce que Calaferte nomme "la bouche parlante aphasique" qui s'aventure vers l' inconnu. Comme un récit en fragments qui s'énumère de lui-même, le texte de Cosculluela creuse l'instant lourd de silence. Un silence qui prend gorge et voi. Sur le poème, le bleu et le blues de cette voix, au lointain, qui remontent. Cosculluela le dit lui-même: Les mots viennent d'un dialogue ruiné avec le secret d'air et avec le silence". D'où ces suites subtiles de courants qui traversent le poème, lieu ouvert, lieu fermé. Et ce bleu, comme une pluie dense, sombre qui passe en trame forte, jusqu'à ce que dans la pente quelque chose se casse, quelque chose qui fait penser de manière étrange, aux tableaux de Bram Van Velde. Alors quelque chose se passe: Ci-gît l'espace; L'eau est la lettre du dehors. Son bleu est la couleur du deuil; en amont, dans la neige, un seuil délité. Le poème comme un calvaire, dont chaque image s'amenuise. Le repère d'un lieu de douleur. Ou mieux: un non-lieu, un trou, un chaos de ravins au seuil du noir. Ici, le secret de toute cette force de l'écriture. Couleurs aveugles à l'intérieur. Le temps couche sur couche, tombant. Jusqu'à l'oubli. La cause (entendue) du silence dépliée sur le blanc.

Jean-Paul GAVARD-PERRET
(texte inédit à propos de Le Lointain est bleu, Ed. Comp'act, 1994)


C'EST CELA

…Métamorphose envoûtante et qui laisse en nous, une fois le livre refermé, un profond sillage. Votre parole habite. S'insinue et habite, change la vision. Le bois parle, la neige parle, qui traversent vos mots. C'est cela: il y a vos mots sur eux, tout imprégnés de la présence du mort et il n'y a plus qu'eux, au terme et le mort en eux, comme douloureusement épars…

Roger MUNIER
(lettre du 19 août 2002
à propos de Terre d'ombre, Ed. Voix d'Encre, 2001)

ENTRE L'ABSENCE ET LA DISPARITION

La mort d'un père mène dans les terres d'ombre de l'absence. Mais la poésie de Jean Gabriel Cosculluela nous révèle qu'il n'y a pas confusion entre l'absence et la disparition. De son écriture discrète ancrée dans les éléments primitifs (l'eau, le bois, la terre), traversée par la lumière, il affine patiemment une évocation, dessine les contours d'une réelle présence où la mémoire a moins d'importance que l'écriture elle-même.

Alain BOUDET
( sur le site Internet La Toile de l'un, avril 2003,
à propos de Terre d'ombre, Ed. Voix d'Encre, 2001



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