On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Ariane Dreyfus est née en 1958. Elle vit et enseigne en région
parisienne. Elle a collaboré à de très nombreuses
revues et publié une dizaine d’ouvrages.
Poésie de la rencontre, offerte
« pour que le lecteur puisse y entrer tout entier, avec des
élans sans réfléchir, par bouffées,
ou douces commotions, exactement comme moi je l’ai écrite
» (entretien paru dans Décharge n° ?), elle épouse
la langue de tous les jours et en même temps la retourne,
crée la surprise. A la lire, à « l’entendre
», on a bien l’impression que c’est écrit
d’humain à humain, avec quelque chose d’éveillé…
Ariane Dreyfus
- extrait de Les miettes de décembre
Il y a un arbre devant les larmes.
Il n’est pas l’absent, il n’est
pas l’absolu,
C’est des milliers de feuilles sans nom.
Il y a un arbre et pas de larmes.
Le ciel aussi, le repas du visage.
Moi qui suis dans le paysage,
Il y a un enfant là-dedans.
Un visage plus petit monte pour que l’œil
appa-
raisse. Je me penche sur l’eau réveillée où
le mien se
baigne et va l’être.
La fleur que l’eau redresse.
Les nuages que le ciel prononce.
On dit, donner le jour. Heureux, si c’était.
Il fait jour, oui, mais tant de mains lâchées
Qu’autant manger son poing et sourire à moins.
Mais viens.
Je bois aussi à l’arbre.
Autant de fois qu’il veut l’homme peut
frapper du sexe pour entrer, la maison étant sans murs. Mais
un enfant est monté, c’est lui les ailes de coups inconnus,
les fronts qui dansent.
Je n’ai que des robes blanches, même
les
sombres
Vont. Bateaux qui ont des jambes, mon petit.
On est poussée par une main dans les reins
Large, si large qu’elle ne se montre pas.
J’embrasse de l’arbre le visage mentalement
***
- Catherine ! Maman n’a pas fini !
- Je vais sur le pont !
Le bateau vibre déjà sous les pieds et tourne dans
les jambes. Le ciel est le même.
La terre est plate, la mer est ronde et mouille
les côtés.
Et puis le bonheur n’est pas une question,
alors il n’y a pas de réponse.
Un plus jeune enfant pleure dans une cabine.
Mais pas ma fille, mon dieu, pas ma fille.
Emilie se baisse vers le sol pour rassembler leurs
affaires. C’est ainsi que les mains consolent.
- Tu pleures, Maman ?
- Mais oui. Allez ma chérie, va courir !
Je dédie ce poème à ces mères,
à ces pères aussi, ébahis sans rien dire sous
le tonnerre de leur amour, un seul éclat dans n’importe
quel ciel.
A qui par cet amour le pire peut vraiment arriver.
Emilie marche clairement.
C’est à cause du sel jusque dans la pensée.
Ariane Dreyfus
- extrait de Une histoire passera ici
L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE
Dans
la cuisine la fille s’essuie les mains sur ses hanches.
On ne vient que pour réclamer
Alors elle ne tourne pas toujours la tête
Front essuyé au creux du coude
Quand la porte s’ouvre seulement du bruit
Le travail fait marcher presque danser
Une robe tâchée peut être une
robe de bonheur
Parce qu’en elle
La sueur n’empêche pas les yeux clairs
Quand on souhaite de pied ferme
Rendre heureux qui on sait
Et qui est tout près d’ici
Ce ne sont pas les rois qui font les reines.
Ariane Dreyfus
- extraits de L’Inhabitable
Ta langue les ouvre. Si ce n’est pas comprendre,
Rien sur terre n’est comprendre.
Odeur où nous n’étions jamais allés.
Bon.
Les mortels sont très ensemble.
***
STATION
Je veux la remercier de hurler.
Moi pas.
Alors merci à la femme qui dans le métro hurla longtemps
Elle est si forte,
La maladresse de l’amour dans la vie
Ou quoi ?
En criant, c’est elle, cette femme qui n’est
pas l’écriture et qui dit – je respire ! –
que la souffrance peut faire du bruit,
ici je reste près de la fontaine hurlante
Mon ventre – celui dont tu t’es écarté.
Et je ne pleure plus tellement je m’entends.
***
Le forsythia n’attend même plus que tu me reprennes
pour fleurir.
***
Quelqu’un pour moi personne.
Nommer c’est entièrement.
***
C’est acceptable.
A force d’y penser, les larmes m’entrent
dans la bouche.
Je t’ai appelé,
Minuit peu importe. Tu es l’ami.
Sans pitié et parfois sans fatigue.
A chaque fois que je peux je te donne des fleurs.
Pour toi, quand elles ont fané, elles sont encore des fleurs.
Bien sûr, il y a ce moment où l’odeur est tellement
là que tu fermes les yeux contre la porte. Le corps incliné.
Mais fanées elles existent toujours, tu n’as plus peur
depuis longtemps.
Mais ton souffle arrêté quand je t’ai
raconté cet enfant tombant puis éteint dans la neige
qui rouvrant les yeux découvre qui ne cessera plus de l’aimer
penché sur lui, au lieu du ciel, oui, qu’est-ce qui
a déplacé la réalité ?
A défaut tu aimes le parfum des mots dans
les phrases, que l’on respire sans s’étouffer.
Sans détourner les yeux de cette odeur.
Une nuit j’avais comme des morsures, attaquée
par l’amour incertain. Tu as tout regardé, sans me
plaindre et sans me laisser, comme on fait d’une vivante.
Me montrant que cela aussi c’est choisir, souffrir.
Entretiens :
sur Poezibao avec Tristan
Hordé
avec Valérie Rouzeau et J.P.Dubost dans Décharge
(septembre 1997) et n° 136 (dec 2007)
avec Serge Martin dans Le français aujourd’hui
n° 126 (juin 1999).
avec Emmanuel Laugier dans Le Matricule des Anges n°37 (décembre
2001-février 2002).
avec Camille Loivier dans Neige d’août n°12
(printemps 2005).
Bibliographie
L’amour I, aux Éditions De,1993.
Un visage effacé, aux Éditions Tarabuste,
1995.
Les miettes de Décembre, au Dé Bleu,
1997.
La durée des plantes, aux Éditions
Tarabuste, 1998.
Une histoire passera ici, aux Éditions Flammarion,
1999.
Quelques branches vivantes, aux Éditions Flammarion,
2001.
Les compagnies silencieuses, aux Éditions
Flammarion, 2001.
La belle vitesse, au Dé Bleu, collection «
Le farfadet bleu », 2002.
La bouche de quelqu’un, aux Éditions
Tarabuste, 2003.
L’inhabitable, aux Éditions Flammarion,
2006
Iris, c’est votre bleu, au Castor Astral, 2008