On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
La poésie de Marina Tsvétaïéva, on la
vit, on la reçoit avec toutes ses contradictions et ses éclats
intérieurs. On l'écoute avec une attention toute particulière
et cette envie de lui dire qu'elle ne doute pas en elle, qu'elle
est un grand poète. Celle qui dès les premiers temps
de son écriture affirme : « Mes poèmes sont
un journal intime»
Poète lyrique, Marina Tsvétaïéva
est née à Moscou en en 1892, publie dans des revues
dès l’âge de seize ans, part en exil en 1922
pour une période de 17 années. Et en 1939, lorsqu’elle
se prépare à revenir à Moscou, elle écrit
à son amie Anna Teskova « Ici, je suis inutile,
là bas je suis impossible » La dernière
décennie de sa vie, les poèmes sont rares, Marina
lorsqu’elle retourne en URSS, en 1939, semble aller de façon
consciente vers la mort. En 1941, elle n'est plus la poète,
celle qui écrivait en 1926 à Rilke «toute
mort de poète, même la plus naturelle est contre nature,
c’est à dire un meurtre», s'est pendue.
extrait de l'article Marina
Tsvetaïeva, poète de tous les exils.
Marina Tsvétaïéva
- extrait de Le ciel brûle
Il s’approcha, ailé,
Et tes paupières mirent le voile sur ton regard
radieux.
Tu mourus – flamboyante
A l’heure la plus terne.
Que pourront donc expier
Ces deux dernières larmes brèves ?
Il réfléchit – Quatre heures
Sonnèrent.
Il partit sans être vu,
Emportant le mot le plus précieux.
Mais personne n’entendit
Ton dernier appel.
Et s’est perdu dans la mer des bruits
Le cri qui déchira ton sein et ton âme.
Rose, tu te noyais
Dans le matin trouble…
Moscou, 1912
Marina Tsvétaïéva dans Le ciel
brûle, éditions Poésie / Gallimard, page 21.
Marina Tsvétaïéva
- extraits de L’offense lyrique
Je suis. Tu – seras. Entre nous – un gouffre.
Je bois. Tu as soif. S’entendre – en vain.
Dix ans, cent millénaires nous séparent. –
Dieu ne bâtit pas de ponts.
Sois ! – C’est mon commandement.
Laisse-moi passer, je n’écraserai pas les jeunes pousses.
Je suis. Tu – seras. Dans dis printemps, tu diras :
- je suis ! Moi, je dirai : - C’est trop tard.
6 juin 1918
Marina Tsvétaïeva, dans L’offense lyrique, éditions
fourbis, page 86
Marina Tsvétaïéva
- extrait deQuinze
Lettres de Marina Tsvetaeva à Boris Pasternak
Prague, 15 février 1923
Votre carte postale aérienne avec les toits
en réponse est arrivée. – Mais tout de même
pour les toits, j’aurai le dernier mot ! – Allez, tenez
! Admirez ça !
Le malentendu s’est dissipé : nos lettres se sont tout
simplement rencontrées (croisées). Avec Ehrenbourg,
il s’est produit l’inverse, c’est-à-dire
la même chose, mais pas entre les lettres : entre les êtres.
Je vous écris après une longue et
dure journée de travail, je vais me coucher et chercher réconfort
dans « l’inventaire de vos biens poétiques »
- ce qui étonnamment guérit de tous les autres biens
: de leur présence comme de leur absence !
Au revoir. Je vous dois encore une lettre : des vers.
M.T.
Quinze Lettres de Marina Tsvetaeva à Boris
Pasternak, éditions Clémence Hiver
Extrait d’une lettre du 31 décembre
1929 à Meudon
[…] Boris, avec toi je redoute chaque mot,
voilà la raison de mon silence épistolaire. Car nous
n’avons rien d’autre que les mots, nous y sommes condamnés.
Car tout ce qui, avec d’autres, passe – sans mots, les
mots sans voix, sans rectification par la voix. Le peu de chose
prononcé (l’air a tout mangé) – est affirmé,
muettement hurlé. Boris, d’ordinaire, dans toute relation
humaine, les mots sont juste une main-forte, une béquille,
une dernière extrémité, et l’extrémité
l’est toujours – dernière. On dit bien –
en guise d’adieu. Je ne sais pas si elle est vraiment de lui,
mais Stépoune a eu une formule définitive : «
Ce qui a perdu les romantiques, c’est d’avoir toujours
été les derniers. » Chacune de nos lettres est
la dernière. Tantôt – la dernière avant
notre rencontre, tantôt – la dernière pour toujours.
Peut-être est-ce d’écrire rarement que tout reprend
à neuf – à chaque fois. L’âme se
nourrit de la vie, ici l’âme se nourrit de l’âme,
auto-dévoration, impasse. […]
Quinze Lettres de Marina Tsvetaeva à Boris
Pasternak, éditions Clémence Hiver
Marina Tsvétaïéva
- extrait de
Lettres à Anna Teskova
Vanves, 26 octobre 1936
Chère Anna Antonovna,
Juste quelques mots : qu’en ces jours pénibles
et le désert advenu de vos journées – je suis
constamment avec vous, que si je n’ai pas écrit –
c’était seulement en vertu de ma peur innée,
ici légitimée, d’être de trop –
qui, en effet à cette heure, n’est pas de trop ? tous,
sauf celui qui n’est plus – je n’ai pas écrit
parce que je n’ai rien à raconter, parce qu’en
ces circonstances on ne doit pas écrire mais être là
– en silence (aller au cimetière
ensemble, comme je l’ai fait avec la mère du jeune
Gronsky, dans ce vaste et merveilleux cimetière pareil à
une forêt, le long duquel nous avions si souvent marché,
lui et moi – en notre temps…) – parce qu’en
ces circonstances, impossible de parler de soi et terrible –
de l’autre.
Ne considérez donc pas ceci, chère Anna Antonovna,
comme une lettre et de toutes ces lignes ne retenez que ces mots
: je vous aime et pense à vous.
Page 194
Hotel innova, 23 janvier 1939
[…] Je vois souvent Prague au cinéma,
et toujours – comme ma ville, plus souvent encore je l’entends
à la T.S.F. (la radio) – et toujours comme ma langue
et ma musique. C’est l’endroit qui, de toute la carte,
- m’émeut le plus. J’ai relu récemment
« Le Golem », et aussitôt j’ai été
happée par ce monde de brouillards et de visions qu’est
resté pour moi Prague. (La campagne, je me rappelle –
radieuse, Prague – rêveuse : couleur du rêve.)
Par hasard, récemment – j’ai rencontré
un ami – de cette époque : tout de suite, je me suis
sentie – sur un pont, à regarder l’eau.
Avez-vous lu Rosamond Lehmann ? Moi, j’ai lu deux choses :
« Intempéries » - et « poussière
». il y a dans « Poussière » (dans «
Intempéries » aussi) quelque chose de celle que j’étais
à cette époque. Ces deux livres (et tous ses livres
– sans doute) semblent n’avoir pas été
écrits – avec des mots : pas été écrits
du tout – mais rêvés. J’aimerais beaucoup
que vous les lisiez, surtout « Poussière » :
il tient de l’arc-en-ciel – de la toile d’araignée
– de la fontaine (moins que tout, de la poussière !),
et – finalement – au creux de la main – une poignée
de cendres. […]
Page 244
Lettres à Anna Teskova (Prague, 1922 - Paris,
1939), éditions Clémence Hiver
Un article sur le site de Francopolis
: Marina Tsvetaïeva, poète de tous les exils.
Bibliographie
POESIE
Poèmes. Gallimard, 1968.
Vœux de Nouvel An. L'Éphémère
n°17, 1971.
Insomnie. Alidades n°1, 1982.
Le Poème de la montagne. Le poème de
la fin. L'Âge d'Homme, 1984.
Tentative de jalousie & autres poèmes.
La Découverte, 1986.
Le ciel brûle. Les Cahiers des Brisants, 1987.
Les Arbres. Clémence Hiver, 1989.
Le Gars. Clémence Hiver, 1991 ; Des Femmes,
1992.
L'Offense lyrique. Fourbis, 1992.
Après la Russie. Rivages Poche, 1993.
Poèmes, introd. d'Adriadna Efron. Éditions
du Globe, 1993.
Sans lui, avec Sophie Parnok. Fourbis, 1994.
Le Poème de l'air. Le Cri, 1994.
Le Ciel brûle suivi de Tentative de jalousie.
Poésie Gallimard, 1999.
THÉÂTRE
Ariane. L'Âge d'Homme, 1979.
Phèdre. Actes Sud, 1991.
Romantika (Le Valet de cœur, La Tempête de neige, La
Fortune,
L'Ange de pierre, Une aventure, Le Phénix). Gallimard, 1998.
Une aventure et Le Phénix. Clémence Hiver, 1999.
RÉCITS ET ESSAIS
Le Diable et autres récits. L'Âge d'Homme, 1979 ;
Le Livre de Poche Biblio, 1995.
Mon frère féminin. Mercure de France, 1979.
Le Conte de ma mère. Le Nouveau Commerce n° 65-66, 1988.
L'Art à la lumière de la conscience. Le Temps qu'il
fait, 1987.
Indices terrestres. Clémence Hiver, 1987.
Mon Pouchkine suivi de Pouchkine et Pougatchov. Clémence
Hiver, 1987.
Les Flagellantes. Clémence Hiver, 1989.
Averse de lumière. Clémence Hiver, 1989.
Le Poète et le Temps. Le Temps qu'il fait, 1989.
Le Poète et la Critique. Le Temps qu'il fait, 1989.
Histoire d'une dédicace. Le Temps qu'il fait, 1989.
Nathalie Gontcharova. Sa vie, son œuvre. Clémence Hiver,
1990.
Histoire de Sonetchka. Clémence Hiver, 1991.
De vie à vie ; Ici-haut. Maximilian Volochine. Clémence
Hiver, 1991.
Assurance sur la vie — Le Chinois. Clémence Hiver,
1991.
Des poètes : Maïakovski, Pasternak, Kouzmine, Volochine.
Des Femmes, 1992.
CORRESPONDANCE
Corespondance à trois, avec Boris Pasternak et Rainer Maria
Rilke. Gallimard, 1983.
Neuf lettres avec une dixième retenue et une onzième
reçue. Clémence Hiver, 1985.
Lettre à Véra Merkourieva (31 août 1940). La
Nouvelle Alternative n°7, 1987.
Quinze lettres à Boris Pasternak. Clémence Hiver,
1991.
Marina Tsvétaïeva - Lettres à Anna Teskova -
traductions de Nadine Dubourvieux - Clémence hiver, 2002
SUR MARINA TSVETAEVA
Baptiste-Marrey, Ode aux poètes pris dans les glaces.
Actes Sud, 1984.
Véronique Lossky, Marina Tsvetaeva, un itinéraire
poétique. Solin, 1987.
Ariadna Efron et Boris Pasternak, Lettres d'exil. Albin Michel,
1988.
Joseph Brodsky, Loin de Byzance. Fayard, 1988.
Maria Razumovsky, Marina Tsvetaeva, mythe et réalité.
Noir sur Blanc, 1988.
Véronique Lossky, Marina Tsvetaeva. Seghers, 1990.
Maria Belkina, Le Destin tragique de Marina Tsvetaeva. Albin Michel,
1992.
Rauda Jamis, L'espérance est violente. Évocation
de Marina Tsvetaeva. Nil éditions, 1994.
Dominique Desanti, Le Roman de Marina. Belfond, 1994.
Véronique Lossky, Chants de femmes (Akhmatova et Tsvetaeva).
Le Cri, 1994.
Michèle Magny, Marina, le dernier rose aux joues. Actes
Sud, 1994.
Claude Delay, Marina Tsvetaeva, une ferveur tragique. Plon, 1997.
Henri Troyat, Marina Tsvetaeva. L'éternelle insurgée.
Grasset, 2001.
Marina Tsvétaïéva - Comment ça va la
vie ? par Linda Lê - Éditions Jeanmichelplace / poésie
2002