On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
De Thierry METZ, Jean GROSJEAN notait en 1989: “C’est
que vivre a quelque chose de terriblement élémentaire...
Chaque soir, quand la fatigue ne l’a pas anesthésié,
Thierry METZ note la part respirable des heures qu’il a traversées”.
Né en 1956, Thierry METZ s’est donné
la mort le 16 Avril 1997. Lire
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(JG Cosculluela)
J'écris pour ne plus
trop m'éloigner de ce que j'ai à faire
(extrait de L'homme qui penche)
Photo tous droits réservés Françoise
Metz
Thierry
Metz- extraits de Dans les branches
D’elle j’attends ce dessin presqu’un oiseau
une branche ce quelque chose entre le ciel
et ma main
et ce caillou qui ne m’arrête
pas
est-il autre chose pour s’éloigner
que d’avoir grandi où elle aura
passé
Ainsi chaque jo ur un travail
perché sur mon épaule
la terre en vue retournée
par la mort
un instant
de ce qui brille
les yeux fermés
Paupière une écriture
si fine frissonne de recueillement
dans les branches
d’un oiseau gavé de lumière
comme un fruit
Thierry Metz -
extraits de Lettres à la bien-aimée
Entrer et sortir à chaque mot, comme d’une
maison.
Je t’y retrouve pour que dure l’improbable,
un silence, un mot, ou quelques pas dehors.
Se relever. Ecrire. Ecouter la maison. Peur
d’avoir oublié quelque chose.
Tout se révolte autour du livre. Et s’im-
plante.
Car tout peut encore s’esquisser dans les
marges, dans les blancs.
Une saute d’humeur.
D’où je reviens, pour tarir la nuit.
Pour reboiser l’instant.
Tu reviens du trava il. Tu me caresses la joue.
Les enfants sont encore dans un feuillage
de
mots, dans un livre.
J’ai posé deux assiettes, un plat de
riz.
Un silence. Par où ils reviendront. Par quoi
se fait le jo ur.
J’aime m’allonger contre toi, le soir,
sans les
épices de la lampe, une main sur ton
ventre,
mon visage entre le cou et les cheveux.
Là : un oiseau pourrait se poser, sans crainte.
Je sais bien que nous pensons à des soucis,
à des transhumances. Mais comment ne
pas se
mesurer à ce qui est ? à une
vie courante ?
Nous n’en parlons pas. Nous sommes où
les
quatre vents nous ont amenés.
C’est là qu’est le puits. Ta bouche
contre la
mienne comme des gosses qui ont mangé
des
fraises, ou fait tomber des pierres pour entendre
jusqu’où on l’entendrait.
Sans qu’on s’en aperçoive tu
vas de la cuisine
au monde.
On te laisse passer avec des œufs et du lait.
Avec aussi le petit pain d’écriture.
Qui dure
une semaine.
Thierry Metz -
extraits de L'homme qui penche
1.
CENTRE HOSPITALIER DE CADILLAC EN GIRONDE,
PAVILLON CHARCOT. OCTOBRE 1996
C'est l'alcool. Je suis là pour me
sevrer, redevenir un homme d'eau et
de thé. J'envisage les jo urs qui viennent
avec tranquillité, de loin, mais attentif.
Je dois tuer quelqu'un en moi, même
si
je ne sais pas trop comment m'y prendre.
Toute la question ici est de ne pas perdre
le fil. De le lier, à ce que l'on est,
à ce que
je suis, écrivant.
24
Un homme marche dans les feuilles,
non loin du pavillon. Il se déplace
si
lentement, avec tant de précautions
qu'il ne s'aperçoit pas qu'un arbre
le
suit.
38
Je n'arrive pas à leur parler. Pas
entièrement comme je voudrais. Je
laisse des mots derrière les mots -
arrivés mais cachés, en retrait
de
l'enterrement.
J'effleure ce que j'écris comme après
une longue jo urnée de travail.
Chaque mot m'essouffle.
51
L'homme qui penche se penche
pour écrire, pour retenir, peut-être,
ce qui était plus penché que
lui. Il y
a les bruits que fait quelqu'un dans
mon oreille. Et quelque chose qu'on
a laissé tomber.
Thierry
Metz - extraits de Dolmen
échappé des fables
tu vas - chercheur d'eau -
sans demander où est la terre
archive de l'ici
mais va plus loin
où l'on tresse
et frappe
- à même le sol -
le tambour des langues
INSTANTS
tu peux tenir longtemps ici
dans le cratère - dans l'inachevé -
seul
avec la parole et la graine
demeurer où il y a toujours à faire
seul avec l'absent
un visage à la cime des mots
LACUNAIRES
Thierry Metz -
extraits de Terre
J'entraîne mes pas.
Dans une demeure que je n'attendais pas,
si frêle
où ma voix
comme une torche
s'éteint.
Ne s'entend plus
que sur un bûcher.
Mais la voix revient, chargée de foin :
Où sommes-nous ?
Quelle heure est-il ?
Il n'est que maintenant. Et c'est le livre. Et je n'ai rien trouvé
d'autre. Mais je sème. Tout ce que je suis. Pour qu'il y
ait un chemin au croisement de nos voix.
Je me tais.
J'écoute.
Un oiseau s'est posé sur moi.
Quelqu'un dans la haie a
ouvert un livre
malgré les épines
Dolmen, La demeure phréatique (Cahiers
Froissard, prix Froissard 1989)
Sur la table inventée (Jacques Brémond, prix Voronca
1989)
Le Journal d'un manœuvre (Gallimard, l'Arpenteur, 1990)
Entre l'eau et la feuille (Arfuyen, 1991)
Lettres à la Bien Aimée (Gallimard, l'Arpenteur, 1995)
Dans les branches (Opales, 1995)
Le drap déplié (L'Arrière Pays, 1995)
De l'un à l'autre (Jacques Brémond, 1996)
L'Homme qui penche (Opales, 1997)
Terre (Opales / Pleine Page, 1997)
Dialogue avec Suso (Opales / Pleine Page, 1999)
Sur un poème de Paul Celan (Jacques Brémond, 1999)
Tout ce pourquoi est de sel
(Pleine page, 2008) Inspiré par le travail pictural de son
ami M. Feld, T. Metz (1956-1997) a
composé ce recueil quelques semaines avant de disparaître.
Il noue un dialogue avec les peintures de l'artiste, comme pour
retrouver la trace de son propre cheminement.
"L'homme qui penche" a fait l'objet d'une adaptation au
théâtre par le comédien et poète Lionel
Mazari en 2003 à la Médiathèque intercommunale
de Miramas