On ne reste
jamais longtemps devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Sophie G. Lucas, née en 1968 à Saint-Nazaire, vit
à Nantes. Membre de la maison de la poésie de Nantes.
Sophie G. Lucas
- extrait de Ouh la géorgie
je suis un gens sur la place à compter les sacs plastiques
comme des méduses
échouées il est soir et tout le monde s’est
éteint je ne parlerai plus à personne
Sophie G. Lucas
- extrait de Nègre blanche
13.
Schhhhrrriiitt chuchote la lame d’un geste lent je défais
l’homme gomme le travail
d’une nuit jamais d’aussi près n’avais
vu mon père au jour
Sophie G. Lucas
- extrait de Sous le ciel de nous
dans ton endroit
ma bouche peut longtemps
se taire
et toi brillance dire
de fond en comble
le monde
je regarde tes mots
tes dents
et je me fiche
bien de la révolte
qui dedans
Sophie G. Lucas
- extrait de Panik
elle avançait bleue la rivière et les cailloux battant
sa nuque soleil à tête écrasée
derrière les peupliers des heu-res arrêtée elle
priait bleue qu’on ne la retrouve pas
Sophie G. Lucas
- extrait de Moujik moujik
Il dit c'est un collègue qui meurt Francis (il
frappe sa poitrine du poing). Quand ils pose son poing c'est son coeur
qu'il touche (c'est aussi lui qu'il montre). Les gars qui l'ont emmené
ils portaient des gants. ils ont brûlé ses affaires (sa
voix se coince quelque part). Il regarde ailleurs. Le Bois aura notre
peau. Il répète. Le Bois aura notre peau (il le redit
pour lui-même). On est foutus. On est coincés ici. Ca
s'améliore pas là-bas (il tend le même bras mais
à l'opposé vers la route). Il allume une cigarette.
Ses mains sont énormes (il a des mains de travailleur). Ses
mains sont abîmées. Ses yeux sont bouffis. Son dos est
plié (il a le corps d'un homme usé). Le travail c'est
mort pour moi. Il dit je me fous d'être pauvre c'est d'être
inutile (il tire sur sa cigarette sans la tenir). Il range ses grandes
mains dans ses poches trop petites.
Sophie G. Lucas
- extrait de Se recoudre à
la terre
on n'en fait rien de
la neige
(toute l'épaisseur de
ce monde dans une fenêtre)
tout juste se demande-t-on
comment ce sera une fois
que tout aura fondu
si la vie sera la
même
et si c'est bien la neige
qui bloque les siens
dans le
silence
"ouh la géorgie" (Gros Textes/Décharge,
Coll. Polder n°126, 2005)
"Nègre blanche" (Prix de Poésie
de la Ville d'Angers 2007, Ed. L'Idée Bleue)
"Sous le ciel de nous" (Contre-allées,
2007)
"Panik" (Le Chat qui tousse, 2008)
"Prendre les oiseaux par les cornes" (2010,
Le Chat qui Tousse)
"Moujik moujik" (2011, Les Etats Civils)
"Se recoudre à la terre (avec neige)"
(2011, Contre-allées, coll. Lampes de poche)